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mercredi 14 juin 2023

L'ILLETTRISME AU PAYS BASQUE NORD EN 1935 (troisième et dernière partie)

 


L'ILLETTRISME EN 1935.


Dans les années 1930, un illettrisme important est constaté chez les jeunes Basques lorsqu'ils effectuent leur service militaire.




armée hussards tarbes caserne
CASERNE HUSSARDS 65 TARBES




Voici ce que rapporta à ce sujet le journal La Grande Revue, le 1er décembre 1935, sous la plume 

de Jean Lahargue :



"La plaie des illettrés.



... III. — Responsabilités.


Nous permettra-t-on, sinon des conclusions formelles, du moins quelques commentaires ? Car, même si la limitation dans le temps et dans l’espace de notre investigation ne saurait nous permettre de généraliser, toutefois il nous paraît que les chiffres plus haut énumérés comportent quelques enseignements.



Et d’abord, n’essayons pas d’atténuer l’impression pénible qu’ils ne peuvent manquer de laisser. Déconcertant, inquiétant, irritant, tel apparaît ce bilan de l’instruction de quelques milliers de jeunes gens pris au hasard et qui, théoriquement, auraient dû bénéficier pleinement du régime d’instruction obligatoire et gratuite sous lequel nous sommes censés vivre depuis cinquante ans.



illettrisme armée éducation
ILLETTRISME A LA CASERNE



En réalité, depuis cinquante ans, nous vivons sur une illusion d’obligation. Pour l’immense majorité de ces jeunes gens, la loi est comme si elle n’avait jamais été votée : voilà le fait.



Allons-nous refaire le procès de la loi de 1882, difficile à appliquer, il faut le reconnaître ? A quoi bon, puisque cette loi est condamnée, et puisqu’un texte, plus souple et plus pratique peut-être, doit la remplacer ! Sans doute, mais ce nouveau texte, déposé dès le lendemain de la guerre, sommeille depuis quinze ans dans les cartons du Parlement : de temps en temps, on l’en tire pour l’épousseter, puis l’on retourne à des travaux plus pressants. Qui ne voit que la négligence du législateur est plus coupable encore que celle des familles ?



Mais ce n’est pas tout. Il y a parmi les illettrés des orphelins, des pupilles de l’Assistance publique, des pupilles de la Nation, et surtout, dans une proportion saisissante, des enfants de familles nombreuses : toutes catégories sur lesquelles la société étend sa sollicitude, la manifeste par une aide matérielle qui va, pour certains, jusqu’à la prise en charge totale. Comment a-t-elle pu aussi insuffisamment assurer à ses protégés, sinon le pain du corps, du. moins celui de l’esprit ? Ici, ce n’est pas l’appareil législatif qui est en défaut : pour les enfants dont l’Etat assume la tutelle, le contrôle de la fréquentation est organisé quasi automatiquement. Est-il pour autant efficace ? Il n’est pour s’en rendre compte que d’avoir vu l’exploitation par certains nourrisseurs des pupilles de l’Assistance.



Les allocations aux familles nombreuses devraient avoir pour contrepartie une obéissance exacte aux exigences de la loi scolaire. Mais chacun est disposé à recevoir les bienfaits des lois sociales, beaucoup moins à en accepter les charges. Et à quelles mains en est confié parfois le fonctionnement ! Nous pourrions citer plus d’un cas où l’instituteur ou l’institutrice de campagne s’est vu l’objet d’une violente hostilité pour avoir voulu protéger contre d’évidents abus des enfants qui soulevaient sa pitié. Nous pourrions citer tel maire de village qui, non content de toucher l’allocation aux familles nombreuses pour ses enfants inscrits à l’école (et ne la fréquentant point !), prétendait obtenir des certificats de scolarité pour ceux qui avaient largement dépassé l’âge scolaire. Pensez-vous que le maire fut révoqué ? Non, mais l’institutrice dut partir.



Que dire enfin de ces petits malheureux qui sont domestiques dès leur huitième année ? La loi qui les protège contre un placement prématuré dans l’industrie est muette en ce qui concerne le louage chez des cultivateurs.



Concluons sur ce point : la tutelle de l’Etat sur l’enfance en général et même sur cette partie de l'enfance à qui il assure en quelque mesure la subsistance, est insuffisante à la protéger contre la rapacité des uns, l'inintelligence des autres. Il a laissé se créer ces habitudes de négligence, de laisser-aller et de nargue à la loi, qui empêchent de produire tous ses fruits le magnifique et à beaucoup d’égards héroïque labeur des législateurs de 1882.



Une large part faite à l’indiscipline et à la désobéissance, filles perverties de la liberté, pouvons-nous penser qu’il suffirait d’y mettre un terme pour guérir, du coup, celte maladie honteuse et anachronique de l’ignorance ?



Nous avons observé combien de futurs illettrés étaient séparés de l’école par des distances de plus de 3 ou 4 kilomètres, et non pas kilomètres de routes goudronnées, mais de mauvais chemins, pénibles, tortueux, parfois périlleux. Que devient la règle tant de fois rappelée : "Tout enfant d’âge scolaire doit avoir à sa portée une école ?" Pour tous ces enfants qui vivent dans les "écarts", dans les fermes isolées ou groupées par deux ou trois, la loi a prévu uniquement la création d’écoles de hameaux. Mais ces écoles ne sont obligatoires que si elles peuvent réunir 20 enfants. Et si le hameau ne contient que 19 ou 15 ou 10 enfants ?



Il reste, il est vrai, pour les parents, la possibilité de mettre leurs enfants en pension, et le devoir pour l’Etat de les y aider.



Et il existe, en effet, depuis peu un crédit au budget pour donner des subventions aux familles dont les enfants ne peuvent rentrer à la maison le soir, ou même, ô candeur ! à midi. Ce crédit est de 800 mille francs ! Il le faudrait vingt fois plus élevé.



Il y aurait encore une autre manière de mettre l’école à la portée des enfants. Ce serait de les y transporter. Le ramassage des élèves en automobile n’est pas une utopie. Le législateur y a pensé : il met à la disposition des communes qui organiseraient de tels transports une dotation de cent mille francs !



En vérité, nous nous heurtons ici à cet incroyable esprit de lésine qui fait de l’école française l’une des moins bien dotées de l’Europe. Nous ne voulons pas méconnaître ce qui a été fait pour multiplier les écoles : nous disons qu’il n’a pas encore été assez fait. Nous disons que les moyens d'instruction ne sont encore ni assez nombreux, ni assez judicieusement répartis, ni organisés avec un intelligent modernisme. Nous disons que la "révision de la carte scolaire", dont on a tant parlé, est de toutes les révisions administratives possibles, celle qui devait le moins être entreprise dans un esprit d’économie. Nous disons que la suppression décidée l’an passé, et réalisée d’un trait de plume, de cinq mille écoles, sans compensation aucune (si ! un droit de priorité pour les familles intéressées sur les huit cent mille francs plus haut mentionnés) fut une mesure insensée, la plus propre à jeter dans les esprits le scepticisme et la démoralisation. Si elle eut un effet utile, ce fut celui qu’on n’attendait pas : la violente réaction des populations, les pétitions, les grèves scolaires, les démissions de municipalités, les menaces de refus d’impôts, prouvèrent que les paysans n’entendaient point être privés de leurs écoles : leçon de bon sens et de vraie démocratie à l’adresse des dirigeants.



Enfin, réfléchissons, en songeant à nos demi-illettrés, à ce redoutable déchet du savoir qui se produit durant l’adolescence : même les techniques élémentaires, même les connaissances instrumentales, s’effritent et s’effacent si elles ne sont utilisées, entretenues, ravivées. C’est que, ni à 11 ans, ni à 12, ni à 13, on ne saurait parler de savoir définitivement acquis. Ni à 11 ans, ni à 12, ni à 13, il n’est temps de mettre fin à l’entreprise d’instruction. Au contraire, c’est au moment où la plupart des enfants quittent l’école quelle leur deviendrait vraiment profitable-



Or, il faut avouer la totale (ou peu s’en faut) carence de nos institutions scolaires en ce qui concerne cette période capitale de l’existence qui va de 13 à 18 ans. Le problème que d’autres pays ont abordé et résolu avec plus ou moins de bonheur, nous l’avons éludé ou envisagé avec une singulière timidité.



Déjà, alors que, dans la plupart des pays voisins, la scolarité proprement dite s’étend jusqu’à 14, 15, voire 16 ans, nous en restons à cette limite de 13 ans, qui fut au temps de Paul Bert une belle hardiesse, qui paraît aujourd’hui singulièrement étriquée et insuffisante. Nous n’abordons plus ces problèmes qu’avec une timidité et une lenteur paralysantes. Il y a quelques mois, on a pu penser qu’à la faveur de la lutte contre le chômage la prolongation d’un an de la scolarité normale allait être décrétée. Il aurait fallu créer quelques milliers de postes d’instituteurs (précieux débouché pour cette jeunesse cousue de diplômes dont Nestor, ici-même, nous décrivait naguère l’angoissante détresse) : la considération des crédits à voter a fait avorter le projet.



Les cours d’adultes, palliatif illusoire malgré des trésors de dévouement et d’ingéniosité dépensés, meurent de leur belle mort, dans le désintéressement total de l’Etat et des collectivités locales. Les cours professionnels, créés par la loi Astier, ne touchent qu’une faible partie de la jeunesse. Et enfin, ici aussi, un projet de loi d’organisation de l’enseignement post-scolaire est en sommeil.



Il faut absolument le reprendre et le faire aboutir. Ne serait-ce que pour permettre un meilleur aménagement — en les étalant sur une plus longue période — des matières d’enseignement entassées entre 6 et 13 ans. Ne serait-ce que pour atténuer les conséquences du grave déséquilibre que peut créer, que crée effectivement la gratuité de l’enseignement secondaire. Cette réforme d’inspiration généreuse, de stricte et intelligente justice, a cependant pour effet d’enlever aux masses populaires, spécialement aux masses rurales, leurs meilleurs éléments, d’élargir entre l’élite cultivée, accrue en nombre et en valeur, et la foule restante, un hiatus redoutable. Comment la combler, sinon en élevant le niveau de celte foule, en la faisant participer sans la déraciner à une culture moins rudimentaire et fugitive ? Il faut assurer le recrutement des élites locales, si nécessaires à notre démocratie. Si la France, comme on l’a si souvent répété, doit se sauver par la qualité, il faut du moins que cette qualité ne reste pas le privilège d’une poignée.



Naguère, le changement d’appellation du ministère de l’instruction publique, devenu ministère de l’Education nationale, a pu faire croire qu’une ère de réalisations inspirées de vues larges et hardies, allait s’ouvrir. Jusqu’ici, l’étiquette seule paraît avoir changé. Nous ne saurions oublier la pénurie des moyens financiers, qui paralyse tant de bonnes volontés. Toutefois, l’exemple est à nos portes de nations qui, se débattant au milieu d’angoisses économiques dix fois pires que les nôtres, ont créé de toutes pièces pour l’enfance et pour la jeunesse des méthodes et des moyens de culture dont nous commençons à voir les effets.



En vérité, c'est autant et plus une question de conviction qu’une question de ressources. L’étonnant essor de l’école primaire française voici un demi-siècle, fut dû à un acte de foi profonde dans les destinées de la démocratie. Si la génération aujourd’hui au pouvoir se montre si déplorablement incapable d entretenir cet essor et d’assurer à cette œuvre ses lendemains, ne serait-ce pas quelle a perdu la foi ?



P.-S. — Depuis que ces pages ont été écrites, quelques centaines de décrets-lois ont été promulgués. Beaucoup n’ont qu’un assez lointain rapport avec la défense du franc, qui en a été l’occasion : visiblement, le pouvoir exécutif a utilisé la procédure expéditive mise à sa disposition pour "dépanner" certaines réformes trop lentes à sortir de l’usine législative.

Qu’il eût été aisé de "dépanner" ainsi le projet sur l’obligation scolaire, lequel ne saurait coûter au budget la moindre dépense supplémentaire ! Nul ne paraît y avoir songé. Mais de nouvelles suppressions d’écoles sont en vue..."




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