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mardi 12 août 2025

LES JEUX DE PAUME ET LES TRINQUETS AU PAYS BASQUE EN 1929 (quatrième et dernière partie)

 

LES JEUX DE PAUME ET LES TRINQUETS EN 1929.


Les jeux de paume ont existé en France, depuis plusieurs siècles.



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JEU DE LONGUE PAUME
PUBLICITE LA BELLE JARDINIERE PARIS


Voici ce que rapporta à ce sujet le Bulletin du Musée Basque N° 12, en 1930, sous la plume 

d'Albert de Luze :



"Les Jeux de Paume et les Trinquets.


Conférence donnée au Musée Basque le 28 Septembre 1929, avant la partie de démonstration qui mit aux prises le même jour, au vieux Trinquet Saint- André, M. E. Baerlein, champion amateur anglais et Pierre Etchebaster, champion du monde professionnel.



"... A côté de ses fins sportives, le jeu de paume a eu en France une bien curieuse influence, car pendant plus d'un siècle les grandes salles dans lesquelles il se jouait ont été utilisées comme salles de spectacle. Il n'y avait en effet, jusqu'à la fin du XVIIe siècle, en dehors de la Capitale où encore elles étaient rares, aucune salle proprement dite où les troupes nomades qui parcouraient la France pouvaient donner leurs représentations et comme il y avait dans chaque petite ville un ou plusieurs Jeux de paume, ces salles donnèrent tout naturellement asile aux comédiens, d'autant plus facilement que pendant les mois d'hiver elles étaient inutilisables pour le jeu à partir de quatre heures de l'après-midi. On y installait alors des tréteaux, une scène rudimentaire, on y mettait des chaises ou des bancs et... l'art remplaçait le sport. Nous savons que Molière forcé de quitter Paris en 1648 fit avec "l'Illustre Théâtre" (troupe de Dufrène et des Béjart) une tournée en province qui dura dix ans. S'il y a ici des moliéristes ils apprendront peut-être avec intérêt, s'ils ne le savent déjà, que, pendant cette tournée, à part une ou deux exceptions, leur héros n'a joué la comédie que dans des Jeux de paume et on peut se demander vraiment ce qui serait advenu de l'illustre comédien s'ils n'avaient pas existé. Le moins qu'on puisse dire est qu'il eût été bien gêné. Rechercher quels furent les Jeux de paume qui donnèrent asile à la célèbre troupe m'a paru d'un certain intérêt et j'ai eu la bonne fortune de les retrouver presque tous. Je peux vous dire qu'à Paris, où Molière a débuté dans un jeu de paume en 1643, c'était le jeu des Métayers, puis le jeu de la Tête Noire ; à Nantes, le jeu du Chapeau Rouge ; à Poitiers, le jeu des Flageolles ; à Bordeaux, la salle Barbarin ; à Dijon, le jeu de la Poissonnerie ; à Rouen, le jeu des Braques (car la plupart des Jeux de paume portaient un nom ou une enseigne) et qu'à Agen, Narbonne, Pezenas, Avignon, Grenoble, Lyon, c'est également dans un Jeu de paume qu'il s'installa. Quand il mourut, la troupe chassée du Palais-Royal par Lulli trouva asile dans le Jeu de la Bouteille, quelques années auparavant transformé en salle d'opéra pour le florentin qui d'ailleurs n'y mena pas ses violons mais s'installa dans le jeu de Bequet, rue Vaugirard, rue dans laquelle il y avait cinq Jeux de paume côte à côte. A Bayonne, si l'on ne trouve pas trace du séjour de Molière, qui n'y est sans doute pas venu, on sait cependant que les deux Jeux de paume furent utilisés comme salles de spectacle. Dans son histoire du théâtre de Bayonne, l'inévitable et instructif Ducéré nous apprend que les écholiers donnaient leurs représentations dans le Jeu de paume de Niert ; ils dressaient un théâtre dont la scène reposait sur des tables et des barriques. Une supplique de Jacques Combe, du 16 Octobre 1694, nous dit "qu'une rixe fut causée par les billets de spectacles qu'il avait pour une tragédie que les élèves du collège devaient représenter ce jour-là au jeu de paume de M. de Niert" (ce qui nous prouve aussi que les deux Jeux ont co-existé pendant tout le XVIIe siècle). La reine douairière d'Espagne, Anne de Neubourg, assista à une de ces représentations, mais pour ne pas faire de jaloux sans doute, elle assista aussi aux représentations qui se donnaient dans le Jeu de paume de Maubec.



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VIEUX TRINQUET BAYONNE 1930
BMB N°12 1930


Pendant toute la première moitié du XVIIIe siècle les troupes de comédiens nomades deviennent de plus en plus nombreuses. Sauteurs, voltigeurs, tragédies, drames, opéras, ballets, etc... nous voyons ces genres si divers se succéder presque sans interruption dans le Jeu de paume de Maubec alors transformé en salle de spectacle. "Le 20 Mai 1792, disent les archives de la ville, est venue en diette la demoiselle veuve de Meillan, laquelle aurait demandé la permission de laisser entrer dans le jeu de paume de Maubec qu'elle tient à loyer, les comédiens italiens pour y représenter leur pièce en public ce qui leur a été permis." Bayonne peut, je crois, se vanter d'avoir eu le dernier Jeu de paume utilisé comme théâtre.



Nous connaissons donc ainsi par les Jeux de paume la plupart des salles de spectacle du XVIIe siècle et Paul Souday qui avait pour le sport une aversion qui m'a toujours parue fort exagérée, et que ne partage certainement pas mon célèbre partenaire de tennis André Lichtenberger, Paul Souday, dis-je, aurait sans doute dû reconnaître que le sport avait malgré tout été pour l'art d'une certaine utilité. Mais là ne s'arrête pas l'influence du jeu de paume sur le théâtre. Dans les Sports et Jeux d'Exercice dans l'Ancienne France, M. Jusserand nous en montre un autre aspect :

"On s'habitua, dit-il, tellement à voir théâtre et jeu de paume se confondre, que très tard, par habitude, on conserva au premier la forme des seconds. Il est certain que partout ailleurs dès le XVIe siècle, en Italie et en Angleterre, la forme semi-circulaire avait prévalu... Nous fîmes exception, effet inattendu de l'extraordinaire popularité d'un jeu d'exercice en France."



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LIVRE LES SPORTS ET JEUX D'EXERCICE
DANS L'ANCIENNE FRANCE

DE J. J. JUSSERAND



A l'appui de cette thèse nous trouvons à Bordeaux un curieux exemple. En 1837, le Jeu de paume ayant été désaffecté, le Cercle Philarmonique y donna ses premiers concerts et lorsque son bail vint à expiration en 1846, on construisit, par analogie, la salle Franklin sur le même modèle rectangulaire et il n'est pas douteux qu'en s'en donnant la peine, on trouverait d'autres exemples de même nature quoique peut-être moins tardifs.



La popularité du jeu de paume était telle que la plupart des grands écrivains français en ont parlé et en connaissance de cause... Rabelais, Montaigne, La Fontaine, J. J. Rousseau, Pascal lui-même y font de fréquentes allusions. Je me contenterai de vous citer deux pensées, de notre grand moraliste qui prouvent combien le jeu lui était familier, et en quelle estime il le tenait.

 "Qu'on ne dise pas que je n'ai rien dit de nouveau ; la disposition des matières est nouvelle ; quand on joue à la paume c'est une même balle dont joue l'un et l'autre ; mais l'un la place mieux."


Et plus loin :

"Cet homme si affligé de la mort de sa femme et de son fils unique, qui a cette grande querelle qui le tourmente, d'où vient qu'à ce moment il n'est pas triste et qu'on le voit si exempt de toutes ses pensées pénibles et inquiétantes ? Il ne faut pas s'en étonner : on vient de lui servir une balle et il faut qu'il la rejette à son compagnon ; il est occupé à la prendre à la chute du toit pour gagner une chasse ; comment voulez-vous qu'il pense à ses affaires ayant cette autre affaire à manier ? Voilà un soin digne d'occuper cette grande âme et de lui ôter toute autre pensée de l'esprit."



L'expression "prendre une balle à la chute du toit pour gagner une chasse" expression presque professionnelle qui n'a certainement pas été suggérée à Pascal, ne prouve-t-elle pas une connaissance approfondie du jeu et ne laisse-t-elle pas supposer que, s'il ne l'a pas pratiqué, il en a du moins été un spectateur assidu et averti ?



Comment un sport aussi populaire, et dont les adeptes actuels qui en ont certes pratiqués comme moi pas mal d'autres, disent, sans hésitation, qu'il est le plus captivant, le plus varié, et le plus complet, a-t-il pu subir une pareille décadence à partir du XVIIe siècle ? C'est ce que nous voudrions rechercher.



On a pensé tout d'abord que ces grandes salles construites au centre d'agglomérations qui peu à peu devenaient de grandes villes, avaient trop de valeur pour continuer à être utilisées pour le sport. Mais nous savons par de nombreux témoignages, entre autres par celui de l'abbé Coyer, qu'au milieu du XVIIIe siècle il y avait encore de nombreuses salles de paume et qu'il n'y avait plus de joueurs. On lui a fait ensuite le reproche de ne pas être un jeu de plein air, mais le mail, la soule (jeu de ballon) étaient bien des jeux de plein air et ils ont disparu à la même époque. Il nous semble que les vraies raisons sont beaucoup plus profondes et qu'il faut les rechercher dans les changements qui, peu à peu, se sont produits dans les mœurs, c'est-à-dire dans la manière de vivre, de s'habiller et de sentir. Mr Jusserand a consacré à l'étude de cette question deux longs chapitres de l'admirable livre que j'ai déjà cité, étude approfondie à laquelle il y a peu de chose à ajouter. Je regrette de ne pouvoir les reproduire ici en entier, et d'être obligé de m'en tenir à une courte analyse :


"La Renaissance qui agit si puissamment sur les lettres, les arts et les mœurs, eut sur les jeux aussi une influence décisive. On régularise les exercices physiques, on les raisonne mais sans les simplifier ; on les complique au contraire... la faveur passe de la longue paume à la courte paume avec ses murailles, ses effets réflexes comptés, calculés, multipliés en un champ circonscrit."



L'éducation physique prend plus d'importance. Rabelais nous montre Gargantua expert en tous les sports, et les sports sont violents au temps de François Ier, d'Henri II, tué dans une joute, et d'Henri IV. C'est l'époque des armures, de la lance, des duels. A partir du XVIIe siècle une transformation radicale se produit. L'épée remplace la lance, puis le fleuret, l'épée ; le duel disparaît peu à peu ; l'escrime est négligée. On préfère le jeu de billard et le volant. Le jeu de mail qui se jouait comme actuellement le golf, son descendant direct, par monts et par vaux, se joue maintenant dans des allées où l'orme est resté célèbre. Aux exercices de force on préfère les jeux de cartes et le loto. L'exemple vient d'en haut ; Louis XIV vieillit, puis le Régent pense à tout autre chose et son jeune élève l'imite. Les hommes font de la tapisserie et on invente le parapluie. On voyage assis au lieu de circuler à cheval. "Dans nos siècles modernes, dit l'Encyclopédie, un homme qui s'appliquerait trop aux exercices nous paraîtrait méprisable parce que nous n'avons plus d'autre objet de recherches que ce que nous nommons les agréments ; c'est le fruit de notre luxe asiatique." Et Voltaire renchérit :

"Aujourd'hui dans la molle oisiveté où tous les grands perdent leur journée depuis St-Pétersburg jusqu'à Madrid, le seul attrait qui les pique dans leurs misérables jeux de cartes n'est-ce pas la difficulté de la combinaison sans quoi leur âme languirait assoupie ? " Si aujourd'hui, les sports ont influé sur le costume, si la femme, pour les pratiquer, a coupé ses cheveux, raccourci ses jupes et s'est peut-être un peu masculinisée, autrefois ce fut tout le contraire. Ce fut le costume qui influa sur les sports. L'homme en s'affublant de colifichets et de rubans, en portant perruque, en attachant une grande importance aux soins de la toilette, s'est interdit en quelque sorte les sports violents et s'est attaché à ceux qui ne risquaient pas de déranger le bon ordre de son accoutrement. Pourtant, vers la fin du XVIIIe siècle, une légère réaction se produit. L'éducation physique avec l'anglomanie revient à la mode. Les médecins luttent contre l'absence des exercices du corps. Tissot recommande la paume dans la paralysie du pharynx et de la gorge. Bajot ne publie-t-il pas dans son Eloge de la Paume, en 1800, une thèse de doctorat soutenue en 1745 à la Sorbonne, sur ce sujet : "La Paume est-elle un préservatif contre les rhumatismes ?" et dont la conclusion est naturellement affirmative. Rousseau prêche les exercices et recommande à Emile les anciens jeux, le mail, la paume, l'arc et le ballon. Mais Louis XVI aime les travaux manuels, le jeu de colin-maillard et le loto ; l'anglomanie se résume à imiter les jardins anglais, à introduire les courses de chevaux et à faire quelques exercices de gymnastique, et il faudra plus d'un siècle pour que nous importions le football, le golf, le lawn-tennis, qui ne sont autre chose que nos vieux jeux bien français, la soule, le mail, et la paume, avec des règles à peine différentes. On n'en peut douter après avoir lu le livre de M. Jusserand.



Tout cela est si vrai qu'en Angleterre, où la royauté est restée sportive, le jeu n'a pas subi la même décadence. II y est au contraire florissant à la fin du XVIIIe et au XIXe siècle et nos paumiers qui, malgré tout, forment encore une élite, s'y rendent souvent. C'est par l'Angleterre que nous connaissons leurs prouesses et les Masson, les Charrier, les Barre y sont célèbres, tenant tête aux champions étrangers. De 1830 à 1862, pendant 32 ans "papa Barre" comme l'appellent toujours les Anglais, conserve invaincu le championnat professionnel du monde et ce n'est qu'à l'âge de 60 ans qu'il se retire après un célèbre match nul qui ne dura pas moins de cinq jours.



Depuis cette époque nous avions perdu notre suprématie et il a fallu un Basque au cœur bien attaché (ne l'ont-ils pas tous ?) pour nous ramener le titre tant convoité. Pierre Etchebaster a réussi l'année dernière là où ses devanciers avaient échoué, non seulement grâce à ses qualités physiques, à son jugement impeccable mais grâce aussi à ses qualités morales. Ceux d'entre vous qui le verront tout à l'heure à l'œuvre en face du champion amateur anglais Baerlein, que je tiens à remercier d'avoir bien voulu venir de Manchester apporter son concours à cette manifestation, se rendront compte de l'incomparable maîtrise et de l'intelligence dans le jeu, de notre grand champion qui possède à la fois la sûreté de René Lacoste, le calme déconcertant d'Henri Cochet et la vitesse de déplacement de cet autre Basque, Jean Borotra."








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