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lundi 19 mai 2025

BAYONNE ET BIARRITZ COMMUNES DU LABOURD AU PAYS BASQUE VUES PAR HIPPOLYTE TAINE EN 1858 (première partie)

BAYONNE ET BIARRITZ VUES PAR TAINE EN 1858.


Hippolyte Taine, né le 21 avril 1828 à Vouziers (Ardennes) et mort le 5 mars 1893 à Paris 6ème arrondissement, est un philosophe et historien français, membre de l'Académie française.


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PORTRAIT D'HIPPOLYTE TAINE
PAR LEON BONNAT



En 1855, Hippolyte Taine part, pendant deux mois, suivre une cure médicale dans les Pyrénées au 

terme de laquelle il rédigera son célèbre Voyage aux Pyrénées.



Voici ce que rapporta à ce sujet Hippolyte Taine dans son livre Voyage aux Pyrénées :



"Bayonne et Biarritz vue par Taine (1858).



I.

... Autour de Bordeaux des collines riantes, des horizons variés, de fraîches vallées, une rivière peuplée par la navigation incessante, une suite de villes et de villages harmonieusement posés sur les coteaux ou dans les plaines ; partout la plus riche verdure, la terre et l'homme travaillant à l'envi pour enrichir et décorer la plus heureuse vallée de la France.



Au-dessous de Bordeaux, un sol plat, des marécages, des sables, une terre qui va s'appauvrissant, des villages de plus en plus rares, bientôt le désert... J'aime autant le désert.



Des bois de pins passent à droite et à gauche, silencieux et ternes. Chaque arbre porte au flanc la cicatrice des blessures par où les bûcherons ont fait couler le sang résineux qui le gorge ; la puissante liqueur monte encore dans ses membres avec la sève, transpire par ses flèches visqueuses et par sa peau fendue ; une âpre odeur aromatique emplit l'air.



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LES LANDES
VOYAGE AUX PYRENEES 1855 H TAINE



Plus loin, la plaine monotone des fougères s'étend à perte de vue, baignée de lumière. Leurs éventails verts s'ouvrent sous le soleil qui les colore sans les flétrir. Quelques arbres, çà et là, lèvent sur l'horizon leurs colonnettes grêles. De temps en temps on aperçoit la silhouette d'un pâtre sur ses échasses, inerte et debout comme un héron malade...



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LES LANDES
VOYAGE AUX PYRENEES 1855 H TAINE



II. 

Bayonne est une ville gaie, originale, demi-espagnole. Partout, gens en veste de velours et en culotte courte ; on entend la musique âpre et sonore de la langue qu'on parle au-delà des monts. Des arcades écrasées bordent les grandes rues ; sous ce soleil, il faut de l'ombre.



Un joli palais épiscopal, élégant et moderne, enlaidit la cathédrale au clocher arrêté depuis trois siècles. Des échoppes se sont collées dans les creux du pauvre monument, en manière de verrues ; on a plaqué çà et là de gros emplâtres de pierre. Ce vieil invalide fait peine à voir dans cet état à côté des maisons neuves et des boutiques affairées qui se pressent autour de ses flancs salis.



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RUE DE BAYONNE
VOYAGE AUX PYRENEES 1855 H TAINE




J'étais tout chagrin de cette décrépitude ; et une fois entré, je me suis trouvé plus triste encore. L'obscurité tombait de la voûte comme un suaire ; je ne distinguais rien que des piliers vermoulus, des tableaux enfumés, des pans de mur verdâtres. Deux fraîches toilettes que j'ai rencontrées ont accru le contraste ; rien de plus blessant ici que des rubans roses. Je voyais le spectre du moyen âge ; comme la sécurité et l'abondance de la vie moderne lui sont contraires ! Ces sombres voûtes, ces colonnettes, ces rosaces sanglantes appelaient des rêves et des émotions que nous ne pouvons plus avoir. Il faudrait sentir ici ce que sentaient les hommes, il  y a six cents ans, quand ils sortaient en fourmilières de leurs taudis, de leurs rues sans pavés, larges de six pieds, cloaques d'immondices qui exhalaient la lèpre et la fièvre ; quand leur corps sans linge, miné par les famines, envoyait un sang pauvre à leur cerveau brut ; quand les guerres, les lois atroces et les légendes de sorcelleries emplissaient leurs rêveries d'images éclatantes et lugubres ; quand sur les draperies chamarrées, sur le grimoire des vitraux fantastiques, les rosaces versaient comme un incendie ou comme une auréole leurs rayons transfigurés.



Ce sont les souvenirs de la fièvre et de l'extase : pour m'en délivrer, je suis allé sur le port ; c'est une longue allée de vieux arbres au bord de l'Adour. Il est tout gai et pittoresque. Des boeufs graves, le front baissé, tirent les poutres qu'on décharge. Des cordiers, ceints d'une liasse de chanvre, reculent serrant les fils et tissant leur câble qui s'allonge. Les navires en file s'amarrent au quai ; les cordages grêles dessinent leur labyrinthe sur le ciel, et les matelots y pendent accrochés comme des araignées dans leur toile. Les tonneaux, les ballots, les pièces de bois sont pêle-mêle sur les dalles. On sent avec plaisir que l'homme travaille et prospère. Et ici la nature est aussi heureuse que l'homme. La large rivière d'argent se déroule sous le rayonnement du matin. De minces nuages détachent sur l'azur leurs bandes de nacre. Le ciel ressemble à une arcade de lapis-lazuli. Sa voute se pose sur l'extrémité du fleuve qui avance sans flots et sans effort, sous les miroitement de ses ondulations paisibles, entre deux rangées de coteaux, jusqu'à une colline où des bois de pins d'un vert tendre descendent à sa rencontre, aussi gracieux que lui. Cependant la marée monte, et les feuilles des chênes commencent à luire et à chuchoter sous le faible vent de la mer.



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QUAI DE LA NIVE BAYONNE
PAYS BASQUE D'ANTAN



III.

Il pleut ; l'auberge est insupportable. On s'étouffe sous les arcades ; je m'ennuie au café, et je ne connais personne. La seule ressource est d'aller à la bibliothèque. Elle est fermée.



Heureusement le conservateur a pitié de moi et m'ouvre. Bien mieux, il m'apporte toutes sortes de chartes et de vieux livres ; il est très-savant, très-aimable, m'explique tout, me guide, me renseigne et m'installe. Me voilà dans un coin, seul, à une table, avec les documents d'une belle histoire toute réjouissante ; c'est une pastorale du moyen âge. Je n'ai rien mieux à faire que de me la conter.



Pé de Puyane était un homme brave et habile en mer, qui de son temps fut maire de Bayonne et amiral ; mais il était rude aux gens, comme tous ceux qui ont mené des navires, et il avait plut tôt assommé un homme qu'ôté son bonnet. Il avait bataillé longtemps contre les gens de mer normands, et une fois en pendit soixante-dix à ses vergue, côte à côte avec des chiens. Ayant mis à ses galères des bannières rouges qui signifiaient mort sans remède, il prit à la bataille de l'Ecluse le grand vaisseau génois Christophle, et y mena si bien que nul Français n'échappa ; car tous y furent noyés ou tués, et les deux amiraux Quieret et Bahuchet s'étant rendus, Bahuchet eut le col serré d'une corde et Quieret la gorge coupée. Ce qui était bien fait ; car plus on tue de ses ennemis, moins on en a. C'est pourquoi, quand il revint, les gens de Bayonne le fêtèrent avec un tel bruit et un tel tintamarre de trompes, de cornet, de tambours et de toutes sortes d'instruments, que ce jour-là on n'eut pas ouï Dieu tonnant.



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BATAILLE DE L'ECLUSE 1340





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BUSTE D'HUGUES QUIERET
PAR CHARLES EMILE SEURRE



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BUSTE DE NICOLAS BEHUCHET



Il se trouva que les Basques ne voulaient plus payer la redevance sur le cidre qu'on brassait à Bayonne pour le vendre en leur pays. Pé de Puyane dit que les marchands de la ville ne leur en porteraient plus, et que, si quelqu'un leur en portait, il aurait le poing coupé. De fait, Pierre Cambo, un pauvre homme, en ayant voituré nuitamment deux muids, fut mené sur la place du marché, devant Notre-Dame de Saint-Léon, qu'on bâtissait, eut la main tranchée, puis les veines bouchées par des fers rougis ; ensuite, il fut promené en tombereau dans toute la ville, ce qui était un bon exemple, les petites gens devant toujours faire ce qu'ont ordonné les gens de haut lieu.



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PE DE PUYANE
VOYAGE AUX PYRENEES 1855 H TAINE



Ensuite Pé de Puyane, ayant assemblé les cent pairs dans la maison de ville, leur montra que les Basques étant traîtres, rebelles envers la seigneurie de Bayonne, ne devaient plus garder les franchises qu'on leur avait accordées ; que la seigneurie de Bayonne, ayant souveraineté de la mer, pouvait justement faire payer impôt en tous les endroits où montait la mer, tout comme dans son port, et qu'ainsi dorénavant les Basques devaient payer pour passer à Villefranche, au pont de la Nive, jusqu'où va le flux. Tous crièrent que cela était juste, et Pé de Puyane dénonça aux Basques le péage ; mais tous se mirent à rire, disant qu'ils n'étaient point des chiens de matelots comme ceux du maire. Puis étant venus en fore, ils battirent les gens du pont et en laissèrent trois pour morts...



... Après cela, les Basques et les gens de Bayonne combattirent plusieurs années encore, homme contre homme, bande contre bande ; et beaucoup d'hommes braves moururent des deux parts. A la fin, les deux partis s'accordèrent pour s'en remettre à l'arbitrage de Bernard Ezi, sire d'Albret. Le sire d'Albret dit que les Bayonnais, ayant fait la première attaque, étaient en faute ; il ordonna que les Basques ne payeraient point à l'avenir de redevance, mais que, tout au contraire, la cité de Bayonne leur payerait quinze cents écus d'or neufs, et établirait dix prébendes presbytérales devant coûter quatre mille écus vieux du premier coin de France, pour le repos des âmes des cinq gentilshommes noyés sans confession, lesquelles peut-être étaient dans le purgatoire et avaient besoin de beaucoup de messes pour en sortir. Mais les Basques ne voulurent pas que Pé de Puyane, le maire, fût compris dans cette paix, ni lui, ni ses fils, et se réservèrent de les poursuivre jusqu'à ce qu'ils eussent pris vengeance sur sa chair et sur sa race. Le maire se retira à Bordeaux, dans la maison du prince de Galles, dont il était grand ami et bon serviteur, et pendant deux ans ne sortit point de la ville, sinon trois ou quatre fois, bien cuirassé, et avec une escorte de gens d'armes. Mais un jour, étant allé voir une vigne qu'il avait achetée, il s'écarta un peu de sa troupe pour relever un gros cep noir qui descendait dans un fossé ; un instant après, ses hommes entendirent un petit cri sec, comme celui d'une grive qui se prend au lacet, et ayant couru, virent Pé de Puyanne mort avec un couteau long d'une brasse qui était entré dans l'aisselle au défaut de la cuirasse. Son fils aîné Sébastien, qui avait fui à Toulouse, fut tué par Augustin de Lahet, neveu du noyé ; l'autre, Hugues, survécut, et fit souche, parce qu'étant allé par mer en Angleterre, il y resta, et reçut du roi Edouard un fief de chevalier. Mais ni lui ni ses enfants ne revinrent jamais en Gascogne ; et ils firent sagement, car ils y eussent trouvé leurs fossoyeurs."



A suivre...






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