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mercredi 12 juillet 2023

"UNE HISTOIRE DES BASQUES" PAR ADRIEN PLANTÉ EN 1897 (cinquième et dernière partie)

 

"UNE HISTOIRE DES BASQUES" PAR ADRIEN PLANTÉ.


Pierre, Raymond, Adrien Planté, né le 4 octobre 1841 à Orthez (Basses-Pyrénées), mort le 27 mars 1912 à Orthez (Basses-Pyrénées), est un député français, historien, félibre et homme de lettres.



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ADRIEN PLANTE



Voici ce que rapporta à ce sujet, en 1897, M. Adrien Planté, Président de la Société des Sciences, 

Lettres et Arts de Pau, lors du Congrès de Saint-Jean-de-Luz de la Société d'Ethnographie 

Nationale et d'Art Populaire :



"... Et tandis que l'Europe, encore dans les langes d'une civilisation à peine esquissée, était déchirée et par la conquête et par les guerres civiles, nos provinces pyrénéennes vivaient heureuses sous l'abri de leurs institutions nationales.



Témoins vénérables de la sagesse des ancêtres, ces institutions avaient assuré à nos pères la dignité dans le travail, la liberté individuelle dans l'indépendance de la nation ; elles avaient éclairé la genèse de peuples aussi législateurs que guerriers, et ceux-ci avaient pu, grâce à elles, se maintenir en cet état unique, exemplaire, sans avoir à recourir à ce que nous désignons aujourd'hui par un euphémisme d'une ironie sanglante... le concert européen !...



Le vent d'égalisation, d'unification, d'absorption qui souffle autour de la constitution naissante menace de tout emporter de ce qui reste de ce passé glorieux.



L'émoi est grand. Le trouble est profond. Et certes, s'il y eut des protestations, il ne faut pas s'en étonner, encore moins les blâmer...



Comme je l'ai déjà dit dans une autre enceinte, pour l'honneur de nos quatre provinces, ces cris de la conscience nationale étaient nécessaires : le sacrifice ne devait être que plus beau...



Et puis, s'il en eût été autrement, il eût semblé que de leurs tombes, où glorieux ils s'étaient endormis, confiants dans les destinées du pays, nos pères allaient renier nos descendants ;



Eux, les législateurs qui avaient si longtemps fondé, élargi, assuré les institutions du pays libre ;



Eux, les guerriers qui avaient si longtemps contenu et fait reculer les ennemis de la terre franche,..



Et l'on s'inclina !...



L'assemblée des commissaires béarnais réunis à Pau le 28 octobre 1789 avait déclaré que "le salut de la patrie et le bonheur de l'empire ne peuvent se trouver que dans l'union intime de toutes les parties de l'État, et qu'il n'existe pas de plus beau titre que celui de Français"...



Ces paroles, inspirées par le sage Mourot, eurent un profond retentissement dans tout l'ancien royaume de Navarre : l'apaisement se fit dans une union, jamais troublée depuis...



Faut-il vous rappeler, Mesdames et Messieurs, ce qui a suivi cette époque mémorable, véritable tournant de l'histoire, qui ouvrait la voie au dix-neuvième siècle ?



Oh ! nous touchons ici à l'histoire contemporaine, dont il est toujours grave de remuer, en pareille occasion, les trop jeunes événements.



Ce que je puis dire, ce que je dois dire, ce que vous me reprocheriez de ne pas dire hautement, au risque de me voir taxer de flagornerie intéressée, c'est que, le sacrifice consommé, les Fors irrémédiablement perdus, l'unité nationale proclamée, la France n'a pas eu de meilleurs citoyens, de meilleurs soldats, de fils meilleurs que les Basques.



Ils tinrent à bien établir par leur attitude absolument patriotique que les leçons ancestrales n'avaient pas été perdues, et que l'esprit des vieux âges, rappelé récemment par l'éminent auteur de Ramuntcho, ne cessait de planer dans l'air autour d'eux.



Sentinelles avancées de la France unifiée, comme ils l'avaient été de la Gascogne et de la Navarre menacées, ils surent opposer leurs fières poitrines à toutes les agressions ; la frontière pyrénéenne fut encore tracée pendant les guerres de la Révolution et de l'Empire par leur sang généreux.



On vous redira dans le cours de ce Congrès les gestes de vos pères pendant les grands jours de l'épopée révolutionnaire et impériale ; mais je ne puis prononcer le mot de frontière en face de notre imposante chaîne pyrénéenne sans songer à l'héroïque Harispe, qui, en 1793, avec les intrépides chasseurs basques d'abord, ensuite avec sa division d'arrière-garde en 1814, a gravé sur le marbre de nos montagnes d'impérissables souvenirs... Et il ne fut pas le seul héros de sa famille... A lena, l'empereur passe devant le 4e léger composé de Basques :

"-— Vous avez là un beau régiment, colonel.

— Plus bravo que beau, Sire, répond le colonel.

— Nous le verrons tout à l'heure", riposte l'empereur.



Et le soir, après la victoire, le colonel Harispe, fait général sur le champ de bataille, porté blessé devant Napoléon, lui rendait l'hommage de ses trois frères couchés ce même jour au champ d'honneur.


pays basque autrefois harispe marechal
MARECHAL JEAN-ISIDORE HARISPE

N'avais-je pas raison de vous dire, en commençant cette trop longue causerie, que, pour un peuple qui n'a pas d'histoire, vous trouveriez que beaucoup d'historiens se sont occupés du peuple basque ?



Mais ne vous semble-t-il pas surtout qu'il s'est chargé lui-même d'écrire son histoire, et une belle histoire, en actions ?



Vous avez fait acte de véritable et intelligent patriotisme, Messieurs de la Société nationale d'Ethnographie, en organisant ces congrès, ces expositions, et grâce à eux en recueillant les éléments d'une histoire complète, sincère, digne de tout crédit.



Pour le peuple basque, c'est un hommage bien légitime et bien précieux que vous lui rendez, et dans lequel il doit puiser de beaux enseignements, de salutaires leçons.



Il doit voir dans notre oeuvre, comme je l'y vois moi-même, une reprise d'intensité de vie, une affirmation éclatante de vitalité.



La tradition doit les attirer, car la tradition, ce n'est pas la mort, c'est la vie avec son perpétuel rajeunissement.



Comme nous le disait hier dans un fort beau langage notre éminent compatriote M. de Fourcaud, que M. le Ministre de l'Instruction publique a eu l'heureuse pensée — dont nous lui sommes très reconnaissants — de déléguer pour le représenter au milieu de nous, "la tradition, ce n'est pas le séparatisme, c'est la manifestation d'originalité provinciale qui ne saurait nuire à la constitution nationale".



Permettez-moi donc, pâle écho de son éloquence, de vous redire avec lui :

"Prenez conscience de vos traditions. Garder les leçons de ses ancêtres, ce n'est pas revenir en arrière ! Plus vous serez Basques, plus vous serez Français."



Donc, amis du Pays Basque, haut le front, haut les coeurs et en avant !



Je termine en vous proposant de protester avec moi contre l'idée désolante que je trouvais énoncée par un Basque, qui a écrit sur l'origine des Basques !


"Les gladiateurs saluaient César avant de tomber égorgés. N'attendons pas ce servile, ce dérisoire hommage des Basques qui vont aussi mourir... C'est à nous de saluer d'un dernier, d'un sympathique adieu, le clan des Euskariens de France et d'Espagne, les fils des Cantabres de la Rome antique...", etc., etc. Je n'achève pas.



Certes la défense des Basques d'Espagne est en bonnes mains, dans celles des Guipuzcoans éminents qui sont venus à cette séance nous apporter le témoignage de leur précieuse confraternité.



C'est à vous, Basques français, qu'il appartient de protester énergiquement contre ces paroles d'un Basque français.



Assurément — et c'est la loi heureuse du progrès, — tout se transforme dans l'humanité : législations, langues, esprits, intelligences, institutions, moeurs, coutumes... Une seule chose doit rester immuable : l'amour de l'homme pour tout ce qui doit être aimé... Rassurez-les donc, ces pessimistes qui voient le Pays Basque mourant, qui affirment du haut de leur dogmatique erronée que la nationalité basquaise doit fatalement disparaître, et dites-leur hardiment : Cela n'est pas vrai !



Non, un peuple ne meurt pas quand, ainsi que vous savez le faire, dans toute l'ardeur de votre fière indépendance, il aime les souvenirs de deux mille ans d'une histoire insuffisamment connue peut-être, mais suffisamment affirmée par des actes irrécusablement glorieux.



Non, un peuple ne meurt pas qui aime, comme vous, la foi de ses pères, résistant à toutes les épreuves, à toutes les invasions !



Non, un peuple ne meurt pas qui aime, comme vous, sa langue maternelle, cette langue mystérieuse et troublante qui, du berceau jusqu'à la tombe, exprime tantôt avec une énergie rare, tantôt avec une si séduisante harmonie les sentiments de tant de générations toujours jeunes et toujours inspirées dans leur inaltérable poésie...



Non, un peuple ne meurt pas qui, comme vous, peut donner, dans la seule période que nous venons de vivre ; aux lettres, un poète comme Elissambouru ; aux sciences, un savant comme Antoine d'Abbadie ; aux beaux-arts, celui que nous aimons à nommer notre grand Bonnat, toujours debout et en avant quand il s'agit d'accroître le patrimoine d'honneur de la nation !



pays basque autrefois peintre labourd musée
PEINTRE LEON BONNAT
PAYS BASQUE D'ANTAN


Non, un peuple ne meurt pas qui aime enfin, comme vous le faites, le drapeau national, aussi pieusement chéri dans ses épreuves imméritées que dans ses victoires inoubliées, flottant respecté partout où la civilisation menacée et la conscience humaine confiante réclament le concours de sa force et le prestige de sa gloire !...



Il vivra toujours, ce peuple qui garde au fond du coeur le culte sacré de toutes ces grandes et saintes harmonies, faisceau magnifique que tous ici, dans un sentiment commun d'admiration filiale et d'irréductible amour, nous saluons de ce mot divin : La Patrie !

16 août 1897."






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