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vendredi 16 juin 2023

PAMPELUNE - IRUÑEA EN NAVARRE AU PAYS BASQUE EN SEPTEMBRE 1896 (deuxième partie)

 

PAMPELUNE EN 1896.


La guerre d'indépendance cubaine a duré de 1895 à 1898 et de nombreux Basques su Sud ont été envoyés à Cuba combattre l'armée libératrice cubaine, secondée dans un deuxième temps par l'armée des Etats-Unis.






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PORTAL NUEVO PAMPELUNE 1900
PAYS BASQUE D'ANTAN




Voici ce que rapporta à ce sujet le quotidien Le Journal, le 24 septembre 1896, sous la plume de 

Jean Lorrain :

"Soirs d'exil.


I. Pampelune.



Oui, nous en étions arrivés là, à nous asseoir, rendus de chaleur et de fatigue, sur ce banc de jardin public et à regarder défiler les nourrices. Peut-être trouverions-nous sous les rubans envolés qu'elles portent ici, comme par tout l'univers, un minois agréable où reposer nos yeux..., un sourire à petites dents, un regard expressif, une peau fraîche..., nous avions vu tant de faces empâtées, tant de larges prunelles, tranquillement bestiales.



Où sont les jolies femmes d'Espagne, tel était le maussade refrain que nous ressassions depuis la veille ; où se cachaient donc les Espagnoles tant vantées ! Hugo, Musset, Dumas et Théophile Gautier, tous avaient fait blanc de leur imagination, tous avaient donc impudemment menti. Rue de la Compania, où sont les filles, dans les églises, où fréquentent les femmes de toutes les classes, nous n'avions rencontré que des tailles épaisses et des mâchoires lourdes, de noires et courtes femelles comme façonnées à coups de hache, de gros yeux fixes de ruminants et des teints de café au lait ; mais en revanche, que de merveilles de pierre et de bois ajouré, travaillé et sculpté dans les églises et dans la cathédrale, que de retables, que de grilles de chœur, que de stalles renaissance, que de frises à personnages, que de fresques de cloître, une orgie de peinture, de dorure, un paradis de marbre, que de reliquaires, que de chasubles d'un prix inestimable, tissées d'argent, brodées et rebrodées de perles, ensoleillées. Que de tribunes, que de miradores treillagés, feuillagés, rehaussés d'or et de vermillon ! L'Espagne est le pays des émotions d'art répétées et violentes ; on y marche dans de l'Histoire peinte et sculptée à même les murailles ; la poussée du Passé y est demeurée vivante ; c'est un décor splendide, mais ce décor est vide, il est sans premier rôle, et ceux qui s'y promènent, sont à peine des figurants. Et nous étions donc là, échoués mélancoliques, dans ce jardin poussiéreux et brûlant ; c'étaient de pauvres pelouses roussies, coupées de massifs de géraniums, jardin planté presque sur le terre-plein des remparts avec autour de nous la chimérique et fuyante arabesque des montagnes de Navarre en déchiquetures sur l'horizon.



Il était près de cinq heures, les soldats sortaient des casernes, les mêmes soldats qui tout à l'heure avaient interrompu notre promenade sur le chemin de ronde et nous avaient forcé de retourner sur nos pas, et le jardin public était plein d'uniformes. 



Tout petits, des enfants ou presque avec leurs faces imberbes, des yeux naïfs sous leur shako blanc, les carabineros de la reine et tous l'air aussi étonné d'être là, dans Pampelune, loin de Cuba et des Antilles, que leurs compagnons avaient le matin l'air stupéfait d'y partir.



Car nous l'avions vu denier sous nos fenêtres le matin même, le dernier convoi militaire détaché à Cuba : des fanfares, un bruit de foule nous avaient réveillés, attirés au balcon. L'air stupide, résigné, d'un bétail qu'on mène à l'abattoir, il en avait passé trois cents, escortés par des cris, un semblant d'ovation... une centaine de gamins et de vieux ouvriers, l'éternelle foule qui marque le pas derrière les régiments et la foule seule avait de l'enthousiasme. Ils savaient trop ce qui les attend là-bas, sous le climat meurtrier de Cuba, les pauvres petits soldats espagnols, la fièvre jaune et la soif et la faim, les marches forcées au soleil des tropiques, pas même la bataille et le feu des embuscades, mais l'épidémie qui décime les rangs, l'insolation, ce coup de massue qui étale au travers du chemin le fantassin en marche ; puis l'ennemi invisible, le vomito negro, la maladie terrible avec laquelle il n'y a pas à combattre !



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GUERRE D'INDEPENDANCE DE CUBA
1895-1898



Pauvres petits carabiniers d'Espagne !



Et ils partaient, les bras ballants, sans armes. Ils trouveraient fusils et munitions à Barcelone où les attendait le paquebot.



Résigné, le soldat espagnol, mais héroïque. Il part sans enthousiasme, sans griserie guerrière, sans un hourrah, mais sans un murmure. Depuis un an, l'Espagne a envoyé cent quarante mille hommes à Cuba ; les Philippines lui en enlèvent des milliers toutes les semaines, et, en novembre, quarante mille hommes vont repartir aux Antilles : le convoi est voté ; les colonies boivent le sang de l'Espagne, et le peuple espagnol accepte sans mot dire ces levées en masse, impassible, il supporte, il subit ces terribles saignées, et les partis se taisent, ils attendent la fin de la guerre pour parler ; à l'heure du danger, il ne se rencontre chez eux personne pour tenter un coup d'Etat, faire échec à la reine, troubler l'ordre public.



La dynastie est respectée.



L'Espagne donne là, aux races latines, un exemple héroïque, mieux, un exemple unique : la France et l'Italie peuvent le méditer.



Les bras ballants, les petits carabiniers flirtent avec les nourrices, oh ! un flirt inconnu de nos troupiers français qui seraient déjà installés sur les bancs et serreraient de près les filles. Les soldats espagnols, l'air de petits garçons sages, se tiennent droits sur un rang, faisant face aux nounous. Elles sont assises, leurs nino somptueusement falbalassés de dentelles entre leurs bras ; elles sont coiffées d'éclatants rubans de soie qu'elles portent encore plus longs qu'en France, vêtues de robes claires et assez belles filles, mais d'une beauté lourde et commune qui laisse indifférente l'imagination affinée, même un peu énervée, de l'homme du Nord ; ce ne sont que des femelles, et le désir qu'elles inspirent à ces adolescents noirauds de l'armée espagnole, est nuancée de respect, car ils leur parlent à distance... ils leur parlent en s'accotant à l'épaule des uns des autres, quelques-uns le bras passé autour de la taille d'un camarade : il y en a même qui se tiennent par la main, visiblement hésitants, cherchant une contenance, et nous notons, comme un fait d'exception, le geste enveloppant et l'attitude prenante d'un Dumanet d'Espagne auprès d'une grande fille brune, cambrée et mince, l'air d'une Biacrote, et dont un rouge sourire à dents blanches éclaire tout le visage couleur de safran.. .une fille de la province de Léon, la nourrice au teint de gitane, un Andalou, le carabinier aux gestes caressants.



II Mme Poublique. 



Il est dix heures, une lune bleue découpe en pleine clarté les calles de Pampelune, crénèle étrangement les murailles ruinées, exagère, agrandit l'ombre portée des toits, des miradores et des balcons ; nous suivons une petite rue voisine de remparts, misérables maisons basses aux fenêtres grillées, clôtures en planches, vagues hangars ; l'endroit est d'une solitude encore aggravée par la limpidité de la nuit ; l'enceinte de la ville qui termine la calle n'a pas même à cette heure de soldat en faction. Nous sortons de chez Mme Poublique... Que faire dans cette ville morte, ensommeillée dès huit heures du soir ; il n'y a pas un journal français dans les fonda, il fallait bien tuer le temps. le chasseur de l'hôtel nous a servi de guide. Nous revenons écœurés et mortellement tristes ; la Mme Poublique de Pampelune est comme toutes les Mme Poublique des petites villes de France, d'Espagne et des autres nations. Le spectacle de la prostitution en maisons est un des plus mélancoliques que puisse contempler un homme qui n'a plus vingt ans. Notre curiosité n'a pas même été satisfaite ; nous rapportons de chez Mme Inès la conviction confirmée qu'il existe décidément un abîme entre la femme espagnole et la femme des autres pays. La race ibère échappe absolument à notre tempérament. Nous serons demeurés deux jours pleins à Pampelune, nous aurons battu les carrefours et les places, et la seule femme rencontrée aura été la nourrice de tantôt, la grande brune découplée sous son bonnet à rubans éclatants.


pais vasco antes navarra murallas
MURAILLES PORTE DE FRANCE PAMPELUNE
NAVARRE D'ANTAN


Nous avons congédié notre guide et marchons au hasard des rues... Tout à coup, sur une petite place, un bruit de voix, un rassemblement..., des hommes du peuple, quelques femmes, un caporal de carabiniers va et vient, escorté d'un soldat qui tient une bougie allumée, il se démène, une liste à la main, interpelle d'autres hommes, que nous distinguons rangés sur deux files, ceux que nous avions pris pour la foule ne sont que quelques assistants. La place est déserte, retirée, nous la reconnaissons maintenant ; c'est celle du square de la journée, la place du jardin public, et ce qui se passe sur cette place aux portes même de la ville, ces hommes rangés sous les ordres d'un caporal fébrile, ces chuchotements de femmes et de vieux, ce mystère, cette nuit, tout cela a un air frauduleux et furtif, un caractère d'énigme, de complot attachant.



Nous nous approchons ; les hommes, dont un caporal inscrit et rectifie les noms, sont en tenue de travail, et de travail des champs : ce sont des paysans.



La plupart sont en bras de chemise, la veste jetée sur l'épaule, les pieds nus dans des espadrilles, quelques-uns sans béret, les cheveux au vent : on les a pris à l'écurie, au moulin d'huile, à la charrue ; ils sont tous vigoureux, bien bâtis, dans la force de l'âge, de vingt-cinq à trente ans, et ils se poussent du coude, et ils rient, ils répondent à l'appel en se caressant le dos de bourrades, joyeux de coucher à la caserne, d'avoir quitté leur corvée quotidienne, leur pauvre et poudreux village, aux anges de ce séjour à la ville que l'autorité militaire leur impose. Inconscients de l'inconscience des jeunes animaux en folie, des écoliers et des enfants.



Nous, nous avons compris.



Les cinquante hommes, dont on fait l'appel, sont destinés à boucher les vides creusés dans les casernes par les départs pour Cuba, à reconstituer l'effectif des régiments. Ils ont cent cinquante mille hommes en ce moment dans les colonies, et les Philippines vont nécessiter de nouveaux départs ; alors, on recrute, on recrute, on recrute à force, on recrute en masse, on saigne à blanc les provinces, on décime les campagnes. La scène de recrutement, à laquelle nous assistons, cet enrôlement nocturne, dont un hasard nous a fait les témoins à Pampelune, se passe en ce moment même, se répétera demain, a eu lieu hier dans toutes les villes de l'Espagne, dans les provinces basques surtout, en Navarre, en Guipuscoa, en Biscaye où le pays est carliste, toujours dans l'attente d'un ordre du chef, prêt à une prise d'armes.



Le gouvernement a pris ce moyen d'éteindre petit à petit un parti inquiétant.



Par file à droite, marche. - Le caporal a baragouiné un ordre ; la petite troupe s'ébranle. Elle s'ébranle lourdement, gauchement, dans des rires et des chuchotements. Pauvres gens de la Navarre, reverront-ils seulement leur village de pierres sèches, leur montagne rocailleuse et leur pauvre carré de maïs ; ils défilent dans la nuit claire, quelques-uns ébauchent un pas de danse, un seul d'entre eux a une valise !



Ils sont partis pour la caserne, comme il partent le matin pour travailler aux champs."



A suivre...



(Source : Wikipédia)








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