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lundi 12 juin 2023

"UNE HISTOIRE DES BASQUES" PAR ADRIEN PLANTÉ EN 1897 (quatrième partie)

 


"UNE HISTOIRE DES BASQUES" PAR ADRIEN PLANTÉ.


Pierre, Raymond, Adrien Planté, né le 4 octobre 1841 à Orthez (Basses-Pyrénées), mort le 27 mars 1912 à Orthez (Basses-Pyrénées), est un député français, historien, félibre et homme de lettres.



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ADRIEN PLANTE



Voici ce que rapporta à ce sujet, en 1897, M. Adrien Planté, Président de la Société des Sciences, 

Lettres et Arts de Pau, lors du Congrès de Saint-Jean-de-Luz de la Société d'Ethnographie 

Nationale et d'Art Populaire :



"Les Basques ont-ils une histoire ?



... III



Il nous reste à voir ce que devient, en présence des événements de l'histoire moderne, la nationalité basque.



Sur le versant septentrional des Pyrénées, la confédération basque brisée, le Labourd, enlevé aux Anglais chassés de Bayonne par Gaston de Foix, se confondit avec le royaume de France, qui lui conserva certaines précieuses immunités, et notamment une vie municipale élargie. La Soule resta, avec sa coutume "gardée et observée de toute ancienneté, terre franche, d'origine libre et franche, de franche condition, sans aucune tache de servitude". Ce sont les termes de l'article premier de ses Fors : passant de la vicomté de Béarn à la couronne de France, puis rentrant dans les domaines des princes béarnais, domaines qui, avec la Navarre démembrée (Basse-Navarre), vicomte de Béarn, comté de Foix, duché d'Albret et ses puissantes annexes, formèrent le royaume de Navarre, dont les rois de France portèrent le titre et dont ils respectèrent les Fors jusqu'à la veille même de la Révolution : le roi Louis XVI fut le dernier roi qui prêta serment aux Fors de Béarn et Navarre.



Après les tristesses du démembrement, viennent celles, bien cruelles aussi, des guerres de religion : le Pays Basque-Français résiste, se défend, comme il a appris de ses ancêtres à se défendre contre tout ce qui n'est pas sa constitution et sa foi ; mais le calme se fait, la paix se rétablit grâce aux charmes ensorcelants, aux irrésistibles sympathies qui se dégagent du jeune prince de Navarre, l'enfant du château de Pau, aimable et bon, à l'esprit alerte, aux fines reparties, dont la philosophie pratique, la générosité sans égale, ouvrent tous les coeurs, comme son épée vaillante, jamais lassée, fait tomber les portes de toutes les forteresses... Et voyez-les alors, vos pères, se lancer à la suite de son panache légendaire, avec leurs frères gascons et béarnais, dans les grandes chevauchées héroïques à travers la France conquise : battant Joyeuse à Coutras, Mayenne à Arques et à Ivry, et sous les murs de Paris, surpris par leur audace, charmé par leur générosité, scellant de leur sang magnanime la pierre fondamentale de l'édifice magnifique de notre unité nationale.


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HENRI IV
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Encore une fois, Messieurs, saluons les exploits de nos pères et ne les oublions jamais...



Un jour d'épreuve plus poignante et plus cruelle se montre encore...



Le moment est venu où la vieille société française, ébranlée jusque dans ses fondements les plus profonds, doit prendre une orientation nouvelle.



L'heure des grands rajeunissements a sonné : c'est le réveil d'un monde nouveau.



L'oeuvre colossale de la Révolution française commence par un appel à tous les dévouements, comme à tous les sacrifices. Sur l'autel de la patrie chacun viendra déposer ses droits, ses privilèges, ses libertés, pour aider à l'organisation définitive de cette unité qui a déjà fait couler tant de sang.



L'émotion en Navarre, en Soule, en Labourd, en Béarn, est à son comble ; il faut que ces vieux pays francs et libres envoient des députés aux États généraux de Versailles.



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OUVERTURE DES ETATS GENERAUX
5 MAI 1789



Chaque province est invitée, pour ne pas dire sommée, à faire connaître dans ses cahiers de griefs ses aspirations nouvelles.



Les États de Navarre se demandent s'ils doivent obtempérer à la sommation du pouvoir central.



Et c'est ici que l'esprit législateur de nos pères s'affirme, superbement inspiré par le sentiment de la dignité nationale.



Un jurisconsulte se charge d'étudier la question de savoir si la Navarre se soumettra.



Écoutez, Messieurs, ses sages paroles :


"Je vous propose de redevenir ce que vous fûtes autrefois, ce que vous n'auriez jamais dû cesser d'être, un peuple libre et indépendant, exerçant par ses États généraux, ses représentants, la puissance législative, n'offrant à ses rois que des dons volontaires, s'imposant lui-même et ne reconnaissant à aucune autre puissance le droit de l'imposer.


Je vous propose de faire réparer tous les griefs, toutes les atteintes qui ont été portées à votre constitution et à vos droits depuis la mort du bon Henri.


Vous n'avez besoin que de vous-mêmes pour reprendre l'exercice de votre puissance législative. Dressez le cahier le plus complet de vos griefs ; c'est à des Navarrais que je parle, à un peuple qui a conservé tous ses titres et qui n'a rien perdu de son énergie.


II n'y a pas à craindre qu'on vous accuse de sédition, lorsque vous ne ferez que réclamer l'exécution des Fors : les Fors sont les titres communs des rois et de la nation."



Et l'auteur du mémoire faisant, dans un rapprochement piquant, le portrait du peuple français, léger, frivole, n'ayant pas depuis mille ans connu, comme les Navarrais, les charmes de la liberté, et trouvant cependant la force nécessaire pour la revendiquer, il ajoute :


"Voilà, Messieurs, le modèle que j'ose vous offrir ; vous avez bien moins à faire que la France ; vous n'avez jamais perdu de vue votre liberté, car, quoiqu'on l'ait entamée plus d'une fois, on ne l'a jamais contestée.


L'ancienne constitution de la France valait presque la nôtre ; mais vous n'avez pas besoin, comme elle, d'aller la chercher à mille ans de distance, vos titres sont sous la main... Vous avez le bonheur d'être encore pauvres..., le luxe ne vous a pas corrompus, vous aimez vos pères, vos mères, vos femmes, vos enfants ; vous comptez votre patrie pour quelque chose, vous n'avez rien perdu du courage de vos ancêtres : leurs moeurs et leurs vertus sont les vôtres...


Que craindriez-vous donc ?


Le peuple navarrais est courageux ; on ne l'attaque jamais impunément dans ses montagnes ; il sera toujours prêt à périr pour la défense de ses foyers et de sa liberté... Mais peu nombreux, faible, il est au milieu de deux puissances formidables : il lui faut l'une des deux pour appui : c'est la vigne se mariant à l'ormeau !...


Le moment où la Navarre cesserait d'appartenir à la France, elle serait envahie par l'Espagne : ce ne serait plus alors un peuple législateur, mais un peuple esclave."


Et comme le plus beau titre revendiqué par les Basques était celui de peuple législateur, l'auteur du mémoire conclut à l'envoi de députés navarrais aux États généraux de Versailles à l'effet d'y défendre les droits de leur petite patrie.


Quatre députés navarrais sont élus. Ce sont, 

Pour le clergé : Mgr de La Ville-Vieille, évêque de Bayonne ;

Pour la noblesse : le marquis de Logras ;

Pour le tiers-état : MM. Vivier et Franchistéguy.


La Soule est représentée par M. de La Ville-Outreix, pour le clergé ; Le marquis d'Uhart, pour la noblesse ; MM. d'Arraing et Laborde-Escurret, pour le tiers-état.


Le Labourd élit pour commissaires : MM. Haraneder père et fils, vicomte de Macaye, Pierre de Lalande et Pierre Ilaitze.



Faut-il rappeler que le Béarn, après de longues hésitations, envoya comme députés du tiers-état des hommes dont le souvenir n'est pas encore perdu : Mourot, Noussitou, Pémartin et d'Arnaudat ?


Les abbés Saurine et Jullien représentaient le clergé ; le comte de Gramont et le marquis d'Esqiule, la noblesse.



Nos députés navarrais, arrivés à Versailles, établissent par une lettre très explicite que l'intérêt et le voeu de la Navarre étaient d'être indissolublement liée à la France, par un lien fédératif ; et ils insistent pour que le roi convoque à Saint-Palais les États de Navarre, qui étudieront la question de savoir s'il y a lieu de se réunir à la France, au cas où la constitution projetée leur apparaîtrait aussi bonne que la leur.


La convocation ne put être obtenue : les idées nouvelles avançaient à grands pas ; les députés se retirèrent, emportant au fond du coeur une blessure profonde qu'un héroïque patriotisme seul fut capable de cicatriser.



Le sens législatif des Basques s'affirmait dans les cahiers du Labourd, qui, étudiant les pouvoirs à donner à ses commissaires, s'exprimaient ainsi :


"Toute limitation à leurs pouvoirs serait essentiellement contraire à l'objet de leur mission : ils sont envoyés à une assemblée de la nation, non pas pour y imposer des lois à ses autres représentants, mais pour y discuter avec eux les meilleures lois possibles, soit sur la constitution de l'État, soit sur toutes les parties de son administration. Il faut dès lors s'abandonner à leur conscience et à leurs lumières, et que sur les voeux et les réclamations mêmes qu'ils sont chargés d'y présenter, comme sur tous les autres qui s'y proposeront, ils soient libres de se ranger du parti où une discussion calme et patriotique leur fera connaître la vérité, la justice et le bonheur général de la nation."



Admirable procédure parlementaire, qui aurait pu servir de modèle et d'exemple à bien d'autres générations ! Superbe hommage rendu à la conscience des mandataires du pays !



Les braves gens qui signaient ces pages ne vous semblent-ils pas plus sages que les inventeurs du mandat impératif et de l'excommunication politique ?



Quant à la Soule, son député, le marquis d'Uhart, déclara à la tribune que si l'assemblée adoptait le projet de réunion de la Soule au Béarn, pour en faire le département des Basses-Pyrénées, il y aurait à redouter une explosion prête à éclater.



Le bon sens des populations pyrénéennes, mûri précisément par l'exercice de la liberté, par l'étude respectueuse de leurs législations forales, les préserva des explosions redoutées.



Habituées à réfléchir, à peser leurs décisions, elles ne perdirent pas leur sang-froid... c'est un hommage à leur rendre, aussi bien qu'aux hommes de coeur auxquels le choix de leurs concitoyens avait confié le périlleux honneur de défendre leurs intérêts à Versailles.


Ah ! cependant, Messieurs, l'épreuve était cruelle !



Les Fors de Navarre, comme ceux de Béarn, comme la coutume de Soule, avaient fait, pendant la plus longue période de l'humanité connue, le bonheur de nos petites patries..."



A suivre...



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