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jeudi 20 novembre 2025

LE MATRIARCAT AU PAYS BASQUE AVANT 1789

LE MATRIARCAT AU PAYS BASQUE AVANT 1789.


Etienne Anselme Ritou-Deyeralde est un avocat et homme politique, de tendance radical socialiste né à Hasparren, le 9 novembre 1872 et mort le 17 juillet 1923 à Bayonne.

Il est l'auteur, en 1897, d'une thèse de doctorat soutenue à la Faculté de Droit de Paris, intitulée De la condition des personnes chez les Basques français jusqu'en 1789, publiée par l'imprimerie bayonnaise A. Lamaignère.




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LIVRE DE LA CONDITION DES PERSONNES
CHEZ LES BASQUES FRANCAIS JUSQU'EN 1789





Voici ce que rapporta Etienne Ritou, dans son livre :



"Chapitre premier.


Droit antique.


Le matriarcat — La couvade.



Les Basques n'ayant rien écrit eux-mêmes jusqu'à une époque relativement récente, on ne connaît de leur droit antique que certaines dispositions relatées par les historiens latins.



C'est ainsi que, sur la foi d'un passage de Strabon, les Basques peuvent être soupçonnés d'avoir pratiqué le matriarcat ; sur le témoignage du même auteur, on attribue aux anciens Basques une institution bizarre, celle de la couvade, que l'on retrouve également chez différents peuples sauvages.



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STRABON D'AMASEE
GRAVURE DU XVIe SIECLE



I. Le Matriarcat. — Et d'abord, qu'est-ce que le matriarcat ?



C'est une sorte de droit de famille qui consiste à ne reconnaître, dans les relations juridiques des divers membres du groupe domestique, que la parenté par les femmes. Chez les peuples qui pratiquent le matriarcat, le chef de famille est une femme ; c'est elle qui est investie des pouvoirs domestiques, de sorte qu'il y a puissance maternelle au lieu de puissance paternelle et qu'à l'autorité maritale se trouve substituée celle de la femme ; l'enfant porte le nom de sa mère, n'hérite que dans la famille maternelle, etc. L'institution du matriarcat se rencontre chez un certain nombre de peuples. On peut citer entr'autres : en Australasie, les indigènes de la nouvelle Guinée ; en Asie, quelques tribus hindoues ; on la retrouve aussi dans la Géorgie, province russe, et en Afrique, dans le Soudan français.



Un passage de Strabon nous fait supposer que les Cantabres pratiquaient le matriarcat, en nous disant que chez eux "ce sont les maris qui apportent une dot à leurs femmes, que ce sont les filles, qui héritent de leurs parents et se chargent du soin d'établir leurs frères". (Strabon, liv. III).



Il s'est trouvé des interprètes, Eugène Cordier notamment, pour taxer Strabon d'exagération : "Des auteurs qui tracent, en deux lignes, la législation d'un peuple, dit Cordier, peuvent bien ne pas la représenter exactement ; ils citent un trait sillant, un fait original, sans en marquer la place, sans s'inquiéter de l'expliquer ; ils nous laissent incertains sur l'ensemble du droit.... Quant au droit cantabre, nous sommes fixés : les coutumes d'origine basque en sont, à nos yeux, le commentaire assuré".



L'explication de Cordier est très ingénieuse ; elle a pour elle le mérite de la simplicité, quand elle rattache directement le droit coutumier basque au droit contemporain de Strabon. Mais le passage de cet auteur, qui semble dénoncer clairement un droit de famille basé sur le matriarcat, nous suggère des doutes sur l'interprétation donnée par Cordier. A quoi bon d'ailleurs expliquer la prétendue exagération de Strabon par le désir qu'aurait eu ce auteur de tracer brièvement la législation des Cantabres ? Au lieu de nous dire que chez eux "ce sont les filles qui héritent de leurs parents et se chargent du soin d'établir leurs frères", Strabon n'aurait-il pas aussi vite fait de nous dire que les Cantabres appliquaient le droit d'aînesse, sans distinction de sexe. Cette dernière disposition, que l'on trouve exprimée dans les coutumes basques du moyen âge, aurait été plus vraisemblablement introduite dans le droit basque à une époque ultérieure à celle où écrivait Strabon et ne serait que la conséquence probable d'une transformation survenue, ainsi que nous pourrons le constater, dans l'état social des Basques.



L'histoire et la linguistique, loin de contredire cette solution, nous sont au contraire d'un puissant secours à cette occasion, quand elles nous représentent les Basques vivant dans un état social singulièrement favorable au fonctionnement du matriarcat :


L'histoire nous montre d'abord les anciens Basques, toujours les armes à la main, occupés à repousser les attaques successives des Celtes, des Carthaginois, des Romains. Cet état de guerre continuel, outre les nombreux décès qu'il devait entraîner, retenait les hommes valides loin du foyer domestique où il ne restait, pour ainsi dire, que des vieillards inertes, des femmes et des enfants. La guerre cesse-t-elle un moment ? Le Basque quitte l'épée pour la houlette, car il n'est pas seulement guerrier, il est aussi pasteur, comme le prouve l'étude de sa langue, et l'état pastoral, coexistant avec l'état de guerre, ou même indépendant de ce dernier, n'est pas fait pour permettre au Basque de résider habituellement au foyer conjugal.



Ce qui nous fait croire que les anciens Basques étaient un peuple essentiellement pasteur, c'est la richesse et la pureté de leur idiome dans les expressions relatives à la vie pastorale. Ainsi, un peuple pasteur surveillera de près la reproduction des animaux de son troupeau, qui offre une importance très grande à son point de vue. Pour désigner la femelle en chaleur, la langue basque possède un mot spécial à chaque espèce d'animaux ; il dira : arkhara, pour la brebis ; azkara, pour la chèvre ; susara, pour la vache ; ogara, pour la chienne ; giri, pour la jument ; ihausi, pour la truie. Le loup, pour les pasteurs, est un objet constant de préoccupation. Un mois de l'hiver, celui de février, s'appelle, en basque, le mois des loups, otsaila (otso-ila). La brebis change de nom suivant les diverses étapes de sa vie ; le petit agneau s'appelle achuria ; on l'appellera bildotsa une fois sevré ; anchua, dans la première année ; arlancha, dans la deuxième ; quand la brebis est en pleine puissance de reproduction, elle prend le nom d'ardia ; enfin, on l'appelle artsarra, quand on l'engraisse pour la consommation.



Le bétail constitue la principale et quelquefois l'unique richesse du pasteur ; du mot basque abere, qui signifie bétail, les indigènes ont fait aberatsa, riche, et aberastasuna, richesse. Des exemples du même genre se retrouvent dans la langue des Romains qui, de pecus, troupeau, avaient formé pecunia, richesse. On a dit parfois que abere vient du latin habere ; nous jugeons la chose peu probable, car le basque, dans les mots empruntés, n'a pas l'habitude de retrancher les aspirations initiales ; d'ailleurs, l'argument conserverait sa force, puisque de habere, posséder, on aurait fait abere, bétail et, de là, aberetsu ou aberatsa, riche.



Cette abondance et cette pureté du langage relatif à la vie pastorale contraste fort avec la pauvreté des termes, concernant la vie agricole. Parmi ceux-ci nous en avons qui sont empruntés à des langues étrangères, tel le mot arrastelua, qui n'est qu'une copie mal déguisée du mot français râteau, ayant la même signification. Même les mots essentiels concernant l'agriculture ne sont pas basques d'origine ; c'est ainsi que laborantcha, agriculture, et laboraria, agriculteur, viennent directement du latin laborare. Cela nous suggère l'idée que les Basques, avant de connaître les Romains, pratiquaient peu l'agriculture. On ne peut pourtant affirmer qu'elle leur ait été entièrement inconnue jusqu'alors sans se heurter à l'argument tiré du mot haitzurra, pioche (harri, pierre ; urra, déchirer), qui laisse soupçonner qu'à l'Âge de pierre les Basques se servaient déjà de la pioche. Mais cet instrument ne peut pas être considéré comme exclusivement aratoire, car il peut servir, par exemple, à préparer les bases d'une construction ou à creuser des cavernes où les Basques primitifs devaient habiter.



Toutes ces considérations nous portent à croire que les anciens basques vivaient surtout de la vie pastorale et qu'ils ne se familiariseront avec l'agriculture que par le contact des Romains installés dans leur voisinage. Au moyen âge encore, des pâturages devaient recouvrir la plus grande partie du sol basque, comme le démontra l'étude des Coutumes, où les difficultés relatives à ce genre d'exploitation sont largement prévues. Même de nos jours, le peuple basque manifeste un goût très prononcé pour la vie pastorale dans les régions où elle est possible. Il ne faut voir en cela que la persistance à travers les siècles, des anciennes traditions qui faisaient des Basques, un peuple essentiellement et peut-être exclusivement pasteur.



La plupart du temps, l'état pastoral et l'état de guerre, s'il faut en juger par l'histoire, devaient être simultanés chez les Basques et leur lissaient peu de loisirs pour gérer les intérêts du groupe domestique. A l'époque de Strabon, le mari basque, partagé entre la vie des camps, qui l'absorbe en entier à certains moments de son existence, et la garde des troupeaux, qui le mène dans les lointains pâturages de la montagne, ne peut pas être très assidu au foyer conjugal. On reconnaîtra dès lors qu'un pareil état social offre bien des incompatibilités avec le régime patriarcal : car la direction du groupe domestique et la gestion des affaires souffriraient beaucoup de l'absence presque continuelle du chef de famille. Pourquoi donc s'étonner si le droit basque antique appelait la femme à la direction du foyer domestique ? Le mari basque lui apportait une dot comme nous dit Strabon, et le mariage effectué, commençait à mener cette existence à la fois guerrière et pastorale qui ne lui permettait qu'à intervalles espacés de retourner au sein de la famille. Là, son rôle étant terminé dès la conception de l'enfant, il va aussitôt retrouver son troupeau ou ses compagnons d'armes. L'enfant n'a plus désormais de rapports qu'avec sa mère, et il paraît naturel, après cela, que les coutumes locales le rattachent plutôt à cette dernière qu'à son père. Au décès des parents, quel sera l'héritier ? Ayant à choisir entre la postérité mâle et femelle, la coutume éliminera les mâles que leurs occupations professionnelles appelleront de bonne heure à quitter le groupe de la famille. Ayant au contraire leur place définitivement fixée au foyer domestique, les filles hériteront de leurs parents, et, en qualité d'héritières, seront chargées du soin d'établir leurs frères.



C'est à ce résultat que nous mène une interprétation littérale du texte de Strabon qui nous montre les Cantabres pratiquant régulièrement le matriarcat. L'idée d'ailleurs n'est pas nouvelle et nous la trouvons exprimée dans les Institutions coutumières de Loysel, qui nous dit que chez les Cantabres + femelles succédaient seules, à l'exclusion des mâles (Inst. coût. n° 638).



Il est probable que l'usage du matriarcat ne fut pas de longue durée après les invasions romaines. Car, au moyen âge, le droit de famille basque s'est déjà totalement transformé. S'il est vrai que la législation de chaque peuple porte l'empreinte des divers états par lesquels ce peuple a successivement passé, c'est dans les changements subis par l'état social des Basques qu'il faut chercher la cause de cette évolution juridique. On a vu, en effet, que les relations guerrières ou pacifiques entretenues avec les Romains par les Basques mirent ces derniers au courant des procédés de l'agriculture qui, s'il faut en juger par l'état actuel de leur langue, leur étaient à peu près étrangers jusqu'à cette époque. Par ailleurs, une existence relativement pacifique succédant à l'état de guerre dans lequel ils avaient toujours vécu auparavant, la famille basque pouvait désormais rester groupée autour de son chef : les loisirs de la paix et les soins à donner à la culture du sol ne furent pas sans influence sur les transformations subies par l'esprit de leur législation. En d'autres termes, il était naturel que le matriarcat, issu d'un état social différent, ne survécut pas à ses causes. Aussi ne tarda-t-il pas à s'atténuer sous l'empire de l'évolution dont nous avons parlé. Les mâles, écartés sous l'ancien régime de la succession de leurs parents, furent désormais appelés à y prendre part concurremment avec les filles. Cette application du droit d'aînesse sans distinction de sexe, survivance frappante de l'ancien régime matriarcal, cadrait d'ailleurs admirablement avec le nouvel état social des Basques. Aussi n'est-il pas surprenant de voir le jurisconsulte Béla, lui-même, interpréter l'esprit du droit successoral basque d'après les moeurs de son époque, et nous dire que le droit d'aînesse absolu, tel que le concevait le droit coutumier basque, reposait sur la nécessité de voir prospérer sans interruption le domaine légué par les ancêtres.



Nous aurons occasion de retrouver à sa place cette conception du droit d'aînesse sans distinction de sexe. Retournons pour le moment dans le domaine du droit basque antique où nous appelle l'étude d'une curieuse institution rapportée aussi par Strabon, celle de la couvade."



A suivre...



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