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vendredi 13 août 2021

VINGT ANS D'INTIMITÉ AVEC EDMOND ROSTAND AU PAYS BASQUE (onzième partie)

 

VINGT ANS D'INTIMITÉ AVEC EDMOND ROSTAND.


Paul Faure a été l'ami et le confident d'Edmond Rostand pendant de très nombreuses années.



pays basque autrefois cambo rostand
LE PEINTRE PASCAU, FAURE ET ROSTAND ET MADAME ROSTAND  EN 1902
PAYS BASQUE D'ANTAN
COLLECTION MUSEE BASQUE BAYONNE


Voici ce que rapporta à ce sujet le journal Les Annales politiques et littéraires, sous la plume de 

Paul Faure, dans son édition du 15 septembre 1927 :






"Léon Blum ne s'impose pas par un fracas de paroles, par une gymnastique de gestes et d'attitudes ; mais il y a sur toute sa personne, sur toutes les manifestations de sa rare intelligence, comme un velours au moelleux duquel on ne tarde pas à être pris. Il n'est ni flagorneur ni cabotin. Sa séduction vient du mélange de sa gentillesse, qui est la diffusion de sa sensibilité, et de sa pensée, qui est lumineuse en quelque sens qu'elle tourne. On peut n'être pas du bord de Léon Blum, mais il est bien difficile de ne pas être frappé par la logique rigoureuse qui fait soubassement au moindre de ses propos. Il est peut-être plus extraordinaire que Jaurès. Il n'a pas son coup de cymbales, sa tonitruante éloquence ; mais sa pensée et sa parole ont une précision sans défaut. Jaurès pouvait enthousiasmer ; mais après, pas toujours, quelquefois, il ne restait de ses grondements qu'une poussière vite évaporée. Avec Blum, il n'y a pas de déchet ; chaque mot porte, tape dans le but. Avec Jaurès, on était pris instantanément par le tourbillon de son verbe sonore. Avec Blum, on ne prend pas garde, tout d'abord, à sa voix qui est musicale, féminine, qui ne semble faite que pour s'enlacer à des propos légers ; puis, peu à peu, l'attention se rapproche, se ramasse, se suspend aux paroles du séduisant parleur. Il fait mieux qu'exalter, il parviendra à troubler l'esprit le plus opposé au sien. Mais une de ses plus grandes forces est dans sa croyance entière aux idées dont il devait devenir, après Jaurès, l'évangéliste écouté. Cette sincérité, jointe à une grande culture, à un goût passionné pour les choses de l'esprit, à un grand sens critique et à un sentiment réel de l'amitié, le rendait très cher à Rostand.



C'est chez Loti que je rencontrai pour la première fois Louis Barthou, qui était de ses intimes. Je devais, par la suite, le voir très souvent chez Edmond Rostand, qui le comptait, lui aussi, parmi ses familiers.



Je puis dire qu'en bloc l'impression produite à Arnaga et, j'imagine, partout ailleurs, par l'arrivée de Louis Barthou, est un contentement en quelque sorte physique, qui est assez du genre de celui que donne l'arrivée du beau temps. C'est qu'il y a en Barthou un tel dégagement de vitalité, une telle radiation de force intellectuelle que ceux qui se trouvent dans le rayon de sa présence se sentent comme sous une pluie de salutaires étincelles.



pays basque autrefois politique
LOUIS BARTHOU



Il est du Midi, puisque Béarnais ; mais ce serait lui faire injure que de l'appeler Méridional, en prenant ce mot au sens péjoratif, c'est-à-dire dans ce qu'il évoque d'exubérance, de faconde, de mouvement, de volubilité. Il a bien tout cela, mais dosé, mais mis au point à la perfection, de telle façon qu'il n'en reste que ce qu'il faut pour composer une quintessence, un extrait.



On a peine à se représenter Louis Barthou dans une attitude de repos, détendu, faisant halte, écrasé sur un fauteuil, le regard somnolent, la voix en pantoufles ; ce Barthou au ralenti n'existe pas ; c'est pourquoi ses visites n'étaient que passages en coup de vent. A peine arrivé, il pensait au départ, car il est constamment sollicité de tous les côtés, appelé par les mille choses que dévore son activité d'homme d'Etat, d'historien, de président de Sociétés, et à travers lesquelles, d'ailleurs, il se meut avec une aisance qui dénote une santé stupéfiante.



Mais c'est chez lui, à Paris, dans son appartement de l'avenue Victor-Emmanuel-III, qu'il se montre sous son aspect le plus pittoresque, quand, après déjeuner, il veut bien consentir, pour l'émerveillement de ses hôtes, à ouvrir sa bibliothèque.



Les livres sont sa passion, la chose pour laquelle, j'en suis sûr, il donnerait tout : ses hautes fonctions, sa notoriété, l'Académie, tout. Au geste — le geste du prêtre tirant le ciboire du tabernacle — avec lequel il les sort de leur tablette ; on est fixé sur le culte qu'il leur a voué. Tous rarissimes, ayant chacun une particularité d'édition qui les rend uniques, ayant surtout l'enrichissement de documents autographes inédits, pour la découverte et la possession desquels il a fallu, j'imagine, un flair et des ruses de trappeur, Barthou les traite royalement. A eux les maroquins pleins, les gardes suaves, les dentelles exquises ; à eux les joailleries d'un Marius Michel. Là, au milieu de ses livres choyés, il est dans son élément, dans son climat préféré. Accroupi sur le tapis, ses hôtes assis sur des chaises, Barthou les leur montre un à un, commentant le manuscrit ajouté, faisant miroiter les reliures, l'oeil et l'oreille sensuellement attentifs au chatoiement des maroquins, au petit bruit soyeux des papiers. Un hôte veut-il voir de plus près le volume offert à ses yeux, Barthou, souple comme un gymnaste, se relève d'un saut pour le lui approcher, puis s'écrase à nouveau sur le tapis. Mais veut-il le toucher, Barthou fait un bond en arrière, comme si ses talons venaient de heurter une pile électrique.


1914.



La vie de Rostand est arrivée à ce moment où tout ce qui en fait le bonheur semble au point.



Aujourd'hui, 1er juin 1914, j'en ai eu l'impression en entrant à Arnaga, comme je l'avais eue, naguère, en entrant pour la première fois à Etchegorria.





pays basque autrefois rostand
MAISON ETCHEGORRIA CAMBO-LES-BAINS
PAYS BASQUE D'ANTAN



Ce n'est point une illusion. Une maison est un peu comme un visage : elle reflète plus ou moins ce qui se passe en dedans.



Par cette belle après-midi du 1er juin 1914, qui ne verrait instantanément qu'Arnaga est une maison heureuse ? Stores pourpres déroulés sur les balcons, fenêtres ouvertes, pigeons blancs, haute tige du jet d'eau que d'imperceptibles souffles courbent à peine, fontaine du vestibule dont le bruit, par son rythme et sa lenteur, oblige à l'écouter, grâce des balustrades où s'épanouissent les paons blancs... Douceur, harmonie, joies émanées de ces choses.



pays basque autrefois villa
VILLA ARNAGA CAMBO-LES-BAINS
PAYS BASQUE D'ANTAN



J'ai monté l'éblouissant escalier. La porte de la chambre de Rostand est ouverte, ainsi que toutes les autres portes de la maison. Comme d'habitude, il est sur son lit, que jonchent manuscrits et livres. A sa gauche, la table de chevet, avec le cartable couvert de ces dessins tracés pendant les heures de solitude et d'ennui. En face, la fenêtre ouverte sur le jardin, les montagnes, le miroir d'eau, les pigeons, les paons ; sur le rebord, d'admirables oeillets dans une coupe de cristal. Et toujours l'odeur spéciale à cette chambre, développée aujourd'hui par l'extrême chaleur, cette odeur de tapis et de bois précieux, qui m'est un des meilleurs moyens d'évoquer Rostand. Certainement, il est au pouvoir, lui aussi, de l'ensorcellement que dégagent aujourd'hui toutes les choses d'Arnaga, car sa voix ose à peine, dirait-on, soulever le silence, comme par crainte d'en troubler l'enchantement. Il a mis ses grosses lunettes, s'est accoudé sur la table de chevet ; et, sans avoir dit un mot, ensemble nous avons regardé le jardin et le beau temps."


A suivre...






 



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