Libellés

jeudi 17 mars 2022

LA MAISON ARNAGA À CAMBO EN LABOURD AU PAYS BASQUE

LA MAISON ARNAGA À CAMBO EN 1921.


Edmond Rostand a conçu cette maison, à Cambo-les-Bains, dans tous ses détails intérieurs et extérieurs. Elle a été construite en 3 ans entre 1903 et 1906, avec l'aide de l'architecte Albert Tournaire.





pays basque autrefois maison rostand
MAISON ARNAGA CAMBO-LES-BAINS
PAYS BASQUE D'ANTAN



Voici ce rapporta à ce sujet Henry Bordeaux, de l'Académie Française, dans Le Monde Illustré 

du 12 février 1921 :



"La Maison de Chantecler Par Henry Bordeaux de l'Académie Française.



Aux œuvres éclatantes de Rostand, à Cyrano, à l'Aiglon, à Chantecler, sans oublier La Dernière Nuit de Don Juan, chacun sait qu'il en faut ajouter une dont le sort est aujourd'hui incertain, et c'est Arnaga, la maison, le palais qu'il édifia à Cambo. Tantôt les journaux annoncent qu'Arnaga est à vendre - et quel millionnaire de goût l'achètera ? - et tantôt qu'Arnaga va devenir un musée, ou une maison de retraite pour les artistes ou les écrivains malheureux. 



Une œuvre, un fils, une maison : ainsi un poète persan résumait-il son rêve de vie. Suprêmement ambitieux, il souhaitait une triple prolongation : celle de la pierre, celle de la chair et celle de l'esprit. Tant qu'un homme n'a pas dominé son existence il se contente de loger au hasard chez les autres. Et s'il succède à ses pères, il n'en sent pas toute l'importance. Vient un âge où, privé de ce rempart vivant que sont les parents, ou comprenant que le mur s'écroulera un jour, il se découvre mal défendu contre la mort et veut du moins assurer l'avenir de sa race. Il désire marquer de son empreinte personnelle un coin de la terre. Alors il songe à bâtir, à moins qu'il n'ait reçu du passé la mission de maintenir la demeure des siens, cette demeure que, tout enfant, on appelle simplement la Maison, comme s'il n'y en avait qu'une au monde, et véritablement, pour chacun, il n'y en a qu'une. Bâtir ou maintenir, tâche pareillement noble et ardue, qui crée ou qui conserve une tradition familiale, plus éloquente, plus durable quand c'est la dure pierre, échauffée par de la vie humaine, qui la soutient et lui fournit son symbole. Ceux qui connaissent la tristesse de vieillir sans enfant et de s'acheminer vers le soir sans imaginer les prochaines aurores, même s'ils renouvelèrent la sensibilité ou les idées de leur temps, n'ont guère qu'un tombeau à orner. Ainsi Chateaubriand offrit le sien aux caresses de la mer. Ainsi le plus grand poète traditionnaliste de notre temps, Mistral, après avoir exalté la vie dans ce qui la fortifie et la perpétue, cultiva-t-il la mélancolie d'édifier son propre monument funéraire dont il avait cherché le modèle parmi les ruines émouvantes des Baux.




poete occitan provence
TOMBEAU DE FREDERIC MISTRAL
BAUX DE PROVENCE



Le jeune conquérant de la Princesse Lointaine, de Cyrano, et de l'Aiglon avait toutes les raisons du monde de construire. Il avait choisi, pour sa maison, ce pays basque où l'union de l'homme et du sol est particulièrement étroite.



Là, en effet, Le Play a surpris le modèle de la solidarité terrienne, relevé les traces de cette collaboration intime qui mêle un domaine à toute la suite des générations dont une forte race se compose. Terre féconde, que la chaleur et l'eau ont recouverte d'une végétation abondante, luxueuse, comme de serre chaude, terre toute travaillée et humanisée, terre d'où montent, comme des parfums, les légendes, les chansons, les prières, toute cette âme mystérieuse du passé qui ne peut pas mourir.



La villa Arnaga est bâtie au confluent de la Nive qui, rapide et boueuse, court vers l'Adour, et de la petite Arnaga moins arrogante. Sur le promontoire qu'étreignent les deux rivières et dont les pentes sont toutes boisées, elle se dresse sans insolence, comme un complément de ce pays riche et fertile. C'est une maison basque, mais spacieuse, claire, joyeuse à la façon d'une fleur bien épanouie : deux corps de bâtiment incrustés l'un dans l'autre à angle droit, l'un porté sur de massives arcades, tous deux étayés de ces poutres brunes qui font des dessins sur les murs. Elle rit véritablement au sommet du coteau. On y va de Cambo qui balconne aussi sur la Nive. On entre dans le domaine par un bois de chênes aux troncs courts qui portent leurs branches en essor comme les bœufs de ces prairies leurs cornes. Les intervalles des arbres sont comblés par des fougères, et comme le tronc des chênes même est recouvert de lierre, on a l'impression de pénétrer dans un lac de verdure.



Le hall qui, par de larges baies en arceaux, s'ouvre aux deux expositions du nord et du midi, réunit deux vues différentes. D'un côté, un jardin à la française, avec ses parterres et ses statues conduit le regard aux lignes délicates des collines qui précèdent les Pyrénées dont les calmes arêtes ferment insensiblement l'horizon. Et de l'autre, c'est le cours vallonné de la Nive qui descend sur Bayonne. A l'intérieur, c'est encore sur tous les murs de la lumière accrochée : des peupliers dorés et des coteaux mauves d'Henri Martin, des fresques de Jean Veber, de Mademoiselle Dufau, et surtout la Fête chez Thérèse et le Théâtre de Verdure de Gaston La Touche qui donnent de l'espace et du soleil, et comme une liberté toute moderne, aux grâces et à l'esprit du XVIIIe siècle.




pays basque autrefois arnaga rostand
TABLEAU FÊTE CHEZ THERESE
DE GASTON DE LA TOUCHE 



Là fut composé Chantecler et il n'est pas inutile d'en rappeler les circonstances. Rappelez-vous les soirées triomphales de Cyrano, de l'Aiglon. Le jeune vainqueur va-t-il profiter et jouir de sa gloire sur place ? Il est maître du théâtre et de la foule. Paris l'idolâtre, et il s'en va. Il s'en va au pays basque, au bord des Pyrénées, dans une solitude enchantée. Et cette solitude lui parle. Il regarde la nature en action, l'uniforme existence agricole. Une cour de ferme suffit à le retenir, et il y voit un petit univers, réduction de l'autre, avec les mêmes rivalités, les mêmes leçons d'où monte la chanson de la vie éternelle, celle qui est liée au sol comme l'arbre par ses racines, celle qui supporte le poids du jour sans vaines plaintes et sans vains désirs. Chacun y est à sa vraie place. Les âges ne la modifient pas. Elle n'est point sujette à la mode et tout s'y accomplit sérieusement, selon des rites presque sacrés. Elle se contente du même horizon, mais c'est un horizon familier. Les coteaux, les collines qui la bordent laissent assez d'espace à la forêt, aux champs de blé et d'avoine pour contenter les yeux. Et sans cesse la lumière la varie. Dans ces limites d'un regard, c'est l'émouvant poème du travail, du courage quotidien.



Geoffroy Rudel cherchait au delà de la mer son mystérieux amour. Cyrano de Bergerac offrait sa vie en holocauste à l'ironie du sort. Et l'Aiglon, à la dure gloire de l'Aigle, venait ajouter sa souffrance. C'étaient des destinées exceptionnelles soulevées d'un souffle d'héroïsme. Mais l'héroïsme, il n'est pas besoin de le poursuivre si loin. N'est-il pas dans la subordination à sa vie ? Subordination qui n'est pas la résignation courbée et triste, mais ce joyeux calme, prêt à accepter le jour qui vient, à en tirer bravement le meilleur parti. Subordination qui n'est pas si aisée : tant d'influences contraires s'efforcent de nous y arracher, la vanité, l'opinion d'autrui, la crainte du ridicule, la faiblesse de la volonté, et plus encore la faiblesse du cœur.



théâtre rostand aiglon
L'AIGLON D'EDMOND ROSTAND



Ainsi, peu à peu, dans le cerveau du poète, s'assemblaient les éléments d'un nouveau drame : le drame de l'Acceptation. Depuis Homère le sujet n'en est pas nouveau ; il est dans Goethe, il est dans Lamartine, il est dans Mistral, il est dans Barrés, il est dans tous les poètes du sol. Mais ce thème immortel n'est pas, ne sera jamais épuisé. Le décor sera cette cour de ferme où l'idée première a surgi. Les personnages ? un coq, des poules, et toute l'agitation de la bassecour, paons, dindons, oies, canards et quelque oiseau des bois qui représentera la liberté. Des animaux suffiront à exprimer ce qui tourmente les hommes. L'idée enfin sera l'exaltation du sol natal, du foyer, de la tâche limitée et fermement accomplie contre les railleries, les ironies, les coteries, contre l'amour même.



rostand théâtre poule coq
ACTE I : CHANTECLER ET SES POULES
D'EDMOND ROSTAND



Quant aux moyens d'exécution, chaque artiste a les siens. Ceux de Rostand tendent à la virtuosité. Ce poète qui a le sens des grands sentiments populaires est un lettré qui abuse des jeux de la littérature. La bonne terre paisible n'a pas réussi à le simplifier. Il a mis dans Chantecler son goût des brillantes arabesques et des étincelantes fioritures. Il a accumulé dans sa mémoire et dans sa prosodie des richesses innombrables. Fastueux, il les prodigue. Le détachement des richesses, rien n'est plus difficile en art comme dans la vie. Nous ne savons pas nous dépouiller. Cette surabondance est si rare qu'on est bien excusable de ne pas y renoncer. L'exemple des plus grands poètes est là, pourtant, qui nous le conseille. Les chefs d'œuvre classiques ont ainsi quelque chose de calme et de mesuré, qui parfois même écarte au premier abord mais on y revient, et l'on découvre avec surprise que tout y est, y compris la puissance et l'éclat. Leur force durable est faite de justes abandons.



Malgré ses trop nombreuses fautes de goût, malgré ses défauts qui sont aisés à souligner et sur lesquels il ne convient plus qu'on s'acharne, Chantecler demeure le poème du travail et de la subordination. Comme Antée reprenait sa vigueur en touchant le sol, il renouvelle notre émotion par le chant de la terre natale. Les symboles se jouent en lui comme les hamadryades dans la forêt. Mais ce sont des symboles clairs et joyeux, seulement adoucis par la touchante humiliation de l'amour. Ce coq qui se plante, qui se fixe en terre pour chanter et appeler le jour parce qu'il sent qu'ainsi fixé il chantera mieux et plus haut, ce coq qui lutte contre l'envahissement des plus saines natures, des plus paisibles destinées, par la manie de la mode, par l'admiration étrangère, par la convoitise d'un autre état, par la pratique ou la peur de l'ironie qui dessèche, de la blague qui rapetisse, par tout ce qui nous détourne de la vie normale et régulière, par l'esprit du monde, enfin, pour employer un mot des manuels sacrés, ce coq orgueilleux qui de l'amour apprend sa faiblesse mais que l'amour ne fait pas renoncer, est bien le descendant de son grand ancêtre gaulois. Or, c'est des jardins d'Arnaga qu'il appelait la naissance du jour.



rostand théâtre coq guitry
L GUITRY DANS LE COQ DE CHANTECLER
EDMOND ROSTAND



C'est encore dans la calme retraite d'Arnaga que fut composée cette Dernière Nuit de Don Juan publiée par l'Illustration, où nous pouvons découvrir, non une nouvelle face, mais un nouvel élargissement du génie de Rostand. De plus en plus, il recherchait les larges symboles — on ne l'avait pas su voir dans Chantecler — qui résument la destinée humaine ou qui lui .donnent un sens. De plus en plus il était préoccupé de métaphysique. Par là il rejoignait les conducteurs de la pensée. Mais il ne s'affranchissait pas parallèlement de ces excès de virtuosité verbale qui affaiblissent son œuvre. Dans La dernière Nuit de Don Juan, il avait eu l'ambition de montrer ce qu'il y a de bas, de faux, de vide dans la débauche, la luxure, la perversité amoureuse. A Don Juan il oppose Roméo et Tristan, au séducteur professionnel celui qui aime. Le supplice de Don Juan qui s'est cru démoniaque est de découvrir sa stérilité : il n'a rien pu créer, et il est digne de finir sur un théâtre de marionnettes. De ce personnage romantique Rostand montre le son qui l'emplit. Ainsi — on le voit — Arnaga fut la maison inspiratrice."





paris autrefois théâtre rostand vogue
LA DERNIERE NUIT DE DON JUAN
D'EDMOND ROSTAND
EXTRAIT VOGUE 1 AVRIL 1922





Merci ami(e) lecteur (lectrice) de m'avoir suivi dans cet article.

Plus de 5 700 autres articles vous attendent dans mon blog :

https://paysbasqueavant.blogspot.com/


N'hésitez pas à vous abonner à mon blog, à la page Facebook et à la chaîne YouTube, c'est gratuit !!!

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire