LE THÉÂTRE BASQUE EN 1912.
En 1912, le bascophile Etienne Decrept fait une analyse du théâtre Basque.
Voici ce que rapporta à ce sujet Etienne Decrept, dans l'hebdomadaire Pyrenoea, le 19 avril 1912 :
"Sur le Théâtre Basque.
A Monsieur Léon Bérard, Député, Surintendant des beaux-Arts.
On se figure généralement que les Pastorales Basques sont une survivance des Mystères et soties du Moyen-Age, et d'excellents esprits, fidèles à tout ce qui est du domaine traditionnel, se dépensent en efforts considérables pour maintenir ces spectacles populaires. Ceux-ci méritent-ils vraiment l'honneur qui leur est fait par des mandarins de lettres dévoués et notoires ?
Je ne le crois pas. Que les braves campagnards dépensent les longues soirées de l'hiver à se fourrer dans la tête les interminables tirades — et de quel style, Seigneur ! — de Jean de Calais ou de Jeanne d'Arc, c'est fort bien : cela leur vaut mieux que d'aller au café, dirait le bon commandant Bourgachard. Que ces mêmes ruraux, habillés comme des singes ou coiffés comme des Botocudos, hurlent éperdument des choses insensées, tout en arpentant avec colère, tout en brutalisant du talon, sans motif aucun les plus souvent, une scène que dominent de naïfs spectateurs, presque aussi occupés à manger leur lard et à vider leurs peaux de boucs qu'à suivre les évolutions des acteurs, nous n'y voyons aucun inconvénient. Cela fait aussi vendre du café et des liqueurs et les taverniers s'y retrouvent, mais que l'on veuille nous faire accepter ces merveilles comme purement basques, comme collatérales aux pièces jouées jadis par les confrères de la Passion, nous nous y refusons nettement.
Qu'étaient les mystères ? Presque toujours la réalisation théâtrale d'un épisode de la Passion de Jésus, sinon de la Passion tout entière, et c'est là l'événement qu'interprètent, encore aujourd'hui, les paysans d'Oberammergau.
La mise à la scène d'un fait historique profane était exceptionnelle.
Au contraire, jamais la figure du Christ n'apparaît dans les Pastorales Basques, appelées par leurs auteurs ou instituteurs "Tragédies" en mauvais français et qui ne sont évidemment que de lamentables imitations de la Tragédie historique ou légendaire créée par Corneille et Racine, et tuée par Voltaire.
C'est ce dernier écrivain — ô ironie ! — qui semble être le père ignorant et ignoré, mais réel, de la Pastorale Basque si respectueuse de la Religion...
Effectivement Oedipe, la première en date (1759) des élucubrations souletines, rappela l'Oedipe de Voltaire inspiré du chef-d'oeuvre de Sophocle et représenté en 1718.
On sait l'engouement général du XVIIIe siècle pour le prince des philosophes, qui garda toute sa vie d'excellentes relations avec les Jésuites, ses anciens maîtres.
Est-il difficile de supposer qu'un Père ait établi une adaptation expurgée de la tragédie voltairienne à l'usage des jeunes gens de son collège, et même que cette adaptation ait été corrigée par Voltaire en personne ?
Pourquoi cela ?
L'original et sa préface ne sont-ils pas dédiés par Arouet à son professeur, le Père Porée, qui, après ce triomphe, soumit volontiers à la critique de son brillant élève les productions dramatiques de ses subordonnés ?
De là à conclure qu'un chef d'institution, appartenant à la Société de Jésus, fit représenter à Oloron ou à Pau l'oeuvre au titre fameux, et que, après une longue vulgarisation chez des villageois béarnais, qui le reçurent d'anciens collégiens rentrés dans leurs foyers et en proie au prurit littéraire caractéristique de l'époque, Oedipe fut traduit et déformé par un prêtre basque pour l'agrément de ses compatriotes privés de toute joie intellectuelle, il n'y a qu'un pas et je le fais sans la moindre hésitation.
La voie ouverte, il n'y avait plus qu'à s'y précipiter. Les auteurs locaux pullulèrent. Des cordonniers, des cantonniers, des gardes-champêtres écrivirent des tragédies, aussi bien ou aussi mal, dans le canton actuel d'Aramits que dans le canton de Tardets. J'ai assisté à Féas et à Montory à la représentation de deux pièces où les vers de 15, 16, 17 et même 20 pieds s'entre-croisaient le moins harmonieusement du monde et disaient des platitudes de tous points comparables à celles de nos pastorales. Les unes et les autres sont indubitablement soeurs — des soeurs pauvres — et l'aînée des deux est la béarnaise qui, en même temps que la substance de ce genre théâtral, céda à sa cadette le nom générique "Pastorale" de toute évidence, étranger au basque. Je m'étonne que de subtils chercheurs n'aient pas attaché à cette dénomination latine une importance capitale qui les eût empêchés de s'embarquer à fond dans un bateau monté par certains eskuarophiles, appartenant à l'école de l'ineffable abbé d'Iharce de Bidassouet.
Non, la Pastorale n'est pas basque et nous n'avons pas à le regretter, car (j'excuse les anachronismes qui, eux, ne prêtent qu'à sourire), il est impossible de trouver dans aucune littérature populaire des compositions plus dépourvues de grâce, de vivacité, de nature et de force. Pas une image ! Pas un caractère ! Pas un semblant de peinture ! Pas un air de passion ! Pas un jaillissement spontané de haine ou d'amour ! En un mot rien d'humain. Et, dites-le moi, qu'est un écrit où ne passe pas un frémissement d'humanité ? Au point de vue purement théâtral la Pastorale n'existe pas. On entre, on sort comme au moulin. Les personnages, quelle que soit la pièce et quels que soient l'époque et le lieu où elle est située, sont absolument impersonnels. Un groupe de bons, un groupe de méchants.
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| LE THEÂTRE BASQUE PYRENOEA 19 AVRIL 1912 |
Les bons sont chrétiens ; les méchants, même s'ils ne sont pas sarrazins, s'ils sont anglais, par exemple, et du XVe siècle, sont anti-chrétiens, inexorablement. Aussi tous les protagonistes chrétiens sermonisent-ils à qui mieux mieux et cherchent-ils à édifier l'assistance.
Ce n'est plus du théâtre, c'est un cours théologique dont les docteurs sont ou étaient réputés communément les plus grands ivrognes de leur localité.
Vous voyez à quelle hauteurs peuvent atteindre leur éloquence et leur valeur persuasive !
Il n'y a guère que les spectateurs, ne comprenant pas le basque, pour arriver à se convaincre que ces déclamateurs forcenés disent des choses intéressantes.
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| LE THEÂTRE BASQUE PYRENOEA 19 AVRIL 1912 |







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