PAGES DE MON BLOG

vendredi 14 novembre 2025

LE REMPLACEMENT DE PIERRE LOTI À L'ACADÉMIE FRANÇAISE PAR LE PEINTRE ALBERT BESNARD EN JUIN 1926

LE REMPLACEMENT DE PIERRE LOTI À L'ACADÉMIE FRANÇAISE EN JUIN 1926.


Après la mort de Pierre Loti, le 10 juin 1923, à Hendaye, il est remplacé à l'Académie Française, au fauteuil N° 13, 3 ans plus tard, jour pour jour, le 10 juin 1926, par le peintre Albert Besnard.




pays basque autrefois loti académie française besnard
ALBERT BESNARD 10 JUIN 1926
PHOTO AGENCE ROLL


M. Albert Besnard est élu à l'Académie française le 27 novembre 1924, devenant le premier 

peintre à entrer dans cette institution, depuis 1760.

Son épée d'académicien est l'oeuvre d'Antoine Bourdelle.



Voici ce que rapporta à ce sujet le quotidien Le Figaro, le 11 juin 1926, sous la plume de Ch. 

Dauzats :



"A l'Académie Française.

M. Albert Besnard a été reçu hier par M. Louis Barthou.

L'un et l'autre ont dessiné d'émouvantes images de Pierre Loti.



Il était impossible que la solennité d'hier n'eût point un grand éclat, tempéré d'une rare élégance et d'une mélancolie très douce.



Pour entendre un nouvel hommage à la mémoire de l'auteur divin d'Aziyadé, de Pêcheur d'Islande, des Désenchantées, de tant de merveilleux poèmes, hommage rendu par un peintre illustre et par un maître du verbe, la foule se pressait sous la Coupole, une foule qui unissait l'élite des lettres et des arts à la fleur de la société parisienne.



M. Albert Besnard, élu par l'Académie française à la place vacante par la mort de Pierre Loti, venait prendre séance, et M. Louis Barthou l'accueillait au nom de la Compagnie.



Quand le récipiendaire parut entre les deux parrains, M. Marcel Prévost et M. Henri-Robert, on l'acclama ; et tout de suite, M. Barthou donna la parole au directeur de l'Ecole des beaux-arts, ancien directeur de l'Académie de France à Rome, grand-croix de la Légion d'honneur, pour son remerciement.



Ce remerciement fait, M. Albert Besnard dit :


"J'ai le devoir d'expliquer Pierre Loti. Mais ne dois-je pas vous avouer, dès le début, que ma façon de le présenter sera plutôt d'un peintre que d'un écrivain. Car j'eusse considéré comme inopportun de ma part, peut-être même sacrilège, d'en parler en critique, fût-ce pour le louanger."



Et c'est en peintre, en effet, qu'il esquisse l'enfance, la jeunesse, la vie du magicien Pierre Loti, mais en maître peintre qui sut donner à son esquisse toutes les valeurs du coloris et du dessin, tous les plus beaux effets de lumière et d'ombre.



Pourtant, au cours d'une brève analyse des romans du poète magnifique, M. Besnard se montra critique délicat et subtil.



D'abord, il nota que durant toute son existence, Pierre Loti fut poursuivi par la hantise de la mort, qui lui inspirait plus de haine que d'horreur véritable :


"Heureusement que l'artiste excelle à se servir de tout ce qui peut mettre en valeur son individualité ; ainsi Loti, haïssant la mort, s'en sert pourtant, mais il la punit en lui donnant dans ses livres, le rôle odieux... Je le comparerai aux peintres parce que, comme eux, il use de certaines préparations ; les uns ébauchent en bleu, les autres en noir. Loti ébauche en gris, et, grâce à cette méthode, il extériorise en les enlevant en clair sur un fond vigoureux, les luttes intérieures , les sursauts de l'âme, tout en leur offrant comme protagoniste un être idéal qui est lui-même, parlant toujours le même langage. A l'entendre, ses lecteurs gagnent l'illusion d'une présence continuelle qui leur est devenue chère. Ils le reconnaissent à la mélancolie de ses accents. Car avec un sens très avisé de la volupté humaine, il a compris vite que si les hommes aiment la joue, ils lui préfèrent la douleur. Non celle qui fait crier, mais l'autre, compagne plus discrète, qui est la tristesse. Et opportuniste subtil, il le partage avec eux."



Le premier livre de Pierre Loti, dit M. Besnard, c'est Aziyadé




pays basque autrefois loti académie française besnard
ROMAN AZIYADE
DE PIERRE LOTI



"L'admirable paysage dont l'a entourée son tuteur empêchera à tout jamais le lecteur de s'apitoyer comme il le devrait sur le sort de cette petite éphémère blottie dans es étoffes somptueuses, tout au fond de cette barque qui flotte silencieusement sur les eaux calmes de la Corne d'Or ; si calmes qu'elles semblent avoir cédé la place au ciel. Ce giaour qui est à ses pieds est un des plus grands paysagistes du monde et un grand poète aussi. Il dit à sa compagne (comme il peut, car il ne parle pas encore le turc) : "Dans trois heures, il faudra partir, quand la Grande Ourse se sera renversée  dans le grand ciel immense", indiquant ainsi d'une façon admirable tout le mouvement de la nuit qui fait pressentit tout l'apparition du jour. Voilà une belle idée de paysagiste et de poète ; mais aussi une idée de marin. C'est qu'en vérité un marin sait seul placer  ces mots-là, les placer où il faut, car mieux qu'un autre il en connaît la portée, ayant la possibilité d'observer la nature dans le silence des nuits du haut de sa passerelle, comme les bergers dans les plaines, comme autrefois les stylites sur leurs colonnes."



Marin, Pierre Loti est dans la vie un pilote attentif à la moindre brise, aux caprices des vagues, dit M. Besnard ; et il perçoit le mouvement de la nuit, il en note les phrases :


"Sur ce bateau qui avance toujours, insensiblement, au devant de ces horizons qui se désagrègent à mesure qu'il s'en approche, lui, le marin, subit le travail constant d'une activité qui s'ignore et cependant agit sur le cerveau.


Tel m'apparaît Loti. Dès lors point ne lui est besoin d'être un imaginatif pour créer, il lui suffit de voir, et s'il met tant de force dans ses peintures, c'est simplement qu'il a vu ce qu'il décrit. L'invention a toujours des flottements, des vides qui sont épargnés à l'inspiration directe. Chez lui, c'est l'oeil qui commande au cerveau. C'est parce qu'il a vu que lui est venue l'idée d'écrire. Sa vision paraîtrait moins spontanée si on y démêlait un arrangement préalable. Aux tempéraments comme le sien l'esquisse est fatale. Je dirais presque : c'est une dépense inutile, ou tout au moins un risque d'émousser son idée. Il lui faut l'excitation d'une sensation nouvelle et immédiate ; il lui faut l'ivresse de la surprise. Alors son écriture a toute l'impétuosité d'une bordée et toute la franchise de l'imprévu. Alor usant de son verbe si simple, n'exprimant que l'essentiel de la vérité, il atteint les régions les plus profondes de l'émotion. Comme dans son évocation de la haute figure de la vieille Pomaré, tenant sur ses genoux encore robustes une frêle enfant, dernier espoir de sa lignée. De ses yeux baignés de larmes, pauvre femme ! elle suit le lent travail de la Mort qui lui enlèvera encore celle-là après les autres. Et la grande douloureuse de Pêcheur d'Islande qui l'oubliera jamais ?"



pays basque autrefois loti académie française besnard
ANTOINE BOURDELLE ET ALBERT BESNARD
8 JUIN 1926
PHOTO AGENCE ROLL



C'est avec ce don d'analyse colorée et jusque que le peintre Albert Besnard passe en revue les oeuvres de Loti.



Puis il salue ses crayons, car le poète avait appris de sa soeur, élève de Léon Cogniet, l'art du dessin.



Mais M. Albert Besnard revient au poète, qui montrait, quand il écrivait, les plus hautes qualités des maîtres du pinceau, et il termina ainsi son discours, très applaudi :


"Par le développement rapide de ses inscriptions, Pierre Loti s'est insinué si profondément dans nos âmes, a frappé si fortement nos imaginations, que la synthèse des beautés de la nature n'a jamais été suggérée avec autant de puissance (en quelque langage que ce soit) que par ce peintre de décors sublimes."



M. Louis Barthou a commencé ainsi sa réponse au récipiendaire :




pays basque autrefois loti académie française besnard
LOUIS BARTHOU
ACADEMIE FRANCAISE 10 JUIN 1926
PHOTO AGENCE ROLL



"La joie que nous éprouvons à vous recevoir au milieu de nous s'accompagne de la tristesse d'un douloureux anniversaire ; il y a aujourd'hui trois ans, jour pour jour, que Pierre Loti mourait à Hendaye."



Et voici l'émouvante évocation de cette mort :


"Au dehors, dans un après-midi d'été précoce, le temps était splendide. "Les langueurs et les limpidités du midi espagnol" remplissaient l'atmosphère pure et chaude. Pendant que s'éteignaient les deux yeux admirables qui avaient reflété toutes les splendeurs du monde, une procession dominicale parcourait la rue étroite de la petite ville. Les cloches d'Hendaye et de Fontarabie mêlaient par-dessus la frontière leurs vibrations religieuses. Le bruit, adouci comme un murmure, des prières et des cantiques venait jusqu'à la petite maison où le grand voyageur, qui avait vu tant de fêtes mystérieuses et tant de cortèges triomphaux, entrait dans le repos éternel. Les litanies séculaires se déroulaient comme un autre livre, un livre, saint de la Pitié et de la Mort. Aux "choeurs des petits garçons chantés à pleine voix enfantine avec un entrain un peu sauvage" répondaient "les choeurs très doux des petites filles", guidés par "une voix fraîche et claire", semblable à celle de Gracieuse qui, devenue la soeur Marie-Angélique, avait fui dans l'exil d'un couvent l'amour passionné de Ramuntcho. O crux, , ave, spes unica ! Pierre loti avait, pour trouver une espérance, fait ce qu'il appelait, dans une dédicace intime, des pèlerinages extravagants à travers le monde. Pèlerin désenchanté et croyant désabusé, il avait fini par admettre la vertu religieuse des habitudes traditionnelles. Il disait : "Faire les mêmes choses que depuis des âges sans nombre ont faites les ancêtres, et redire aveuglément les mêmes paroles de foi, est une suprême sagesse, une suprême force". Protestant, il n'a jamais renié, même en ne la pratiquant pas, la foi de ses ancêtres. Mais, un hasard mystérieux mit des chants catholiques sur le chemin de sa mort. Il n'en aurait pas repoussé la douceur bienfaisante. Tout, dans le pays basque, lui était cher et il n'aurait pas souffert, si la connaissance des choses ne lui avait pas été enlevée avant la vie, de s'endormir dans l'écho des prières qui avaient conduit jusqu'au cloître prochain la gracieuse héroïne d'un des romans où il a répandu le plus de son âme.



Avant de louer l'oeuvre d'Albert Besnard, M. Louis Barthou a rappelé sa jeunesse, ses débuts dans l'art où il allait devenir un maître : 


"En 1870, dispensé du service et engagé volontaire, vous fîtes les coup de feu sous Rueil. A l'Ecole, vous étiez toujours un élève irrégulier, indécis et solitaire. Mais en 1874 il vous arriva un accident, sous la forme d'un grand prix de Rome, pour lequel vous aviez concouru sans ambition et sans espoir, et dont vous appréhendiez les servitudes beaucoup plus que vous n'en goûtiez l'honneur...


A Rome, il y a l'Ecole, la ville et la campagne. L'Ecole n'a exercé sur vous aucune influence, et vos envois ont la sèche correction d'un devoir accompli sans plaisir. Mais il s'en faut que votre séjour dans la Ville Eternelle vous ait été inutile. Il vous a instruit sans gâter vos dons de peintre, qui devaient s'épanouir plus tard sur la vie, sur la nature et sur l'art. Il n'est que de lire deux chapitres de votre livre pittoresque, vivant et souvent mordant, Sous le ciel de Rome, pour comprendre les profits que vous avez retirés de votre stage dans la Villa Médicis."



Et puis, ne fut-ce point à Rome que se fiancèrent Albert Besnard et Mlle Charlotte Dubray, fille d'un statuaire connu, dont elle pratiquait l'art avec talent ?etc...



C'est à Pierre Loti que M. Louis Barthou a consacré la fin de son très beau discours :


"Ses grands chefs-d'oeuvre, puisés dans l'éternelle nature et dans ce que le coeur humain a de plus intime, lui assurent une durée immortelle. Tant qu'on aimera et tant qu'on pleurera, ces deux brèves et musicales syllabes, Loti, tombés un jour des lèvres d'une jeune Tahitienne, chanteront la gloire de celui qui fut, dans le domaine du rêve, un prince magnifique et un incomparable magicien."



Un long applaudissement a souligné cette péroraison.



Après la séance, le secrétaire perpétuel et Mme René Doumic ont reçu les invités de l'Académie au pavillon de Caen."



(Source : Wikipédia)




Merci ami(e) lecteur (lectrice) de m'avoir suivi dans cet article.

Plus de 6 700 autres articles vous attendent dans mon blog :

https://paysbasqueavant.blogspot.com/


N'hésitez pas à vous abonner à mon blog, à la page Facebook et à la chaîne YouTube, c'est gratuit !!!

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire