10 JUIN 2023 : CENTENAIRE DE LA MORT DE PIERRE LOTI.
Cela fait cent ans aujourd'hui que décédait à Hendaye (Basses-Pyrénées) cet immense écrivain, amoureux du Pays Basque, Pierre Loti.
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| EN SOUVENIR DE PIERRE LOTI 10 JUIN 1923 |
Voici ce que rapporta à son sujet Louis Barthou de l'Académie française dans l'hebdomadaire Les
Annales politiques et littéraires, le 1er juin 1924 :
"Pierre Loti. Sa vie et son oeuvre.
A l'occasion de l'anniversaire de la mort de Loti, M. Serban publie un livre plein de choses et très exactement documenté. Il a demandé à M. Louis Barthou, le plus intime ami de l'auteur d'Azyadé, de présenter l'ouvrage au public. Dans cette préface, M. Barthou évoque la physionomie et analyse l'oeuvre du cher disparu. Voici cette page émue, délicate et pénétrante :
La mort de Pierre Loti est un grand deuil pour les lettres françaises et même, s'il faut tout dire, elles ne pouvaient pas éprouver de perte plus grande. D'autres renommées sont plus tapageuses ; elles doivent à la politique une part de leur succès : la gloire de Loti ne devait rien qu'à elle-même. On la voyait depuis des années se faire une place unique et installer une conquête que personne ne lui disputait. Dans les enquêtes ouvertes sur le mouvement littéraire, où la jeunesse donnait librement son avis, il était rare que Loti n'eût pas le premier rang ; la majorité des voix discernait dans son oeuvre des qualités dont il avait seul le secret et que la littérature française n'avait pas connues avant lui. On ne pouvait le rattacher à personne et il était vain de lui chercher une filiation. Anatole France procède de Voltaire et de Renan. Pierre Loti, littérairement, n'avait pas de père et il représentait par son éclosion spontanée une sorte de miracle.
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| ECRIVAIN PIERRE LOTI |
Quand il fut reçu à l'Académie française, il fit une déclaration dont on s'étonna : il dit qu'il ne lisait jamais. Il avait, en effet, sauf pour les besoins de son métier de marin, lu peu de chose et l'oeuvre d'autrui ne l'intéressait pas. Ce n'était pas un parti pris d'ignorance, un défi de paresse ou une vanité méprisante. Il ne lisait pas, simplement parce qu'il n'en sentait pas la nécessité. Quand on voulait l'apparenter à un autre et lui trouver, de gré ou de force, une paternité, on risquait des erreurs grossières. Ainsi Brunetière s'avisa de découvrir un jour, en jugeant une oeuvre nouvelle de Loti, que d'ailleurs il admirait, qu'elle avait puisé son inspiration dans Salammbô. Rien n'était moins vrai : Loti ne connaissait pas le chef-d'oeuvre de Flaubert et je l'ai entendu s'amuser de cette méprise.
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| PIERRE LOTI ACADEMIE FRANCAISE |
Ceux qui ont la manie de la comparaison le rattachent à Chateaubriand, mais il n'y a pas de vue plus superficielle. Sans doute, ils furent l'un et l'autre de grands voyageurs, mais c'est le seul point par lequel ils se ressemblent : leurs procédés et leurs talents n'ont rien de commun. La phrase de Chateaubriand a l'ampleur d'un manteau de cour : elle est faite de pourpre et d'or. Celle de Loti a la simplicité d'une impression directe et sincère. Il emploie les mots de tout le monde, mais il en use avec un art que personne n'a égalé ou imité. La langue de Chateaubriand, pourtant si riche et si belle, a vieilli : celle de Loti ne se fanera pas ; elle est faite d'un tissu sur lequel le temps n'aura pas de prise et, ne devant rien à la mode, elle enchantera toujours.
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| PIERRE LOTI ACADEMIE FRANCAISE |
N'est-il pas curieux qu'Anatole France et Pierre Loti se soient immortalisés sous des pseudonymes ? Leur nom littéraire n'est pas leur nom de famille. La chance les a bien servis : je préfère France à Thibault et Loti à Viaud. L'auteur de L'Orme du Mail s'est paré d'un surnom que les camarades de garde de son père avaient donné à celui-ci, sous Louis-Philippe, pendant leurs factions aux Tuileries ! le surnom a fait fortune. Celui de Loti était né d'un voyage. J'ai lu, tout de suite après sa mort, que ses camarades l'avaient emprunté à une fleur de l'Inde pour caractériser sa timidité et sa modestie. On l'écrivait de son vivant, et il s'en irritait. D'abord, il n'était pas timide, et il faut avouer qu'il n'était pas modeste : il le reconnaissait lui-même avec une crânerie charmante. Et puis, on ne pouvait écrire cette "imbécillité", comme il la qualifiait avec un juste dédain, sans avoir lu Le Mariage de Loti. Comment oublier la page délicieuse où le jeune officier de marine raconte son baptême "au milieu des mimosas et des orangers, dans une atmosphère chaude et parfumée, sous un ciel tout constellé d'étoiles australes", dans les jardins de la reine Pomaré ? Trois Tahitiennes couronnées de fleurs, Ariités, Faïmana et Téria, après avoir inutilement prononcé le nom européen de leur ami, dont les sons durs blessent leurs gosiers maoris, lui donnent, en l'appelant Loti, le nom d'une fleur, ce nom que la petite Rarahu prononcera si souvent avec tant d'ingénue tendresse pour lui dire son amour. "E Loti, tan talo rahi e." ("O Loti, mon grand ami !")
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| PIERRE LOTI |
Ce prénom, décerné par des femmes dans une île lointaine à un voyageur de passage, devait immortaliser des chefs-d'oeuvre où l'amour et la nature exotique ont trouvé une expression jusqu'alors inconnue dans la langue française. Pierre Loti est un créateur. Avec lui, il y a des apports : il n'y a pas des emprunts. Tandis qu'Anatole France, si grand écrivain, laisse deviner les sources livresques de son talent, Loti ne doit rien qu'à la nature, dont il est le peintre fidèle et sincère. Les systèmes, les théories, les régimes passent, et ceux qui s'y attachent risquent de voir un jour chanceler leur gloire ; au contraire, la nature est éternelle, et ceux dont elle a inspiré le génie sont assurés de l'immortalité. Ni Les Idylles de Théocrite ni Les Bucoliques de Virgile n'ont vieilli et, malgré tant d'autres beautés, l'épisode des Laboureurs est ce qu'il y a de plus durable dans le Jocelyn de Lamartine.
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| PIERRE LOTI |
Loti, pour écrire en prose, n'en est pas moins un poète, à l'égal des plus grands. Il y a eu du divin dans ses yeux, où se sont reflétés tant de paysages. Il voyait ce qui échappait aux autres et rien ne se perdait de ce qu'il avait vu. A ce don incomparable, il ajoutait un art mystérieux. Il choisissait, d'un instinct sûr, les détails et les épithètes propres à traduire ses visions. Aucune erreur de goût n'en a jamais déparé l'expression, dont l'exactitude et la perfection tiennent du miracle. Savait-il lui-même son secret ? J'en doute : les rosiers savent-ils comment ils produisent des roses ? Loti est né pour voyager, pour aimer et pour écrire. Il connaissait son destin et il en acceptait la loi.
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| PIERRE LOTI |
"Je ne sais pas, a-t-il dit, si beaucoup d'hommes ont comme moi, depuis l'enfance, pressenti toute leur vie. Rien ne m'est arrivé que je n'aie obscurément prévu dès mes premières années."
Cela s'appelle une vocation. Partout, il a obéi à la sienne. Partout, il a été lui, avec une âme curieuse et inquiète, promenant à travers la variété des paysages et la vanité des distractions la monotonie de son désenchantement.
Il avait pris pour devise : "Mon mal, j'enchante" ; mais ce mal, il ne réussissait qu'à l'engourdir sans l'éteindre. Combien ont rêvé d'une existence semblable à la sienne, parce qu'ils n'en ont vu que les apparences, les dehors et les décors ! Faite d'amour et de gloire, elle n'était pourtant que l'illusion du bonheur. Le plus grand peintre de la nature que la littérature française ait connu, celui dont les pays qu'il a parcourus et dépeints sont inséparables des traits qu'il leur a donnés, avait une autre sensibilité que celle des yeux : il avait celle de l'âme. On calomnie à la fois son oeuvre, son génie et son caractère quand on lui refuse le don de penser. Certes, il n'avait pas de système philosophique ni de plan arrêté sur l'univers et sur l'homme, mais il était obsédé par l'angoisse des problèmes que pose notre destinée. J'ai été le confident de ces troubles ; en le disant, je ne commets pas une indiscrétion, que tant de ses livres trahissent. Il y a dans sa Jérusalem ou dans son Pèlerin d'Angkor des pages où son inquiétude, au sens philosophique du mot, a trouvé les accents les plus émouvants.
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| PIERRE LOTI |
Pierre Loti, né protestant, l'était resté par respect des traditions familiales et par affection pour ses ancêtres dont il a fait d'inoubliables portraits. Mais il n'avait pas la foi. Il l'avait cherchée sans l'atteindre, et, hanté par la peur de la mort dont il ne savait pas les lendemains, il en a imprégné toute son oeuvre. Ceux-là le jugent mal qui ne voient d'elle que les frivolités, les distractions, les fantaisies, les amours passagères. Avec le recul du temps, elle prendra toute sa signification. Ses côtés légers plairont toujours, mais on sentira de mieux en mieux ce qu'elle a de tragique et de douloureusement humain. Chateaubriand nous accable de son ennui, mais comme il y a loin de sa désespérance, même si on la croit vraie, au doute qui empoisonne chez Pierre Loti les impressions, les sensations et les souvenirs où il ne trouve que la déception d'un mirage ! Il souffre sincèrement et, s'il ne fait que rarement l'aveu direct de sa souffrance, c'est par une sorte de pudeur qui refuse son secret.
Aucun être, en apparence si simple, ne fut, au fond, plus complexe. Il vécut plusieurs vies, dont le roman amuse, mais il eut plusieurs âmes, dont les contradictions mystérieuses sont profondément émouvantes. On ne lui a pas encore rendu toutes les justices qu'il mérite. Mais déjà la postérité commence. Sa mort a révélé sa grandeur et la place qu'il occupait. Les funérailles qu'on lui a faites aux frais de l'Etat sont un hommage, mais sa gloire ira grandissant. Anatole France a dit, un jour :
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| FUNERAILLES DE PIERRE LOTI ROCHEFORT JUIN 1923 |
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