L'AFFAIRE STAVISKY ET BAYONNE.
C'est une crise politico-économique qui secoue la France à la fin de décembre 1933, mettant en cause de nombreuses personnalités y compris en Pays Basque Nord.
Comme je vous l'ai indiqué précédemment, puisque nous sommes samedi, voici un autre article
sur le "feuilleton" de l'affaire Stavisky et ses répercussions au Pays Basque.
Voici ce que rapporta à ce sujet la Gazette de Bayonne, de Biarritz et du Pays basque, le 23 janvier
1934 :
"Parce que le dossier de l’Affaire du Crédit est à Pau, l'instruction s'est ralentie à Bayonne.
On épilogue encore sur la mort de Stavisky.
Les chroniqueurs parisiens qui, depuis le début de janvier suivent les phases de l’instruction de l'affaire du Crédit municipal de Bayonne, ont présentement quelques loisirs. Il en est qui sont allés à Pau. Mais la plupart sont restés à Bayonne, où ils se tiennent en contact avec le juge d'instruction sans rien glaner de bien sensationnel, et pour cause ! Entre temps, ils se répandent dans le Pays Basque.
Biarritz a particulièrement leur faveur.
On sait que le dossier est présentement à Pau où sont Darius et M. Camille Aymard. Mais on dit que M. Garat, va à son tour aller très prochainement au chef-lieu du département. Alors jusques à quand ?...
A Bayonne. A l’Instruction.
Nous avions annoncé pour ce matin l’expertise d’un gage placé sous scellés dans le cabinet du juge d’instruction. Cette expertise n’a pu avoir lieu en raison de l'absence de l’un des témoins convoqués, M. Dupouy, secrétaire de la mairie de Bayonne, qui a adressé au juge un certificat médical établissant qu’il est malade.
Les deux appréciateurs du Crédit municipal de Paris, MM. Guidou et Pecquet sont montés chez le juge d'instruction à 9 heures pour prêter serment ; ils ont été suivis par Mlle Sabatier et M. Cohen qui étaient également convoqués. Ils ont quitté le cabinet de M. d’Uhalt quelques instants après y être entrés, l'expertise ne pouvant avoir lieu.
Cet après-midi vers deux heures et demie, le juge d’instruction accompagné des deux experts se rendra au Crédit Lyonnais pour assister au transfert des bijoux qui y avaient été déposés par Tissier. Ces bijoux qui, pour la plu part, ont appartenu à Alexandre seront déposés dans le coffre du Crédit municipal afin de faciliter le travail des experts qui commencera probablement demain.
JUGE D'INSTRUCTION M D'UHALT PARIS-SOIR 16 JANVIER 1934 |
La semaine de M. d’Uhalt.
M. Guy Mounereau écrit dans L’Echo de Paris :
Que nous réserve cette semaine ? Des inculpations ? Peut-être... M. d’Uhalt n’a plus le dossier. Ce dossier est à Pau. C’est-à-dire que tout ce qui est passé reste en l'état ou à peu près. Mais il y a le présent. Il y a 600 chèques sur 700 qui sont arrivés ici. Cela va être un beau divertissement pour M. d’Uhalt. Nous allons enfin savoir quels sont les bénéficiaires conscients ou non, des escroqueries de Stavisky. Il semble bien difficile, désormais, malgré toutes les précautions prises à Paris, que les complices soient épargnés.
Nous allons enfin savoir combien de millions ont été dépensés pour faire taire ou pour faire parler ou pour faire écrire certaines gens.
Nous allons savoir où sont passés les 200 millions volés à Bayonne. Car toute la question est là et non ailleurs. Le grand escroc est mort. Il reste des requins de toute taille à prendre. Les plus gros, il est vrai, sont pratiquement hors d’atteinte car Stavisky donnait le plus souvent ses subventions de la main à la main. Toutefois assez de traces de ses générosités subsistent pour remplir, si on en a le courage, la prison de Bayonne.
Outre les chèques, M. d’Uhalt aura à étudier cette semaine la question des bijoux. Tissier, dit volontiers le juge, sait où ils se trouvent. Et nous le croyons. Mais nous croyons qu’il est également un peu imprudent d’attendre plus de trois semaines pour essayer de retrouver des bijoux qui représentent une valeur de plus de dix millions.
Certes, la justice est la justice. Elle se comporte comme elle l’entend et nous avons, par principe et par goût, le plus grand respect pour elle. Mais les millions sont les millions. Ceux qui se seront irrémédiablement envolés des caisses de Bayonne seront payés par les contribuables. A ce titre, le public, qui sera, en fin de compte, appelé à réparer les erreurs des uns et les fautes des autres, a quelque droit à être informé.
Il y aura bientôt un mois que le scandale des bons de Bayonne a été découvert. Or, personne n’est capable de dire aujourd’hui, pas même le juge, combien de vrais bons ou de faux bons ont été émis. Le montant véritable de l’escroquerie est inconnu. Nous sommes obligés de nous en tenir aux déclarations, sincères sans doute, mais assez vagues, de Tissier: "Il y en a haut, comme ça."
Haut comme ça, cela veut dire d’après l’inculpé, 200 millions. Seulement, Tissier qui est un modeste a tendance à rester en dessous de la vérité.
En tout cas, c’est un point qu’il faudrait déterminer au plus tôt. M. d’Uhalt ayant la plupart des chèques, possède quelques éléments. Il faut rechercher les autres qui manquent. Peut-être que M. Garat serait de quelque utilité. Mais, dans cette bagarre tout le monde l’a oublié. Et il fait le mort. C’est un mort qu’il sera nécessaire de ressusciter en temps utile.
JOSEPH GARAT MAIRE DE BAYONNE |
D’autant plus que les experts les plus diligents nous menacent de mettre neuf mois afin de savoir le fin fond des choses. Cet enfantement ne nous mettra-t-il pas en présence d’une souris ?
Comme on le voit, le dossier absent, M. d’Uhalt ne manque pas, cependant, de travail.
Il a les chèques. Il a une partie des bénéficiaires de ces chèques sous la main, nous disait-il l’autre jour. Il reste les autres qui sont peut-être éloignés de Bayonne. Mais il ne faut qu’une nuit ou qu’un jour pour faire le voyage.
La justice et notre légitime curiosité peuvent être rapidement satisfaites.
De déplorables formalités entravent la tâche, pourtant immense, du juge d’instruction de Bayonne.
Sous ce titre, nous lisons dans Le Matin :
Ainsi parce que Darius et Camille Aymard ont fait appel du rejet de leur demande de mise en liberté provisoire, voilà toute l’instruction de l’affaire Stavisky, arrêtée du coup.
CAMILLE AYMARD PHOTO AGENCE MEURISSE |
M. d’Uhalt a dû faire porter son dossier à Pau et M. d’Uhalt ne peut rien faire sans son dossier.
En tenant compte de la semaine anglaise, du repos dominical, du voyage aller-retour et des longues heures de réflexion qui seront nécessaires à la chambre des mises pour statuer, c’est au moins une semaine perdue.
Pour peu que Dubarry, Hayotte, Garat et Tissier veuillent bien suivre, l'un après l’autre, l’exemple de leurs compagnons d’infortune, le dossier se promènera de Bayonne à Pau, et vice versa, pendant plusieurs semaines, tandis que le juge attendra. Car c'est un fait que M. d’Uhalt ne peut exactement rien faire. Il ne peut même pas faire appel à l’expert-joailler parisien, M. Langerock, qui doit venir ici estimer les gages du Crédit municipal. Ces vérifications, en effet, doivent avoir lieu en présence de Tissier, assisté de ses défenseurs, mais ceux-ci ne peuvent accepter la comparution sans avoir pris, au préalable, connaissance du fameux dossier.
Le problème de la quadrature du cercle est un jeu de collégien auprès de cette exploration procédurière du labyrinthe de la chicane.
Pourtant la tâche de M. d’Uhalt est encore singulièrement lourde et son instruction n'est qu’à son début.
Il reste à établir comment l’escroquerie monstre de Stavisky a pu se développer pendant deux ans et à la faveur de quelles compromissions.
Si Tissier et Garat sont incontestablement à l’origine des opérations frauduleuses. on ne fera croire à personne que la liste des complices ou des bénéficiaires ne comporte que les noms des quatre mousquetaires Hayotte, Darius, Dubarry, Aymard, qui sont d’ailleurs cinq, puisque bien qu’en liberté le député Bonnaure est, lui aussi, inculpé.
Ces bénéficiaires, il n’est pas très malaisé de les connaître, puisque déjà quelque six cents chèques saisis par la Sûreté générale ont révélé leurs noms. Certes, on ne saurait prétendre que tous ces bénéficiaires ont connu l’origine frauduleuse de l’argent qui leur a été versé, car lorsque l’épicier présente sa facture, il ne demande pas le casier judiciaire du client pour savoir s’il doit encaisser.
Seulement quelques-uns de ceux qui ont touché n’avaient a vendre que leur conscience qu’ils ont d'ailleurs surestimée.
C’est pourquoi parmi les chèques épinglés par M. d'Ulhalt, il en est tant qui approchent le million. Le juge cherchera-t-il à connaître quelle sorte de marchandise fut couverte par le pavillon Stavisky ?
La besogne qui l’attend est alors immense et l’heure est favorable pour l’entreprendre, puisque le dossier vagabond fait la navette entre Bayonne et Pau.
Les derniers chèques sont arrivés au courrier d’hier. M. d’Uhalt n’a plus à reculer maintenant comme il n’a plus à différer cette visite qu’il doit faire auprès de Tissier pour découvrir la vérité sur la disparition des bijoux de Stavisky.
Le "document" Aymard. Il s'agirait d’une demande de renseignements sur le Crédit municipal de Bayonne.
De L'Echo de Paris : Le fameux document Aymard, qui a suscité de si violents incidents en Chambre du conseil lors de la comparution de l'inculpé, est encore mal connu. Cependant il est possible, avec toutes les réserves d’usage, de préciser plusieurs points. D'abord, il s’agit bien de la copie d’une lettre adressée à M. Camille Aymard. Cette copie a été envoyée à Bayonne. Elle est aujourd’hui à Pau, d'où elle reviendra Dieu sait quand, probablement à la fin de la semaine.
A force de demandes indiscrètes nous sommes arrivés à savoir ceci, que d’ailleurs nous n'avons pas pu vérifier ; M. Camille Aymard, au printemps 1933, aurait demandé par lettre au ministère des finances des renseignements sur le fonctionnement du Crédit municipal de Bayonne. Le ministère aurait transmis cette demande de renseignements à la Caisse des dépôts et consignations. Une des plus hautes personnalités s'occupant de cet organisme aurait répondu au lieu et place du ministère des finances.
C’est la copie de sa lettre qui aurait été saisie lors de la perquisition chez M. Camille Aymard. Que dit cette lettre ? Je n’ai pu le savoir. Mais il ne faut pas désespérer d’être informé à ce sujet, tôt ou tard. Ce document semble, en effet, avoir, dans le cas de M. Camille Aymard, une importance particulière. Il a suffi, en effet, à provoquer les bagarres de la Chambre du conseil dont je vous parlais hier. D’un moment à l’autre on peut donc s'attendre à ce que la substance, tout au moins, nous en soit révélée.
A propos de la délibération des avocats de Bayonne.
Interrogé au sujet de la récente délibération du conseil de l’Ordre des avocats du barreau de Bayonne publiée par la presse, Me Simonet, bâtonnier, a répondu :
"— Il s’agit là d'une résolution de discipline "intérieure" et d’ordre purement privé. La délibération dont vous parlez n’était pas, dans notre esprit, destinée à la publication.
Nous n’entendions donner aucun retentissement à cet ordre du jour."
Cette résolution avait été affichée, paraît-il, dans la salle du Conseil de l'ordre.
Nous nous gardons bien de mettre en doute la parole de Me Simonet, mais nous pouvons affirmer que ce n’est ni nous ni quelqu'un délégué par nous, qui a pris copie de cette résolution, et que le texte qui nous est parvenu avait toute l'apparence d’une communication officielle.
La situation politique à Bayonne.
Une dépêche de l’agence Havas dit : "Le comité directeur du parti radical-socialiste de l’arrondissement de Bayonne, réuni sous la présidence de M. Simonet, adjoint : maire de Bayonne et président de la Fédération départementale du parti radical, a adressé au comité central, à Paris, un rapport concernant la situation politique locale et départementale à la suite de l’affaire du Crédit Municipal.
Aucun communiqué n'a été fait à la presse."
MAÎTRE JEAN-CHARLES LEGRAND 1929 AFFAIRE STAVISKY 1934 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Me J.-C. Legrand sollicite des éclaircissements.
Dans la lettre que nous reproduisons ci-dessous, Me J.-C. Legrand met en cause de hautes personnalités :
"Monsieur le Juge,
J’ai eu l’honneur de vous écrire, en date du 12 janvier, pour vous demander de vouloir bien rechercher, dans l'intérêt de l'information, les conditions dans lesquelles l’affaire Stavisky semblait avoir été connue par les services intéressés longtemps avant les déclarations de Tissier.
Je vous ai demandé de vouloir bien entendre sur ce point M. le commissaire de police Simon, de la Sûreté générale. Je crois devoir vous apporter des précisions complémentaires qu’il me parait nécessaire de contrôler pour en déduire les conséquences qui s’imposèrent.
Est-il exact qu’au mois de novembre 1933 M. Bayon-Targe, chef adjoint du cabinet de M. Chautemps, ait eu connaissance des opérations délictueuses faites au Crédit municipal de Bayonne ?
Est-il exact que M. Bayon-Targe ait renvoyé la personne qui lui donnait ces renseignements à M. Duclos, contrôleur des recherches ?
Est-il exact que M. Duclos, sans recevoir cette personne, l'ait renvoyée à M. le commissaire Hennett ?
M. le commissaire Hennett n’a-t-il pas déclaré qu’il ne pouvait pas instruire sur cette affaire et n’a-t-il pas éconduit son visiteur ?
M. le commissaire Simon n’a-t-il pas eu connaissance en novembre dernier, en même temps que des agissements de Stavisky, de l’établissement d’un bon de trois millions émis par le Crédit municipal de Bayonne, bon qui lui aurait été signalé comme suspect ?
A-t-il porté ces faits à la connaissance de son chef hiérarchique ?
Est-il exact qu’il ait été invité à ne pas intervenir ? Est-il exact que M. Thomé, directeur de la Sûreté générale, ait ultérieurement reçu le même visiteur que M. Bayon-Targe ? Ce visiteur était accompagné de M. Lassalle, député.
Ce visiteur a-t-il renseigné M. Thomé ?
Quelles mesures M. Thomé a-t-il prises ?
Je me permets, monsieur le juge, d’insister respectueusement auprès de vous pour que vous recherchiez, par l’audition des personnes ci-dessus, les raisons pour lesquelles l’enquête sur les agissements de Stavisky a été retardée d’une façon aussi étrange que persistante."
M. Bayon-Targe dément.
Interviewé par un journaliste parisien, M. Bayon-Targe a déclaré formellement qu’il n’avait jamais connu les opérations délictueuses du Crédit Municipal de Bayonne.
Les sanctions dans les administrations de la police.
Ainsi que nous l’avons dit hier, M. Camille Chautemps, président du conseil, ministre de l’intérieur, a entretenu le conseil des sanctions qu’il a décidé de prendre en ce qui concerne les fonctionnaires des administrations de la police mis en cause dans l’affaire Stavisky.
Voici le détail des décisions prises :
1° Le commissaire de police Bayard et l'inspecteur de police mobile Bony sont suspendus de leurs fonctions, en attendent leur comparution devant le conseil de discipline ;
COMMISSAIRE PIERRE BONNY ET INSPECTEUR JOHN HENNETT POLICE MAGAZINE JANVIER 1935 |
2° M. Gibert, commissaire de police municipale de Bayonne, sera déplacé.
(La sanction prise contre M. Gibert est motivée par le fait que si ce fonctionnaire avait bien mis au courant M. Garat, maire de Bayonne, des agissements de Stavisky, il avait omis d'en informer ses chefs directs à la Sûreté générale.)
3° Des explications écrites sont demandées à M. Henri Montabré, commissaire de police à la Sûreté générale, et à M. Ameline, commissaire aux dé légations judiciaires à la préfecture de police sur certains faits évoqués dans les rapports des enquêteurs ;
4° Le cas de M. Hennet, commissaire divisionnaire au contrôle des services de recherche judiciaire, est réservé. (Au cours de l'enquête administrative, M. Hennet a été mis en cause par un autre commissaire ; mais, à la suite de la lettre de l'avocat de Tissier, Jean-Charles Legrand, l'affaire qui le concerne doit être évoquée devant le juge d'instruction de Bayonne ; dans ces conditions, une sanction ne pourra être prise qu'après que le juge aura statué.)
Pour préparer la réorganisation et l’unification de la police judiciaire, M. Ducloux, contrôleur général des recherches judiciaires, qui la dirigeait à la Sûreté générale, est remis à la disposition de M. Thomé, directeur de la Sûreté générale, pour le contrôle.
D’autre part, M. Xavier Guichard, directeur de la police judiciaire à la préfecture de police, qui a passé l’âge de la retraite, a demandé à faire valoir ses droits à cette retraite".
XAVIER GUICHARD DIRECTEUR DE LA POLICE JUDICIAIRE |
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