LA PORCELAINERIE DE CIBOURE AU 18ÈME SIÈCLE.
Avant la Poterie de Ciboure, société officiellement fondée en 1922, il a existé, au 18ème siècle, dans cette commune du Labourd une fabrique de porcelaine.
Voici ce que rapporta à ce sujet Ernest Labadie, dans Notes et documents sur quelques
faïenceries et porcelaineries de la Gascogne au XVIIIe siècle :
"Porcelainerie de Ciboure (1779-1791).
Nous n'avons pas à apprendre aux lecteurs de la Revue de Gascogne ce qu'est la charmante petite ville de Ciboure assise aux pieds des Pyrénées, à l'embouchure de la Nivelle, en face de Saint-Jean-de-Luz qui est une des plus jolies plages de l'Océan et une des stations balnéaires du Sud-Ouest les plus fréquentées pendant la belle saison.
Ciboure faisait partie autrefois, avant la Révolution, du pays de Labourd dont Bayonne, Lapurdum, était la capitale. Cette petite ville appartient aujourd'hui au département, de Basses-Pyrénées, canton de Saint-Jean-de-Luz, et de capitale Bayonne est devenue un simple chef-lieu d'arrondissement, une sous-préfecture, par les hasards d'une nouvelle division territoriale arbitraire qui n'a pas toujours contribué à la prospérité ni au prestige de certaines de nos villes de France.
A la fin du XVIIIe siècle, un propriétaire des environs de Ciboure, M. de Soubelette, découvrit sur son domaine un gisement de kaolin. Il voulut installer une porcelainerie, fit construire des fours et procéda à des essais de fabrication. Mais ses débuts ne furent pas heureux. Lui ou les ouvriers qu'il employa ignoraient les procédés très délicats de ce genre de fabrication et il se mit en rapports avec l'Intendant de Bordeaux, auquel ressortissait alors le pays de Labourd, pour qu'il obtînt du Ministre que la Manufacture de Sèvres lui fît connaître les causes de ses insuccès. Il y eut à ce sujet un échange de correspondance de 1779 à 178I entre M. de Soubelette, l'Intendant de Bordeaux, Dupré de Saint-Maur et le ministre Bertin, dont les originaux ou les brouillons sont conservés dans l'ancien fonds de l'Intendance de Bordeaux. Cette correspondance est fort intéressante à plusieurs points de vue et nous croyons devoir la reproduire ici presque en entier.
"Monsieur, j'aurois pu plustot qu'aujourd'hui avoir l'honneur de vous faire part du résultat de notre première fournée de porcelaine mais j'ai crû qu'il étoit de mon devoir d'attandre que nous eussions pris un parti ce concernant pour vous en instruire aussitot.
Notre enfourneur fut obligé, après quinze heures de feu continu de le cesser, attendu que le mortier qui lioit les briques de dedans le four étant entré en fusion lui boucha l'intervalle des gazettes. On défourna le surlendemain avec la persuasion que la marchandise ne seroit point bien cuite, nous ne fumes pas peu continués dans cette idée voyant que presque toutes les gazettes s'étoient réunies. Quand on en ouvrit la première pile, on remarqua que le sable qu'on avoit mis sous les pièces de porcelaine ayant fondu les avoit collé avec les gazettes. Malgré toutes les précautions qu'on avait prises, on n'a pû sauver que très peu de pièces ; elles sont toutes transparentes et la pâte en dedans est très blanche et d'un très beau grain. On a fait bouillir de l'eau dans un pot à lait qu'on a rempli dans le moment du bouillonnement d'eau froide, il ne s'est ni fendu ni cassé.
Après avoir préalablement éprouvé de l'argile au grand feu, on en fait les gazettes en y mêlant du ciment, des vieilles gazettes et beaucoup de qua...olin ; on se propose de remplacer le sable par une composition qui ne fond pas au grand feu de porcelaine. On n'épargne aucune précaution pour pouvoir réussir dans la cuisson de la seconde fournée ; on nous la fait espérer pour le quinze de janvier prochain au plus tard. J'aurai l'honneur de vous en écrire le résultat dans le temps.
Il ne m'a pas été possible de me procurer un dictionnaire basque et françois, il n'y en a point dans le pays de Labourt. On m'a dit qu'il seroit possible d'en avoir un en Espagne, je l'y ai déjà demandé. Veuillez être persuadé que je serai toujours flatté de pouvoir vous rendre quelque service.
Je suis avec respect, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.
(Signé) : De Soubelette fils,
Cibour, 23 novembre 1779."
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"A M. de Soubelette, fils à Cibourre.
A Bordeaux, ce 30 novembre, 1779,
— J'ai reçu Monsieur la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 23 de ce mois an sujet des inconvénients qu'on a éprouvés lors de la première fournée dont on a fait l'essai dans votre manufacture de porcelaine. J'en ai conféré avec le sieur Vilaris qui a dans ce genre des connoissances particulières. Il est d'avis que vous commenciez par faire calculer avec la dernière exactitude les dimensions de votre four et qu'après en avoir formé le plan vous fassiez en sorte d'y adopter et mouler les briques de manière qu'elles puissent y être enchâssées pour ainsi dire à pierre sèche, et qu'une simple eau de lait, faite avec le kaolin, puisse suffire pour en former les liaisons. Il ajoute que les gazettes doivent être faites avec le kaolin en n'y mêlant que le moins qu'il sera possible de terre glaise. Il faut que la terre glaise ne fermente point avec l'eau-forte. La blanche est ordinairement la meilleure et la plus réfractaire. Quant, au sable dont, vous serez obligé de faire usage, il faut qu'il soit pur et qu'il ne contienne point de spath fusible. Il observe enfin que la transparence de votre porcelaine peut provenir de ce qu'on y a mis dans la proportion trop de petuntzé. Si vous pouviez vous transporter à Limoges où il y à une fabrique de porcelaine qui réussit au mieux, vous y acquéreriez par la seule inspection des connoissances que vous ne pouvez autrement vous procurer qu'après plusieurs essais peut-être infructueux. J'ai l'honneur d'être très parfaitement..."
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"A M. Bertin.
A Bordeaux, ce 30 novembre 1779.
— Le sieur de Soubelette a trouvé dans son fonds situé au pays de Labour les deux espèces de terre qui sont nécessaires pour la porcelaine. Son intention est d'en établir une fabrique. Bien ne seroit plus utile que cet établissement sur la frontière d'Espagne, attendu qu'il n'y en a point de semblable dans ce Royaume avec lequel on ouvrira par ce moyen un nouveau genre de commerce, mais ce gentilhomme désire, Monsieur, de scavoir s'il est nécessaire qu'il obtienne à cet effet un arrêt du Conseil ou même des lettres patentes. Je vous prie de vouloir bien me le faire connoître.
Je vous observerai que le kaolin qu'on est dans le cas d'employer à cette fabrique est au moins aussi beau que celui de St-Yrieix et dans une telle abondance que le propriétaire en pourroit fournir à toute la France ; le peu d'éloignement de la rivière d'Adour en faciliteroit au besoin le transport.
Je suis avec respect..."
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"Monsieur. Conformément, à la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire, j'ai fait remettre au courrier ordinaire de Bayonne pour Bordeaux, deux boëtes, une contenant du kaolin et l'autre du petunset. Les deux premières ont été extraites dans notre fonds de Soubelette situé en Labourt.
J'ai, Monsieur, à vous remercier très particulièrement de la bonté que vous avez eû d'écrire au ministre au sujet de notre essai de porcelaine ; on n'épargne aucune espèce de dépense pour pouvoir réussir ; dans toute la semaine prochaine on cuira au grand feu de porcelaine les gazettes dans la formation desquels il n'entre que la quantité nécessaire d'argile pour lier le ciment et le kaolin qui les composent. On prend ce parti pour s'assurer de leur entière retraite, nous n'espérons pouvoir faire la seconde fournée que pour le quinze janvier prochain au plutôt.
Je suis avec respect, Monsieur, votre très humide et très obéissant serviteur.
(Signé) : De Soubelette fils.
Ciboure, 15 décembre 1779."
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"Versailles. le 6 janvier 1780.
J'ai reçu, Monsieur, la lettre que vous m'avez écrite au sujet de la découverte que le sieur de Soubelette a faite dans son terrein, d'un kaolin d'excellente qualité, et du projet qu'il a formé d'établir sur les lieux une manufacture de porcelaine qui auroit un débouché facile en Espagne. Vous pouvez, Monsieur, prévenir ce particulier qu'il n'a pas besoin d'arrêt ni de lettres patentes pour former cet établissement et que ce genre d'industrie est libre, en se conformant aux règlements et notamment à l'arrêt du Conseil du 15 février 1776, dont je vous envoye ci-joint un exemplaire. A t'égard du kaolin qu'ii a découvert, je vous prie de m'en adresser une boëte d'une vingtaine de livres pour que j'en fasse examiner la qualité afin de m'assurer des avantages que l'on pourroit tirer de cette découverte.
Je vous invite, Monsieur, à procurer à l'établissement projeté par le sieur de Soubelette les facilités qui dépendront de vous et de lui accorder tout l'appui que paroit mériter une entreprise qui procure à votre Généralité un nouveau genre d'industrie et de commerce avec l'étranger.
Je suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.
(Signé) : Bertin,
M. l'Intendant de Bordeaux."
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"M. Bertin,
Bordeaux, ce 15 janvier 1780.
— Monsieur, En conséquence de la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 6 de ce mois, j'ai informé le sieur de Soubelette qu'il n'a besoin ni d'arrêt du Conseil ni de lettres patentes pour la fabrique de porcelaine qu'il est dans l'intention de former dans le pays de Labour où il y aura l'avantage d'un débouché prompt et facile pour l'Espagne, et je ne négligerais rien pour contribuer en ce qui dépend de moi, au succès d'un établissement qui peut devenir très utile à cette partie de ma Généralité. Vous désirez, Monsieur, un échantillon de la terre qu'il a découverte dans son fonds et qu'il destine à cet usage ; j'en fais remettre au carrosse public deux boëtes à votre addresse, l'une contient le kaolin et l'autre le petuntzé. J'ai lieu de croire que ces terres vous paroitront d'une qualité supérieure et je crois devoir vous rappeler qu'elles sont très abondantes dans ce lieu.
Je suis avec respect."
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