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dimanche 14 janvier 2018

MARCHÉ NOIR AU PAYS BASQUE EN NOVEMBRE 1941

LE MARCHÉ NOIR EN 1941 AU PAYS BASQUE.


Pendant l'occupation allemande lors de la seconde Guerre Mondiale, l'alimentation fut rationnée pour les habitants du Pays Basque, comme pour le reste de la France, et on observa là aussi des comportements de marché noir, en particulier dès l'automne 1940.

pays basque autrefois
PAYSAN BASQUE
PAYS BASQUE D'ANTAN


Voici ce que rapporta Le Petit Journal, dans son édition du 5 novembre 1941, sous la plume de 

Jean Séridos :



"L'oeuf cent sous. Le jambon : 5 000 francs,... tels furent, entre autres scandales, les prix de marché noir importés cet été, au Pays basque, par les "estivants" refoulés de la Côte.

Il ne faut plus revoir cela.



Octobre. — 

Au bord de la Nive, auprès d'un pont romain célèbre par mille peintres, c'est, dans le "petit trou" de jadis une modeste et sympathique auberge, pour les pêcheurs de truites. Sa cuisine est célèbre. Ses prix, modérés hier, sont loin d'être devenus prohibitifs. Autrefois, dans les derniers jours de septembre, on ne trouvait ici qu'une douzaine de fanatiques de la "mouche" et du "lancer". Car dans cet endroit, situé exactement entre le Pas-de-Roland et Saint-Jean-Pied-de-Port, entre les cèpes de Cambo et les palombes de Béhorléguy, les rapides abondent, où les poissons bleus et argent, promis à la "meunière", ou au "court-bouillon", mordent mieux qu'ailleurs ; aussi bien qu'en Ecosse affirment les professionnels.






pays basque 1941
PAYSAN BASQUE
PAYS BASQUE D'ANTAN


Je venais d'Hélette, à pied, par la montagne. Le sac au dos et le bâton de néflier en mains, j'abandonnais, dans les altitudes du Baygourra, les paysages simples et bibliques de ces hauts lieux qui ont nom Macaye, Méharin, Armendaritz, Isturits, Irrissary, Iholdi, inconnus du touriste, car Dieu aime les Basques. 


La nuit tombait rapidement, comme en montagne. Je pressais le pas, en hâte de trouver cette table extrêmement sympathique, à cause de la qualité de ses truites, de ses gigots, de ses ortolans en caisse, de ses foies gras, et autres souvenirs préhistoriques. 


Je ne m'étendrai pas sur la mauvaise surprise que j'éprouvai, en sortant de ce pur et paisible pays, lorsque je trouvai toutes les places prises, et pas une assiette de garbure, pas un lit, non seulement dans le vieil et bon relais — où les 12 pensionnaires d'autrefois sont devenus (comment ?) 85 —mais pas davantage dans une maison quelconque des environs. 




pays basque 1941
OCCUPATION ALLEMANDE
PAYS BASQUE D'ANTAN

Dans les salles à manger, dans un bruit d'assiettes et de vaisselle, montaient vers les portes où je me hasardais à frapper un sourd et confus hourvari, où des grognements de convives satisfaits se mêlaient à des rires excentriques de vedettes trop mûres en rupture d'écran. Dans les coins d'offices, des bouteilles de champagne...Montparnasse avait déménagé chez Ramuntcho.


—  C'est comme ça partout, Monsieur, me dit une brave femme. Inutile de perdre votre temps. Allez à Ossès (8 kilomètres) ; à Saint-Martin-d'Arossa (15 kilomètres) ; à Saint-Jean-Pied-de-Port, aux Aldudes, à Urepel, vous ne trouverez pas une paillasse. C'est l'invasion.




pays basque 1941
BAYONNE - BAIONA
PAYS BASQUE D'ANTAN

— Et le premier train pour Bayonne ?

— Demain.


La Providence fut moins cruelle. Le vicaire de X..., l'abbé C..., qui fut mon chef de section il y a deux ans, m'accueille dans le presbytère et me raconte, tandis que je dévore après avoir remis mes tickets deux oeufs au jambon comme on n'en voit plus :


— Tu ne peux pas t'imaginer. C'est dans les derniers jours du mois de juillet que ces phénomènes ont fait leur apparition. Je ne dis rien. Tu jugeras toi-même demain. Je ne veux pas t'enlever l'inédit. Nos paysans ne connaissaient pas cette espèce humaine. On les loge comme on peut, chez l'habitant, à deux ou trois kilomètres en montagne. Rien ne les dégoûte, aucune fatigue ne les écoeure. Ils ont enduré, les uns après les autres, le pire. Tout, plutôt que de regagner Paris ou Bordeaux avant la date prévue pour la fin de leurs vacances.


Le lendemain, grâce au vicaire, on me fait place à la chère petite table d'autrefois. D'autrefois ?Mon Dieu, j'y retrouve avec joie les truites... et le reste. De l'huile, dans les cèpes, et, en sortant de table, je me suis trompé de porte. Celle que j'ai ouverte donnait sur une petite pièce qui fleurait étonnamment le foie gras. Tant mieux.




pays basque 1941
ST JEAN DE LUZ - DONIBANE LOHIZUNE
PAYS BASQUE D'ANTAN

Dans l'après-midi, équitation.


Tandis que des dames mûres se prélassaient le long de l'eau ou fumaient avec des messieurs ventrus des cigarettes anglaises (200 francs la boîte à Biarritz, ma chère, tant qu'on en veut) les jeunes fille, demi-mondaines, quart de luxe, peut-être un peu moins louaient à la journée les ânes si aimables et patients qui sont faits pour les excursions en montagne.


Les bourricots semblaient étonnés de se sentir enfourchés par ces cuisses en short, par ces jeunes dames qui avaient bizarrement, déjà les cheveux blancs. Ils n'étaient pas habitués à porter des fardeaux si élégants. Pour les faire courir, il fallait leur piquer les fesses. Généralement, c'est un garçon qui commettait cette cruauté sans prévenir l'amazone. Alors la monture prenait le galop, et la fille en short, affolée, s'agrippait au cou de l'animal en poussant des cris de détresse. C'était la grande distraction de la journée, pour ces snobs déplacés. Maintenant, je puis en parler. Les estivants sont partis. Je ne dénoncerai rien mais il ne faut plus revoir cela.




pays basque 1941
GUETHARY - GETARI
PAYS BASQUE D'ANTAN

Il a fallu nourrir tout ce monde.


Dans la montagne, les moutons étaient nombreux. La nuit, d'étranges messes noires se célèbrent. On égorgeait beaucoup, là-haut, sur l'autel des restrictions. J'ai compris le gigot sans ticket. Cette contrebande directe était à fins humoristes. A chaque orage, la foudre s'abat sur la montagne. C'est l'usage. Mais il y a eu, sur chaque montagne, un troupeau de moutons foudroyé.


Le marché "de gré à gré" connaît des jours héroïques. Trop de tentations, sous l'oeil de l'estivant. Trop d'argent, sous les yeux des vieux Basques étonnés. Un campeur entre dans cette ferme :

— Combien, cet oeuf ?

— Je le garde pour couver

— Je vous en donne cinq francs ?

Eberluée, la femme hésite. C'est un fou ?

Prenez-le, dit-elle.


pays basque 1941
ST PALAIS - DONAPALEU
PAYS BASQUE D'ANTAN

J'ai entendu dans un petit chemin ce dialogue, court et bon, entre mari et femme. Je marchais derrière eux. Face à nous, une jeune Basquaise conduisait un cochon attaché par une patte. Le cochon était gras, et taillé en race — un de ces spécimens qui ont valu sa réputation au jambon de Bayonne. La fille était ravissante.


On s'est arrêté au bord du chemin, et on les a regardé passer avec diverses appréciations. La femme dit :

— Cette fille est splendide.

— J'aime mieux son cochon, répond très sincèrement le mari.


Curieuse course au cochon, d'ailleurs, qui sévit à X...Celui qui n'en aura pas rapporté peu ou prou, pour son hiver, passe, à l'hôtel, pour un "serin". Au besoin, on lui offre de l'aider.



pays basque 1941
BAYONNE - BAIONA
PAYS BASQUE D'ANTAN

L'abbé C... m'a conduit chez des voisins du presbytère. Le vieux maître m'a dit :


Ca s'est passé un dimanche. (Ecoutez l'histoire). Une voiture s'arrête devant la porte. Un monsieur descend. Il entre et dit :


(à la personne qui m'a raconté l'histoire) "Vendez-moi du jambon", je réponds que je n'en ai pas. Mais il pendait au plafond. Nous sommes neuf, à table, toute l'année.


Il les voit, demande : "Et ça ?". On lui explique qu'il faut les garder pour l'hiver. Alors cet étranger prend une chaise, décroche lui-même les jambons. On le regardait faire, le croyant un peu fou. Mais ce sont les paysans qui ont perdu la raison, lorsqu'ils ont vu poser 20 000 francs sur la table. Alors, ils ont laissé partir. Ils le regrettent aujourd'hui.



pays basque 1941
ST JEAN LE VIEUX - DONAZAHARRE
PAYS BASQUE D'ANTAN

C'est vrai qu'on ne doit pas incriminer les paysans de pratiquer des cours et des marchés de cet ordre. Le grand responsable de la tentation, c'est l'étranger qui la suscite.


En attendant, ceux qui sont partis aujourd'hui sont nombreux. Ils étaient tristes, et tout prêts à remaigrir. Et quand le train de Bayonne s'est ébranlé, il n'y eut qu'un cri dans la gare. 




PAYS BASQUE 1941
PAYSAN BASQUE
PAYS BASQUE D'ANTAN

— A l'année prochaine.


Quelque chose me dit qu'ils nourrissent là de vains espoirs, et qu'ils n'auront à mordre, cette fois, que leurs propres doigts."



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