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dimanche 18 juin 2023

UN VOYAGE AUX ALDUDES EN BASSE-NAVARRE AU PAYS BASQUE EN SEPTEMBRE 1903

UN VOYAGE AUX ALDUDES EN 1903.


Au début du vingtième, touristes et journalistes visitent, nombreuses et nombreux, l'intérieur du Pays Basque, et en particulier la Basse-Navarre.




pays basque autrefois basse-navarre tourisme
LES ALDUDES
PAYS BASQUE D'ANTAN




Voici ce que rapporte à ce sujet le quotidien La Petite Gironde, le 22 septembre 1903 :



"Un coin de France.


Saint-Etienne-de-Baïgorry, le 19 septembre. 



Je demande au lecteur bienveillant la permission de découvrir, aujourd'hui encore, un nouveau coin de France. C’est qu’en vérité les Français ignorent étrangement l'infinie variété et la beauté harmonieuse de leur pays. On s'en va très loin, en Suisse, dans l'Engadine, au Tyrol, au diable... On entreprend des voyages qui coûtent horriblement cher. On se fait écorcher vif par un Syndicat d'hôteliers, de guides et de cicerones dont la lucrative industrie se développe et prospère aux dépens des naïvetés de M. Berrichon. On revient de là-bas éreinté, fourbu, ayant mal vu la nature, à cause des encombrantes et banales cohues qui, dans ces lointaines contrées, grouillent, pullulent et vocifèrent au tour des spectacles pittoresques. Et nous oublions les incomparables paysages qui sont là, chez nous, à deux pas de notre logis, presque sous nos fenêtres, dans nos Alpes et dans nos Pyrénées ! 



autriche tyrol autrefois
TYROL 1900
AUTRICHE D'ANTAN



Je viens de découvrir — si j’ose m'exprimer ainsi — la vallée des Aldudes, qui est tout bonnement située dans le département des Basses-Pyrénées, arrondissement de Mauléon, canton de Saint-Etienne-de-Baïgorry. Et j’affirme que le fameux val de Tempé, en Thessalie, ne m’a pas laissé un souvenir plus profond ni des visions plus fraîches.



Quelle radieuse journée, digne d’être marquée d’un caillou blanc dans mon journal de vacances !... Départ de Saint-Jean-de-Luz, dans la sérénité d’une aube limpide. Les champs, emperlés de rosée matinale, scintillent aux rayons du soleil levant. L'air est d’une pureté, d'une transparence, d'une légèreté qui, en vivifiant tes poumons, réjouissent les yeux, désaltèrent les lèvres, délivrent l'âme, affranchie de la hantise des songes nocturnes. Les arbres verts sont gais sous le bleu d'un ciel lavé comme un fond d’aquarelle par l’eau des pluies récentes. On respire des effluves salubres. On chemine allègrement, par monts et par vaux, sur les routes ouvertes. On s'empare amicalement de la campagne étalée et souriante. On est heureux. 



Déjà le souffle de l'automne a éteint, sur les collines, la flamme innombrable des coquelicots. Mais la teinte cuivrée des maïs, grillés et roussis par l'été, avive d'une coloration chaude les verdures pâles ou foncées des herbages et des bois. Les dernières pâquerettes brillent d’un éclat candide, comme des étoiles blanches, sur les pelouses veloutées qui bordent le chemin. 



On marche d'abord, au creux des combes ou au penchant des coteaux, sans voir la mer. Bientôt, la butte de Guéthary offre aux yeux des passants, dans l'échancrure de deux falaises, un beau triangle d'aigue marine, jonché de pervenches, jaspé de moires serpentines, ourlé d'argent. Le golfe de Biscaye est tranquille, à peine ému par l'ondulation des grandes houles du large. Le va-et-vient des vagues molles flue et reflue, sans hâte et sans cesse, sur les galets, et s’éparpille en franges d'écume sur le sable fin d’une plage blonde... 



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AVENUE DE L'EGLISE GUETHARY 1900
PAYS BASQUE D'ANTAN



Sur les coteaux, disposés en talus, et florissants, fructifiant comme des espaliers, la façade des maisons basques, blanchies à la chaux, devient plus crue et plus éblouissante à mesure que le soleil monte au-dessus des pics de la Rhune et du mont Darrain. Cette blancheur vermeille, sans tache, contrastant avec l’ardente couleur des tuiles rouges, donne au paysage un air de propreté pimpante. Autour des maisons, les jardins d’automne sont pavoisés de tournesols. 



Près de Biarritz, le petit lac du Mouriscot, enchâssé dans la verdure comme dans une vasque d'émeraude, s'éveille à la lumière du jour et frissonne d’aise sous cette caresse de clarté neuve. La campagne, aux alentours de Bayonne, est une série de bois et de vallons que rafraîchissent les eaux claires de la Nive et de l’Adour. La ville s’annonce par de spacieuses avenues que bordent des alignements de platanes aux troncs gris et aux larges feuilles dentelées. Une ceinture de remparts verdoyants et fleuris étreint, comme un corset de forme ancienne, la grâce de cette cité antique et cependant coquette. 



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LAC MOURISCOT BIARRITZ
PAYS BASQUE D'ANTAN



L’Adour descend, d’une allure lente et majestueuse, vers le vaste ondoiement de l'Atlantique. En longeant les Allées-Marines, dont les ombrages abritèrent plus d’une fois la rêverie de Victor Hugo, on arrive, en traversant des bois de pins et de tamaris, à la Barre de l'Adour, c’est-à-dire à l’endroit ou les eaux fluviales sc mêlent aux eaux de la mer. Ce mélange, autour du phare et du sémaphore, produit des réussites de couleurs et de nuances à ravir l'œil d'un peintre : bleu saphir, vert opalin, tons d'azur et de sinople, chatoiements de satin mordoré, diaprures d'agathe et de perle, avec, çà et là, des glacis d'acier miroitant et des frottis d’étain mat... On voudrait tremper un pinceau dans cette onde enchantée... Si j’ai passé par la Barre de l’Adour en allant à Saint-Etienne-de-Baïgorry, c’est qu’on a le droit, en vacances, de prendre le chemin des écoliers.



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BARRE DE L'ADOUR 1904
PAYS BASQUE D'ANTAN



Le trajet de Bayonne à Saint-Etienne-de-Baïgorry, en passant par Ustaritz, Cambo et Ossès, est une joie de tous les instants. Je comprends que la Compagnie des chemins de fer du Midi, suivant l’exemple de certaines Compagnies américaines, ait fait aménager un "wagon-terrasse" à l’usage des voyageurs qui ne veulent rien perdre de ces merveilleux points de vue. La voie ferrée suit la vallée de la Nive, s'associant, presque d'un bout à l’autre, aux caprices de la rivière. C’est charmant d’être accompagné ainsi, de station en station, par la chanson de cette eau vivante, mouvante et changeante, qui répand dans tout le pays une délicieuse fécondité. Les pentes des collines, au-dessus de la rivière, sont feutrées de mousses et tapissées de fougères admirablement drues. Au milieu de cette verdure intense, la Nive coule, en longues sinuosités, avec des souplesses de couleuvre. Cette eau amuse tes yeux du spectateur par son scintillement de pierreries, et plait aux oreilles par le bruit continu de soie froissée qu’elle fait en se déployant sur les cailloux. Rien n'est plus divertissant que de regarder la façon dont la Nive se fraie un passage à travers les obstacles qui voudraient s’opposer à son cours. Elle fait le tour des blocs qu’elle ne peut franchir, glisse sur les roches inclinées, prend son élan, par des reculades opportunes, pour mieux rebondir par-dessus les gros morceaux de grès ou de granit. Rien ne l’arrête. Elle suit sa pente et va vers son but, comme si elle était animée par une volonté intérieure. On dirait qu’il y a une âme de femme dans la vie étincelante et fluide des sources et des rivières. L’eau est féminine par sa mobilité ondoyante et par sa fougue passionnée. Elle a tour à tour des colères d’amante indomptée et des langueurs d’épouse heureuse. Les grands peupliers minces qui semblent rêver mélancoliquement auprès de cette inquiétude errante, les saules penchés qui pleurent sur l’inconstance des rivières, sont peut-être des amoureux transis, métamorphosés en arbres. Je comprends que l'instinct mythologique des anciens ait vu se dessiner, dans la fuite de l’eau insaisissable et multiforme, les épaules des naïades et les hanches des ondines... 



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GARE DE CAMBO LABOURD
PAYS BASQUE D'ANTAN


Au delà de Cambo et de Bidarray, la vallée se resserre. On entre dans des gorges étroites où la coulée de la Nive est plus tumultueuse. L’eau s’engouffre sous un vieux pont aux arches en ogive. L’horizon est muré par de hautes parois montagneuses. Le fond du décor est occupé par des escarpements rugueux où les jeux de la lumière sont infiniment variés. 



On change de train à Ossès. Et ensuite, par une voie tortueuse et accidentée, on parvient à Saint-Etienne-de-Baïgorry, où "tout le monde descend", attendu que le chemin de fer, moins hardi que le télégraphe, refuse de grimper plus haut. 



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GARE D'OSSES BASSE-NAVARRE
PAYS BASQUE D'ANTAN


La route qui monte aux Aldudes est aussi commodément dessinée que la grande allée d'un parc. On marche, sans la moindre fatigue, à l’ombre des noyers et des chênes, en côtoyant un cours d’eau. C’est la rivière des Aldudes, descendue de la frontière d’Espagne, et dont l'eau, filtrée par le gravier des montagnes, est pure comme du cristal de roche. Cette vallée des Aldudes est un beau jardin naturel, où tout est disposé à souhait pour le plaisir des yeux et pour le repos de l'esprit. L’harmonie de ce paysage est faite d'un contraste savamment ménagé entre le charme des premiers plans et la sublimité fa rouche des lointains. On est au cœur des Pyrénées. La contrée est dominée par le pic de Lohiluz et par le mont Hangaray. De temps en temps, on aperçoit par-dessus la tête des collines un sommet sourcilleux, tailladé de brèches qui ressemblent à des créneaux. Et, au-dessous de ces visions formidables, la vallée s’ouvre, avenante et facile, toute bruissante du murmure des sources et de la chanson des oiseaux. Le dôme des branches verse une ombre fraîche. Les feuilles s'agitent doucement, comme des éventails. On voudrait vivre dans cet asile de calme et de béatitude. On envie les bonnes gens qui sont nés dans les chalets de cette vallée et qui, en ce coin éloigné, à l'abri des vacarmes de la mêlée sociale, mènent une existence pastorale et champêtre, tranquillement réglée par l'alternance des raisons, égayée sans cesse par le clapotis des vagues, mélodieusement cadencée au rythme des clochettes qui, de loin, signalent la présence des troupeaux dans les pâturages pyrénéens. 



Au soleil, sous le ciel de cette lumineuse journée, la rivière des Aldudes semble rouler dans ses flots toute une joaillerie de diamants taillés à facette. Sur les deux rives, aux hampes sveltes des peupliers argentés, les feuillages, remués par la brise et parés de reflets par la clarté radieuse de l’après-midi, font scintiller dans l’azur céleste et dans le glauque miroir des eaux un papillotement de paillettes... Du haut des ravins, on voit luire la rivière, jolie à travers la végétation des aulnes, des noisetiers et des sureaux. Et enfin, ce qui est exquis, c’est que, d’un bout à l'autre de ce chemin, on entend couler, toujours couler, inépuisablement, cette eau divine. Elle vient des sources cachées que recèle l'inaccessible hauteur des cimes. Elle a un bon goût de neige fondante. On la sent partout, dans cette vallée de délices. On est accompagné, d'un bout à l’autre de cette ascension aux Aldudes, par ce bruissement liquide, si rafraîchissant et si doux. L’eau, sur ces gradins de terre labourée et sur ces écroulements de pierres éternellement lavées, n'est pas seulement massée en gaves bouillonnants et en torrents impétueux. Elle se ramifie en une infinité de ruisselets et de rigoles. Elle enveloppe la campagne tout entière dans le réseau de ses filets. On la sent partout diffuse, et qui s'insinue en d'invisibles fissures, et qui détrempe la glèbe, sous la mousse humide, afin que la sève monte aux rameaux des arbres et au calice des fleurs. 



pays basque autrefois basse-navarre
LES ALDUDES BASSE-NAVARRE
PAYS BASQUE D'ANTAN



C’est pourquoi, dans cette vallée des Aldudes, l’automne n’a pas encore mis aux frondaisons des bois une seule tache de rouille. La vie végétale y est aussi verdissante qu’en plein été. Les sorbiers, constellés de grappes écarlates, n’ont point perdu de feuilles. Chemin faisant, au sortir des chambres de verdure que forment les futaies de châtaigniers et de hêtres, je vois des Basques, au teint halé sous le béret bleu, travailler allègrement à la fenaison de leur regain. L’air est embaumé d’un parfum de foin coupé... 



Pourquoi ne dirais-je pas, en finissant, que j’ai trouvé au bourg des Aldudes, chez le plus hospitalier fonctionnaire des Douanes françaises, une excellente bouteille de vin vieux ? Ma foi, nous avons trinqué de bon cœur. Les plus belles eaux du monde ne me feront jamais dédaigner le bouquet du vin de Bordeaux."







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