VOYAGE AU PAYS BASQUE EN 1860.
Le Pays Basque est, depuis longtemps, une terre d'excursions pour les voyageurs du monde entier.
Voici ce que rapporta à ce sujet le quotidien Le Gaulois, le 7 octobre 1860 :
"A Monsieur de Tréville, capitaine-lieutenant aux Mousquetaires de sa Majesté.
Biarritz, Ier octobre 1860.
Vous avez bien voulu, monsieur le capitaine, m’accorder un mois de congé. — Je vous remercie de la faveur grande, dont j'ai profité pour aller me tremper dans les ondes de l’Océan.
Me voici à Biarritz, où j’ai rencontré d’Artagnan, gras et replet comme un moine. Nous nous sommes jetés dans les bras l’un de l’autre, au grand estonnement des badauds, qui ne comprenaient rien à une pareille démonstration.
J’ai, moi aussi, passé à Bordeaux, et si je n’ai pas, à l'exemple de tant d'autres, admiré le pont, le théâtre et le quai, — j’ai tout au moins entendu un joli mot.
J’entre au Café de Bordeaux, — où l’on est aussi détestablement servi qu’au Casino d’Étretat. — Je demande un grog ; — on me l’apporte apures force réflexions. — Que s’était-il passé à l’office, à mon sujet ?
N’importe. Je dis au garçon qui me sert :
— Avez-vous du papier à cigarettes ?
— Non, monsieur, — répond-il, — je ne fume pas !
Biarritz est maintenant presque désert. La pluie a chassé le plus grand nombre des baigneurs. Pourtant il restait, dimanche dernier, assez de grands d’Espagne pour assister au service divin célébré à l’occasion de la mort de la duchesse d’Albe. J’ai remarqué le comte et la comtesse Sclafani, le comte et la comtesse de Montcabrié, le duc et la duchesse de Medina-Cœli, le duc de Alhumada, le duc de San-Lucar, monsieur et madame O’Shea, M. Labat, maire de Bayonne, et madame Labat.
JEAN-FRANCOIS-JULES LABAT MAIRE DE BAYONNE EN 1860 |
La défunte duchesse, — fort aimée de tout le pays, — a été ici vivement regrettée.
Biarritz, qui a commencé par être un village de pêcheurs de baleines et de sardines, est maintenant une jolie vigie. De coquettes maisons blanches, de grandioses hôtels, sont éparpillés sur un large espace, et forment les rues et les places les plus bizarrement tracées.
La vie s’y passe ravissement. On rit, on danse, on chante et l’on se baigne tout le long du jour.... et de la côte.
Nous avons trois ports : la Côte des Basques, peu fréquentée ; le Port-Vieux, petite anse profonde et tranquille, où l’on plonge en famille, — ni hommes ni femmes, — tous baigneurs, — sous l’œil des marquises et des grisettes ; — la Côte des Fous, immense plage du sable le plus fin, — lieu préféré de ceux qui aiment mieux sauter que nager.
PORT VIEUX ET PETITE PLAGE DES BAINS BIARRITZ 1860 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Il y a trois ans, les baraques où l'on se déshabillait appartenaient à des Biarrots. Chacune d’elles avait ses habitués ; — chaque terrasse formait un salon où l’on venait caqueter sur les aventures du jour; — chaque baigneur avait ses admirateurs ; — tel vantait la baraque de Million, tel autre celle de Pascaline, tel autre celle de Marianote.
Aujourd'hui tout cela est changé. L'administration municipale a fait construire une sorte d'établissement à prix uniforme, contenant une centaine de cabines ; on est mal servi, on n’est connu de personne, on ne médit plus du prochain en compagnie de belles dames, et l’on n’a plus à crier l'éloge de Million, de Marianote ou de Pascaline, car Million s'est fait pêcheur, Marianote repasseuse, et Pascaline servante d’auberge.
Ce ne sont plus des cabanes, c'est une caserne de gendarmerie, — tout s’y fait sous une discipline sévère. On se déshabille en trois temps, — on plonge en trois mouvements, le corps roide et le petit doigt près de la couture du pantalon, — on s’essuie à un commandement du régisseur, et on s’habille, je crois, au son du tambour.
VUE DU PORT DES PÊCHEURS BIARRITZ 1860 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Qui me rendra mes cabanes d’autrefois ? Mais où sont les neiges d’aman ?
J'ai dit que Biarritz avait subi d'immenses transformations.
Depuis que l’Empereur y a fait bâtir un château, et qu’il y vient habiter un ou deux mois chaque année, Biarritz acquiert de jour en jour une importance de plus en plus considérable.
VILLA EUGENIE BIARRITZ 1862 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Les potaches, les américaines, les antiques diligences, les tilburys, les calèches, les coupés élégants, sillonnent en tous sens le chemin qui mène de Bayonne à la mer.
Autrefois on ne connaissait pas tout ce luxe. — Il n’y avait ni route impériale, ni chemin vicinal. On allait à la mer à travers de petits sentiers bien discrets et bien timides ; on y allait deux à deux, la main dans la main, chantant et riait tout le long de la route.
Ou, si l’on était seul, on se rendait à Biarritz en cacolet.
Le cacolet,— je vais vous l’apprendre, — était une sorte de bât placé sur le dos d'un cheval, et portant de chaque côté un panier garni d'un coussin. A gauche, se mettait le voyageur ; à droite, la conductrice, charmante Basquaise aux dents blanches, à l'œil vif, fière de ses dix-huit ans et de sa vertu inébranlable, qui charmait, par ses reparties fines, les ennuis du voyage. Légère autant de corps que d’esprit, elle avait soin de mettre dans son panier un supplément de charge pour faire tenir tout le système en équilibre.
PROMENADE EN CACOLET PAYS BASQUE D'ANTAN |
Elle vous racontait, dans son langage pittoresque, émaillé d’une foule de barbaries et de solécismes les plus gracieux, l'histoire des amoureux de la chambre d'amour près de laquelle on passait, et elle la racontait si bien que l'eau vous venait à la bouche, et comme la chaleur était accablante, vous sentiez arriver le moment scabreux où le bonhomme Homère fait intervenir un nuage discret.... Mais alors votre compagne sautait lestement de son panier, et le contrecoup vous faisait faire une chute, bien propre, hélas ! à éteindre votre flamme.
CACOLET PAR HELENE FEILLET MUSEE BASQUE BAYONNE |
Un poète de ces contrées a chanté la mort du cacolet ; voulez-vous que je vous cite les deux derniers couplets de M. Barandeguy Dupont ?
Mais à quoi bon gémir et chercher en arrière
Ce doux char des amants ? on l'a mis en fourrière,
De par l'hymen, sans doute, et les maris jaloux !
Les amours dénichés ont fui par la campagne,
Et la fière Basquaise, à la porte d'Espagne,
A brisé son fouet, de courroux !
Oh ! taisons-nous ; Bayonne est la vierge sans tache ;
Aujourd'hui sa pudeur préfère la patache
Au cacolet mondain dont la gloire a vécu !...
Allez, tendres beautés allez, amants timides,
Au lien du cacolet dont l’amour est le guide,
Il vous reste le tapeeu !
Regardez là-bas ce groupe confus qui disparaît dans le nuage de poussière qu’il soulève. Laissez-le approcher, et vous reconnaîtrez une douzaine de Basquaises venant de Saint Jean-de-Luz à Bayonne pour y vendre leurs excellentes et renommées sardines.
LES KASCAROTS DE ST JEAN DE LUZ ET CIBOURE |
Les pieds nus, leurs sandales à la main, le cotillon retroussé, on les voit trotter ainsi par groupes, et parcourir de cette allure une distance de vingt et un kilomètres en moins de deux heures ; tout cela pour gagner quinze à vingt sous ; après quoi, elles s’en retourneront par le même chemin et du même pas, avec leur corbeille vide, sans avoir eu le temps de se reposer.
C’est que notre Basquaise est une fière femme, allez ! Elle endure gaiement les plus fortes fatigues ; toujours sur pied, elle vaque, ménagère infatigable, aux travaux de la maison et aux occupations des champs.
Gracieuse et affable avec l’étranger, elle est respectée de son mari, qui la consulte toujours dans les occasions difficiles.
Le Basque, lui, est aussi gai que la Basquaise, mais il met dans tous ses actes, et jusque dans ses plaisirs, une gravité qui fait sourire ceux qui ne le connaissent pas.
Essentiellement indépendant et fier, il sait partout conserver sa dignité ; il est brave, un peu sceptique parfois, mais surtout il est intelligent.
Il faut le voir, dans les fêtes de son village, se livrer avec ardeur à une danse qui nous paraît insipide, mais qui lui plaît comme un devoir agréable. Il faut le voir, surtout alors, improviser ses jolies chansons que le vent n’emporte pas toujours. Comme il déploie alors sa verve railleuse, et avec quel art charmant il sait déguiser la pointe de fine critique dont il assaisonne ses chants !
Écoutez-le blâmant la galanterie des prêtres :
Goure artzain galtza beltza
Ardiac noula donatza ?
Tchesta erazi nahi ukhan dereza
Zure galraspace gatza ;
Zutur besteric behar dizec
Maïec bere a hatzartza.
"Bergers aux bas noirs, comment vont les brebis, je vous prie ? Vous avez donc voulu leur donner le sel de votre panetière ? Il faut à ce troupeau bien d’autres bergers que vous."
Quel bizarre langage, — mais quelle ravissante satire !
Si j'étais venu plus tôt à Biarritz, je vous aurais raconté de biens méchants propos sur les fervents du Casino.
Je vous aurais raconté qu’on a expulsé huit personnages dont le bonheur au jeu était d'une insolence inébranlable. Je vous aurais dit que M. le comte D faisait publiquement la cour à la chevalière de Saint-N'** en plein Port-Vieux, — à la face du soleil et de M. de Saint-N*'* lui-même ;— que ce nouvel Hercule, couché aux pieds de sa blonde Omphale, tressait d’une main amoureuse les cheveux de sa belle, payés deux cents francs chez le plus fameux perruquier de la Haute-Garonne , — et mordait aux biscuits croqués par son adorée, en attendant qu’ils mordissent tous deux à l'éternelle pomme qui perdit Eve.
Je vous eusse dit que deux riches étrangères se sont promenées, cette semaine, dans les rues de Bayonne le cigare aux dents et la canne à la main.
Mais, hélas ! Biarritz est désert, et me voilà forcé de me rabattre sur Bayonne pour vous narrer un bon mot d'un paysan du cru.
Dernièrement,— aux élections du conseil municipal, — le brave homme arrive à l'hôtel de ville et demande au maire en personne pour quels candidats il doit voter.
— Choisissez qui bon vous semblera, — répond M. Labat, — voici les deux listes concurrentes.
Sur l’une, — celle de la municipalité, — il y avait vingt-six noms; sur celle de l’opposition, six candidats seulement étaient portés.
Notre paysan regarde attentivement les deux listes et les retourne en tous sens ; puis, s'arrêtant sur la seconde :
— Bah ! s’écrie-t-il — dans son patois original, — ici moins de tracassiers, — votons pour eux.
Et voilà comment les candidats de l'opposition eurent une voix de plus.
BIARRITZ EN 1861 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Cette anecdote en appelle une autre. — Que faites-vous dans votre village ? disais-je à un vieux militaire retraité des environs de Bayonne.
Comme vous devez vous ennuyer ! Toujours la même existence, pas la moindre petite aventure à mettre sous la dent !
— Mon Dieu, — me répondit-il, — nous nous levons, ma femme et moi, tous les jours à cinq heures. — nous allons nous promener ; nous dînons à midi ; nous faisons un bout de sieste, puis quelques visites, — et le soir, après souper, nous nous couchons.
— Et voilà votre vie de chaque jour ? — Certainement. — Mais enfin ne vous arrive-t-il jamais le moindre événement ? — Cherchez bien.
— Ah ! je me rappelle, — reprit le médaillé de Sainte-Hélène. — Il y a quelque temps j'étais couché avec Julie, — mon épouse ; — nous dormions tous deux de ce sommeil tranquille que procurent les Chroniques de M. d’Audigier, ou les Courriers de Paris de ce pauvre diable de Mané. Tout à coup nous sommes réveillés par des cris plaintifs,— des cris d’enfant.
— Tiens, dis-je en poussant ma femme, nous qui n’avons point de mioche, en voici un que le ciel nous envoie.
J’allai ouvrir la porte : c’était un cochon de lait qui faisait tout ce bruit.
Nous le prîmes avec nous et nous le consolâmes jusqu’au jour, en le caressant et en lui donnant du pain trempé dans du lait.
— Et vous l’élevez chez vous ? repris-je. — Oh ! non, nous l’avons placé chez le charcutier d’en face, il est nourri et logé. Nous allons le voir matin et soir.
— Et combien cela vous coûte-t-il ? — Dix francs par mois. — Dix francs par mois pour un cochon de lait! c’est bien cher !
— Dame, que voulez-vous, monsieur, nous n’avons pas d’enfants.
Je suis rentré dimanche à Bayonne pour assister aux débuts de la troupe d’hiver. Quelle curieuse chose que les débuts en province, mon cher capitaine ; je vous promets une centaine de lignes sur ce sujet intéressant quand ma paresse m’aura quitté.
Donc, j’ai entendu les Mousquetaires de la Reine, joués par la nouvelle troupe. A part une basse détestable, tout a bien marché, et j’y ai applaudi la plus jolie Dugazon, la plus blonde, la plus rose que j’aie jamais vue ; elle se nomme Blanche Nordet ; elle jouait le rôle de Berthe de Simiane.
OPERA COMIQUE LES MOUSQUETAIRES DE LA REINE |
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