LES "HÔTES DE LA MAISON BASQUE" EN 1898.
Au début du 20ème siècle, les animaux domestiques occupent une grande place, dans le monde rural, et en particulier au Pays Basque.
Voici ce que rapporta à ce sujet la revue bimensuelle La Femme, le 1er juin 1898, sous la plume
de Mme d'Abbadie d'Arrast :
"Les "hôtes de la Maison Basque" (suite).
Chez tous les peuples, à toutes les époques, les récits populaires, les fables, les proverbes, les dictons ont reconnu aux bêtes un don spécial pour instruire et amuser les hommes. Les bêtes, il faut l'avouer, se sont montrées à hauteur de leur mission et ce dont nous leur devons une gratitude infinie, c'est qu'elles ont su éviter le piège de rendre la vertu ennuyeuse.
Les Basques ont des légendes, des proverbes, des dictons, des sortes de jeux de devinettes fort répandus parmi eux : les bêtes n'en sont pas tout à fait exclues, mais elles y jouent un rôle moindre, un rôle effacé, et lorsqu'entre en scène un compère renard, plein d'astuce, une fourmi industrieuse, eh bien ! cela ne sent plus son Basque ; on y devine des réminiscences du roi Salomon, des emprunts que l'auteur a faits au bon La Fontaine.
LEGENDES BASQUES DE JEAN BARBIER ILLUSTRATIONS PABLO TILLAC |
Dans, le recueil des Proverbes d'Oyhénart, que nous avons eu l'occasion de citer plusieurs fois, nous trouvons une allusion au temps où les oiseaux parlaient : "Le conte de vieille porte. Jadis, au temps où les oiseaux parlaient, un oiseau, en hyver, étant tout gelé de froid, aborda un nid et l'ayant trouvé occupé par un autre oiseau, désirant l'en faire sortir, il voulut lui persuader que le soleil était bien chaud en la montagne de Orhi. Mais l'autre, connaissant la fourbe, lui répartit qu'il ne faisait que d'en venir et qu'il savait quel temps il y faisait. — Le soleil est bien chaud à Orhi ! — "J'y ai esté et ne fais qu'en venir." Orhi est le nom d'une haute montagne dans les Pyrénées, laquelle est presque toujours couverte de neige. Or, le passage que nous avons relevé ci-dessus, est une annotation de l'éditeur qui avoue, avec ingénuité, que c'est "un ajoustement au texte basque, pour plus ample explication d'iceluy !" La note n'est certainement pas marquée au coin de l'imagination basque.
LE PIC D'ORHY PAYS BASQUE D'ANTAN |
Cependant nous avons trouvé quelquefois chez d'anciens paysans des réminiscences du temps quand les animaux savaient parler. Nous aurons l'occasion de revenir sur ce point à propos du renard.
Les vieilles chansons nationales empruntent des images, comme l'oiseau en cage, comme la colombe qui gémit. Mais selon l'observation que nous en a faite un Basque, homme de goût et instruit des tournures d'esprit de ses compatriotes, les images qu'emploie le poète, l'oiseau, la colombe, ne mettent pas en action ces bêtes elles-mêmes ; ce sont de gracieux emblèmes dont l'auteur se sert pour dissimuler d'une façon discrète l'amie, la personne dont il veut célébrer les charmes.
LES POEMES BASQUES PAYS BASQUE D'ANTAN |
Les rares fragments de littérature basque que l'on possède, d'une antiquité plus ou moins controversée, sont en général pauvres au point de vue animalesque. Celui qui occupe la scène, c'est l'homme et toujours l'homme. Dans le chant des Cantabres, dans les quelques vers que l'on a conservés du chant intitulé La bataille de Béotibar, il n'est question que de l'homme. Dans le chant d'Altobiscar, nous avons vu apparaître, dans une strophe, le chien aux côtés de son maître. Le reste du morceau est tout consacré à l'homme. Dans les deux chants en l'honneur du vicomte de Belzunce et du comte d'Estain, l'absence complète de la plus lointaine allusion à un animal quelconque frappe extrêmement quand on a fait porter son étude sur ce côté spécial de la littérature.
ROLAND A RONCEVAUX PAYS BASQUE D'ANTAN |
Dans les légendes, la même constatation doit étonner encore davantage, car nous savons la place prépondérante que les bêtes tiennent chez toutes les autres nations lorsqu'il s'agit de traditions populaires et de superstitions. Partout ce ne sont que loups garous, apparitions fantastiques d'hydres, de serpents, de chiens isolés et en meute, de cavaliers qui traversent les nues, et cela à toutes les époques : depuis l'antiquité la plus reculée jusqu'à nos jours et sous les cieux les plus divers, depuis les peuplades des zones torrides jusqu'aux nations vouées aux neiges et aux glaces. Il en est de même pour les superstitions, les croyances, les religions "fétiches" généralement répandues à travers le globe, dont on retrouve des traces encore de nos jours chez les Fidgiens, chez les Peaux-Rouges dans l'Inde et chez les Mongols.
Légendes et superstitions chez les Basques sont extrêmement anthropomorphes. Les bergers basques redoutent un être fantastique qui est un homme sauvage, et ils reconnaissent l'existence d'une femme sauvage : Basa-Yauna et Basa-Andéria, qu'ils décrivent sous une forme humaine ; qu'ils redoutent à cause de leur méchanceté et de leur force musculaire.
BASA JAUN PAYS BASQUE D'ANTAN |
Il est permis de supposer que cette forme anthropomorphe de la superstition prend son origine dans les antiques souvenirs que la population a conservés des hommes exclus de la société à cause de leur crimes, d'outlaws, de parias, peut-être de troglodytes, habitants sauvages primitifs des Pyrénées, que l'immigration des Basques a dépossédés de leurs repaires et a refoulés plus avant dans les forêts, vers les hautes cimes. Encore aujourd'hui, on croit voir le Basa-Yauna, on l'entend, ou souffre par lui, et l'on tremble à l'idée de sa rencontre.
Une autre forme anthropomorphe de la légende du Basque, c'est le petit peuple de nains, les Laminacs, réminiscence peut être des Génies de Rome, des "Lamiae" ! Ou bien explication enfantine du bruit sourd que le berger entendait dans la montagne pendant qu'il gardait son troupeau. Les mines de cuivre et de fer ont été exploitées vers les temps préhistoriques, à l'époque des Romains et à travers tout le moyen âge dans les Pyrénées. Les mineurs invisibles, cachés au sein de la terre, frappaient dans les entrailles de la roche pour en extraire le minerai. Le berger croyait alors entendre bourdonner le peuple actif des laminacs. Ces génies demeurent sous terre, dans les grottes, dans les galeries des mines : ils sortent le soir pour venir s'ébattre dans les prairies au clair de la lune ; ils entrent en relation avec les laboureurs, avec les ouvriers, avec les ménagères. Ils aident les uns, ils contrarient les autres ; ils ont de capricieuses humeurs, il faut se méfier de leurs tours. Le chant du coq le matin les met en fuite. Tous portent un nom d'homme, toujours le même, un nom de baptême, celui de Guilhem.
Les gens d'Espès disent que les Laminacs ont bâti l'église de leur village en une seule nuit : les Laminacs se passaient les pierres l'un à l'autre et ils disaient : "Tiens, Guilhem ! — Prends, Guilhem ! —Voilà, Guilhem." Ils étaient douze mille, et ils s'appelaient tous Guilhem. Mais pour avoir travaillé précipitamment, ils firent le mur penchant sur la route, comme tout le monde le voit encore aujourd'hui.
EGLISE D'ESPES-UNDUREIN PAYS BASQUE D'ANTAN |
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