MARDI GRAS AUTREFOIS.
Aujourd'hui, mardi 1er mars 2022, c'est mardi gras.
Voici ce que rapporta à ce sujet Le Petit Journal, dans son édition du 9 février 1913 :
Propos de Carnaval.
Mardi gras d'autrefois. Tradition corse. La promenade du bœuf gras. Ses rapports avec la littérature et l'histoire. On n'a pas été grand'chose tant qu'on n'a pas été bœuf gras.
Il est d'usage chaque année là pareille époque de verser un pleur sur la disparition progressive et fatale des joies du carnaval, et c'est devenu un lieu commun de s'apitoyer sur l'abolition de la vieille gaîté française.
On ne s'amuse plus, dit-on... Ne serait-ce pas plutôt qu'on s'amuse trop ?
Jadis, le carnaval était un intermède de folies dans la vie monotone et laborieuse du peuple. Aujourd'hui que tous les plaisirs se sont démocratisés, les périodes de fêtes traditionnelles ont moins d'importance qu'autrefois.
Voilà pourquoi le carnaval se meurt ; et il se meurt si bien que, dans quelques années on pourra probablement dire : le carnaval est mort.
II faut remarquer encore que le goût des réjouissances bruyantes, des festivités de la rue qu'aimaient tant nos ancêtres, s'efface chez nous de jour en jour. Où sont les cortèges burlesques d'autrefois, les tumultueuses descentes de la Courtille, les débardeurs et les chicards ?
CREPES A MARDI-GRAS |
Tout cela s'en est allé avec les vieilles lunes. Nous sommes à présent un peuple de "shopenhauérisés" : il nous faut des spectacles compliqués, des sensations morbides, de la musique ennuyeuse ; et le vieux carnaval de nos pères, nous l'avons, avec tant d'autres traditions du temps passé, sacrifié sur l'autel du "snobisme".
Donnons-lui du moins un souvenir avant qu'il soit tout à fait défunt.
Carnaval vient de deux mots latins qui signifient adieu chair (caro, vale) ; il précède, en effet le carême, époque pendant la quelle on doit s'abstenir de viande. Il commençait jadis, le jour des Rois pour finir le mercredi des Cendres, et, durant tout ce temps, il était d'usage de se déguiser et de courir les bals et les réunions.
Avant la Révolution, le mardi gras était, à Paris, un jour de folies. Dès le matin, le seigneur Carnaval, représenté par un mannequin couvert d'oripeaux ridicules, faisait son entrée dans sa bonne ville. On le menait d'abord au carreau des Halles, puis, de là, on le promenait à travers les rues, en compagnie du bœuf gras d'alors, qu'on appelait le boeuf viellé.
CAVALCADE DU MARDI-GRAS PARIS |
L'après-midi, le peuple accourait en foule au faubourg-Saint-Antoine. C'était le lieu choisi des réjouissances populaires, tandis que les gens du bon ton se rendaient au Cours-la-Reine. Des deux côtés, c'étaient mêmes saturnales.
Le gazetier Loret nous a laissé en quelques vers une énumération pittoresque des déguisements à la mode le jour du mardi gras de 1655.
Mardi, multitude de masques.
Qui ridicules, qui fantasques...
Jusqu'au nombre de quatre mille,
Etaient sortis hors de la ville.
Les uns ressembloient des Chinois,
Des Margajats, des Albanois,
Des amazones, des bergères,
Des paisannes, des harengères,
Des clercs, des sergents, des baudets,
Des gorgones, des farfadets,
Des vieilles, des sainte-n'y-touche,
Des Jean-Douelts, des Scaramouches.
On s'amusait ainsi jusqu'à l'heure de minuit. Mais au premier coup de la cloche tous les masques tombaient. Le jour de pénitence commençait. Chacun regagnait au plus tôt son logis, car le guet était impitoyable pour quiconque perpétuait les folies du mardi gras jusqu'aux premières heures du mercredi des Cendres.
C'est la Révolution qui porta le premier coup au carnaval en proscrivant le masque et les mascarades comme attentatoires à la dignité des citoyens.
Cette interdiction dura jusqu'en 1799 ; mais, avec le siècle nouveau, les fêtes carnavalesques revinrent en faveur.
Paris aujourd'hui les laisse passer avec indifférence. Mais, en province, où les habitudes anciennes sont mieux enracinées, l'époque du carnaval ramène encore certaines réjouissances traditionnelles.
Il est une coutume, entre autres, que tout vrai gourmet doit défendre c'est celle qui veut qu'on fête le retour du dimanche gras en mangeant des crêpes, de bonnes crêpes, fleurant la pâte légère et les œufs frais.
En Poitou, naguère, il était d'usage quand on faisait des crêpes le dimanche gras, d'en garder une pour la pie. Les bouviers et les bergères allaient en cortège porter la crêpe à la pie. L'un d'eux l'attachait à quelque haute branche d'un arbre autour duquel toute la bande dansait en rond. La pie, qui, à ce qu'il paraît, est friande de crêpés, venait manger le gâteau ; et l'on croyait qu'en reconnaissance, elle ne manquerait jamais d'avertir les bergers à l'approche du loup.
Je pourrais vous conter maintes et maintes traditions des jours gras qui subsistent encore dans nos provinces... Nous n'en finirions pas. Mais laissez-moi vous rapporter seulement cette jolie coutume jadis en usage en Corse.
La nuit du mardi gras au mercredi des Cendres était le moment, choisi par les amoureux pour faire leur déclaration. Cela se passait publiquement, au bal, devant tout le village assemblé. La musique se taisait tout à coup, l'assistance formait le cercle et les deux amoureux se plaçaient au milieu.
Le jeune homme, alors, posait la main sur son cœur.
- Ahi !... s'écriait-il.
- Cos'hai ? (Qu'as-tu ?) lui disait la jeune fille.
- Son fecto ! (Je suis blessé !)
- E dove ? (Où donc ?)
- Al core... (Au cœur).
- Per quale ? (Par qui ?)
- Per voi, signora. (Par vous, mademoi selle.)
Par là-dessus, la jeune fille baissait les yeux : l'assistance applaudissait, et, le carême fini, le curé de l'endroit célébrait un mariage.
Quant à la promenade du seigneur Carnaval sous la forme d'un mannequin que l'on brûlait ou qu'on lançait à la rivière le matin du mercredi des Cendres, elle fut de toutes les régions, et, pourrait-on dire, de tous les pays.
Chez nous, Nice seule paraît avoir conservé aujourd'hui ce mannequin symbolique.
MARDI-GRAS NICE |
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