Libellés

vendredi 19 décembre 2025

UN MEURTRE À SARE EN LABOURD AU PAYS BASQUE EN 1869 (troisième partie)

UN MEURTRE À SARE EN 1869.


Un fait divers sordide secoue le village de Sare, en Labourd, habituellement paisible, en mars 1869.



pays basque autrefois pelote labourd fronton rebot
PARTIE DE REBOT A SARE
PAYS BASQUE D'ANTAN



Voici ce que rapporta à ce sujet l'hebdomadaire Le Mercure d'Orthez, le 21 août 1869 :



"Cour d'Assises de Basses-Pyrénées (Pau).

Présidence de M. De Bordenave-d'Abère, conseiller à la Cour impériale de Pau.

Audience des 6,7 et 8 août 1869.


L’Assassinat de Sare.



Quoique cette affaire présente tout autant de gravité que l’affaire St-Jean, elle n’excite pas au même degré la curiosité publique. Les dernières audiences semblent avoir épuisé l’émotion. La foule est moins grande soit dans l’intérieur de la salle, soit au dehors.



L’accusé est un homme de 50 ans environ, au front chauve, et d’une physionomie qui ne présente aucun caractère particulier. Espagnol d’origine, il ne parle que sa langue natale. Aussi faut-il recourir à un interprète dont l’intervention ajoutera encore à la longueur des débats, ce qui fait que la cour juge nécessaire l’adjonction d’un treizième juré.



Parmi les pièces de conviction, on remarque des draps et un matelas ensanglantés, des limes à scier le fer, une pince, des couteaux catalans, deux poignards, et des bougies de fabrique espagnole.



M. Jeauffreau de Lagerie, substitut du procureur général, occupe le siège du ministère public.



Me Cassou, secrétaire de l’ordre des avocats, est assis au banc de la défense.



M. le président ordonne la lecture de l’acte d’accusation. En voici le texte :


Le 19 mars 1869, trois Espagnols, les nommés Manuel Pascual Murillo, Esteban Erremondéguy, dit Choripo et Francisco Rios, se présentaient vers une heure de l’après-midi, chez le sieur Meynie, aubergiste à Saint-Jean-de-Luz.



Après y avoir pris leur repas, ils sortaient ensemble et ils ne tardaient pas à se diriger du côté de Sare, où ils arrivaient dans la soirée.



Parmi les habitations qui composent ce village, on remarque à l'extrémité orientale une vaste maison à deux étages, appartenant au docteur Dithurbide, ancien maire de Sare. La façade principale est située à l’ouest, sur le bord de la grande route, dont elle n’est séparée que par un petit jardin de quelques mètres de longueur et entouré de murs à hauteur d’appui. Cette façade est percée de cinq ouvertures à chaque étage ; au rez-de-chaussée se trouve, au milieu, la porte d’entrée, et, de chaque côté, deux fenêtres élevées de 2m 50 au-dessus du sol ; des soupiraux de cave, garnis de barres de fer, règnent au-dessus des fenêtres.



La façade est, de la maison donne sur une cour suivie d’un jardin ; mais de ce côté, le sol étant plus bas, les caves se trouvent au niveau de la cour, et au lieu de soupiraux, on a pu y ouvrir deux portes et une petite fenêtre.



Le rez-de-chaussée de la maison est divisé par deux corridors qui se coupent à angle droit et aboutissent à quatre portes extérieures. Deux pièces donnent sur la façade ouest, du côté de la route ; ce sont : à gauche de la porte d’entrée, la cuisine ; à droite la salle à manger. Sur la façade est, du côté du grand jardin, quatre chambres, deux au nord ; dans l’une couchaient les deux servantes de M. Dithurbide, Dominica Duhalde et Jeannette Lamarque, l’autre était inoccupée ; deux au midi, l’une servant à la cuisinière Françoise Etchegaray, l’autre aux deux domestiques, Martin Dargaïts et Jean Ospital.



Le premier étage reproduit les mêmes divisions que le rez-de-chaussée, et l’appartement occupé par le propriétaire se trouve au-dessus de la chambre de sa cuisinière, Françoise Etchegaray.



C’est dans cette maison, dont les portes et toutes les ouvertures étaient solidement fermées, qu’une audacieuse tentative et qu’un crime affreux allaient être commis.



Arrivés à Sare, à l'entrée de la nuit, et après avoir attendu le moment favorable pour l’exécution de leurs coupables projets, les trois Espagnols se reprochèrent de la maison Dithurbide. Vers minuit et demi, plusieurs jeunes gens en rentrant chez eux, remarquèrent en passant devant cette maison, trois individus arrêtés au près de la porte du petit jardin, il les saluèrent, mais ne reçurent aucune réponse.



Ils avaient fait deux cents pas à peine lorsqu’ayant entendu des cris et, supposant que c’était quelques-uns de leurs camarades qui les appelaient, ils revinrent sur leurs pas ; les trois inconnus arrêtés devant la maison Dithurbide, avaient disparu. C’est à ce moment sans doute, qu’ils se préparaient à commettre leurs crimes. Tout semblait en favoriser l’exécution : la nuit était des plus sombres, le vent et l’orage allaient bientôt empêcher les cris d’être entendus.



Les accusés essayèrent d’abord de s’introduire dans la maison du docteur Dithurbide, en forçant l’une des portes qui donne accès dans les caves, car des traces d’effraction ont été constatées sur la porte elle-même et sur les pierres qui l’entourent. N’ayant pas réussi dans ce premier essai, les malfaiteurs firent le tour de la maison, et, s’arrêtant devant la façade ouest, ils commencèrent à scier les barreaux de fer qui garnissaient l’un des soupiraux de la cave. Mais ils s’aperçurent sans doute que ce, travail allait leur demander beaucoup de temps et d’efforts ; aussi, renonçant bientôt à cette difficile opération, ils songèrent à un autre moyen. Ils découvrirent non loin de là et devant la maison d’un charpentier des chevalets en bois qu’ils transportèrent dans le jardin de M. Dithurbide et ils les placèrent contre l’une des fenêtres. Munis alors d’une lime et d’un levier, ils forcèrent le contrevent, brisèrent l’un des carreaux, détachèrent un treillis en fer qui se trouvait dans l’intérieur, et ouvrirent la croisée.



Après s’être ainsi introduits dans la cuisine et avoir refermé le contrevent qu’ils avaient ouvert, ils allumèrent des bougies, se noircirent le visage avec la suie de la cheminée, quittèrent leurs chaussures, s’emparèrent de plusieurs échevaux de fil, qui devaient sans doute leur servir à emporter le produit de leur vol, et, tenant une lumière d’une main, leurs poignards ouverts dans l’autre, ils s’avancèrent, avec précaution, dans les corridors du rez-de-chaussée.



Ils essayèrent d’abord de pénétrer dans la chambre où couchait la cuisinière ; heureusement pour cette femme, contre son habitude, elle s’était ce soir-là, fermée à clef. Ils se dirigèrent alors vers la salle à manger dont ils ouvrirent la porte, et, continuant leurs recherches, ils arrivèrent dans la chambre qu’occupaient Martin Dargaïts et Jean Ospital. Dès leur entrée, ils se précipitèrent sur le lit où dormaient les deux domestiques, et, découvrant Martin Dargaïts, l’un des accusés lui plongea son poignard dans le ventre avec tant de force que le corps fut traversé et que la lame meurtrière put percer encore le drap du lit et le matelas. Martin Dargaïts s’éveillait au moment où il se sentit frappé, et, malgré la gravité de la blessure qu’il avait reçue, il eut la force et le courage de sauter à bas de son lit et de s’élancer vers le fusil suspendu à la muraille. Une lutte terrible s’engage alors entre les assassins et leur malheureuse victime ; les lumières tombent et s’éteignent, un coup de feu retentit ; Dargaïts, saisissant l’un des malfaiteurs, malgré les coups dont il est encore frappé, le renverse à terre, lui étreint fortement la gorge et appelle au secours. Pendant ce temps, le jeune Ospital, réveillé par ces cris et ces plaintes terribles, s’était glissé hors de son lit. Dargaïts lui demanda d’ouvrir la fenêtre de la chambre ; le jeune enfant parvint à le faire et courut aussitôt se cacher dans une armoire de la cuisine.



Les autres domestiques de la maison sont réveillés à leur tour ; le docteur Dithurbide est averti par sa cuisinière que des voleurs se sont introduits dans la maison ; tous appellent leurs voisins à leur aide. A ces cris, deux des malfaiteurs s’étaient hâtés de prendre la fuite. Dargaïts tient toujours dans son étreinte énergique celui qui l’a frappé, mais bientôt il sent que ses forces l’abandonnent, il voit que personne ne répond à ses cris, il se relève, et saisissant son agresseur dans un suprême effort, il le jette par la croisée.



Cela fait, le malheureux blesse, dont les entrailles sortaient par une plaie béante, dont le corps était criblé de coups, rassemble ses dernières forces pour monter au premier étage et frapper à la porte de son maître.



Le docteur Dithurbide, terrifié par les cris qui sont arrivés jusqu’à lui, était en ce moment à la fenêtre, occupé à demander des secours ; l’appel de Dargaïts n’arrive pas jusqu’à lui, et son infortuné domestique, après avoir inondé de sang les escaliers et les corridors, se traîne jusque dans une chambre voisine et se jette sur un lit.



Le vent, l’orage avaient empêché les cris d’être entendus du dehors ; cependant, vers trois heures et demie du matin, les voisins arrivent ; on s’empresse autour de la victime, mais après avoir raconté la scène terrible qui vient d’avoir lieu, la lutte qu’il a eu à soutenir, Dargaïts ne larde pas à expirer.



On cherche alors de tous côtés ; la chambre dans laquelle le crime avait été commis, offrait le spectacle le plus affreux ; au milieu du plus grand désordre, on trouva un long poignard ensanglanté, un couteau-poignard fraîchement aiguisé, une courroie en cuir, une casquette de drap, des débris de bougie et d’allumettes chimiques de fabrication espagnole. Sur la muraille on aperçut la trace d’un coup de feu ; dans la cour, au-dessous de la fenêtre, on retrouva une seconde casquette, et plus loin des empreintes de pieds nus.



Aussitôt l’éveil est donné, l’autorité est avertie, on se met à la poursuite des assassins, et, quelques heures après le crime, Pasqual Murillo, qui s’était blessé à l’orteil, en tombant de la fenêtre, qui avait marché toute la nuit, les pieds nus, à travers les broussailles, brisé de fatigue, grelottant de froid, fut obligé de demander un asile dans une maison de St-Pée, où il ne tarda pas à être arrêté par l’autorité locale.



Interpellé sur la cause de ses blessures et le désordre de ses vêtements, il prétendit qu’il avait été arrêté et dépouillé par des malfaiteurs ; mais bientôt, comprenant qu’il ne pouvait se défendre en présence des charges qui pesaient sur lui, il se décida à entrer dans la voie des aveux.



pays basque autrefois sare labourd place
SARE 1869
PAYS BASQUE D'ANTAN


Comme on devait s’y attendre, Murillo a cherché à rejeter sur ses complices la plus grande part de responsabilité dans les crimes qui ont été commis.



Il a prétendu qu’avant la soirée du 19 mars, il n’était jamais venu dans la commune de Sare, que sa rencontre avec Esteban Erremondeguy et Francisco Rios, à Saint-Jean-de-Luz, avait été toute fortuite ; que ce sont ces jeunes gens qui ont eu les premiers la pensée de commettre un vol, et qu’il n’a pas su résister à leurs sollicitations, que ses deux compagnons seuls ont frappé l’infortuné Dargaïts, et qu’il est resté étranger a ce meurtre.



Malheureusement pour lui l’information est venue montrer combien ses allégations étaient mensongères.



Peu de temps avant le crime, Murillo a été vu à plusieurs reprises, et sous des costumes différents, implorant la charité dans le bourg de Sare et dans les habitations isolées, préparant sans doute, dès ce moment, la réalisation de ses criminels et audacieux projets, étudiant les chemins, les maisons, les habitudes.



De plus, les médecins ont constaté que sur les dix blessures que présentait le corps de la victime, huit avaient été faites à l’aide d’une arme aiguë, comme le poignard ensanglanté trouvé dans la chambre où le meurtre avait été commis. — Murillo a soutenu que ce poignard ne lui appartenait pas ; mais deux ou trois jours après le crime, et à 600 mètres de la maison Dithurbide, au milieu d’un champ qu'il a dû nécessairement traverser pour aller rejoindre la route de Saint-Pée, on a relevé le fourreau du poignard que Murillo seul a pu laisser tomber, car ses complices avaient pris la fuite dans une direction tout opposée.



Enfin, Dargaïts a déclaré avant de mourir, qu’aussitôt après avoir été frappé, il s’était jeté sur ses agresseurs, et c’est Murillo qui à ce moment se trouvait le plus à portée de lui, car c’est avec Murillo qu’a eu lieu cette lutte terrible, dans laquelle la malheureuse victime a montré tant de courage et tant d’énergie.



Et maintenant si on se rappelle les antécédents de cet homme, condamné déjà en Espagne, en 1850, à cinq années d’emprisonnement, pour vol commis avec effraction, si on compare son âge à celui de ses compagnons, si on se rappelle ses deux tentatives d’évasion de la maison d’arrêt de Bayonne, l’arme redoutable qu’il avait préparée pour frapper ceux qui oseraient l’arrêter dans sa fuite, ses menaces réitérées contre ses gardiens, il n’est pas possible de douter que Murillo ait été l’organisateur du crime et que sa main ait porté au malheureux Dargaïts les coups nombreux qui lui ont donné la mort.



Quant à ses complices, leur culpabilité est aussi certaine, mais ils ont réussi, jusqu’à ce jour, à échapper à toutes les poursuites.



pays basque autrefois labourd pelote fronton
PARTIE DE PELOTE SARE
PAYS BASQUE D'ANTAN


En conséquence, Manuel-Pascual Murillo, Esteban Erremundeguy et Francisco Rios, sont accusés de s’être rendus coupables :


1° D’avoir, dans la nuit du 19 au 20 mars 1869, et, en tout cas, depuis moins de dix ans, commis comme auteurs ou comme complices, par aide ou assistance, dans les faits qui l’ont préparée, facilité ou consommée, une tentative de vol, dans une maison habitée, ou servant à l’habitation, la nuit, au nombre de deux ou de plusieurs personnes, à l’aide d’escalade, d’effraction extérieure, et étant porteurs d’armes apparentes ou cachées ; laquelle tentative manifestée par un commencement d’exécution, n’a manqué son effet que par suite des circonstances indépendantes de la volonté de son auteur ;

2° D'avoir, dans le même temps et au même lieu, comme auteurs ou comme complices, par aide ou assistance, dans les faits qui l’ont préparé, facilité ou consommé, commis volontairement ou avec préméditation, un homicide sur la personne du nommé Dargaïts, domestique du docteur Dithurbide.

Avec la circonstance que ledit homicide a précédé, accompagné ou suivi ladite tentative de vol ci-dessus spécifiée.


Crimes prévus et punis par les art. 397. 381, 59, 60, 295, 296, 297, 302 et 304 du code pénal."




A suivre...



(Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France)







Merci ami(e) lecteur (lectrice) de m'avoir suivi dans cet article.

Plus de 6 800 autres articles vous attendent dans mon blog :

https://paysbasqueavant.blogspot.com/


N'hésitez pas à vous abonner à mon blog, à la page Facebook et à la chaîne YouTube, c'est gratuit !!!

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire