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jeudi 20 juin 2024

PRISONNIER DE GUERRE ALLEMAND À SAINT-JEAN-PIED-DE-PORT EN BASSE-NAVARRE AU PAYS BASQUE EN 1870 (troisième et dernière partie)

 

PRISONNIER DE GUERRE ALLEMAND EN BASSE-NAVARRE EN 1870.


Pendant plusieurs guerres avec la Prusse ou l'Allemagne, des prisonniers de guerre furent internés dans les Basses-Pyrénées, et en particulier en Basse-Navarre.




ARRIVEE DE PRISONNIERS ALLEMANDS
A SAINT-JEAN-PIED-DE-PORT 1914



Voici ce que rapporta à ce sujet La Revue hebdomadaire, le 22 août 1896, sous la plume de Louis 

Labat :



"Prisonnier de guerre.

Journal d'un soldat du 13e Régiment d’Infanterie Bavaroise.



... Un autre jour de joie, pour nous, ce fut le 8 janvier. Nous reçûmes du pays la première lettre. Elle apportait de l’argent. L’heureux destinataire était l’ami Sch... Nous constatâmes par là que notre lettre au Frænkischen Kurier était la seule qui fût arrivée, qui eût fait savoir aux nôtres que nous étions encore de ce monde. Et nous nous sentîmes allégés d’un lourd poids à l’idée que, déjà, peut-être, ils nous avaient crus morts. Notre misère s’amoindrit, car nous tenions bien les uns aux autres et mettions en commun nos ressources. Le jour suivant, nous reçûmes, nous, Bavarois, 1 fr. 45 par homme, produit de collectes faites par nos chers compatriotes. Comme il n’en revenait rien aux Prussiens, nous fîmes une collecte entre nous, à notre tour, pour les aider en bons camarades. Il se produisit, le 9 janvier, un terrible ouragan, qui dura dix heures, et de la violence duquel on peut à peine se faire une idée. Le 12 janvier m’apporta les premières nouvelles et de l’argent des miens, ainsi que de mes braves compagnons de la Société de gymnastique Franconia. L’envoi me parvint par l’entremise de notre président Th..., qui s’était mis en rapport avec le Comité international de Genève. Je ne puis dire le bonheur que j’en éprouvai. Ce sont de ces choses qu’il faut avoir vécu soi-même. Du coup, je me trouvais hors de besoin, et je partageai bien volontiers avec ceux qui n’avaient rien à attendre. Le 19 janvier, chaque prisonnier reçut 1 fr- 351 comme don gracieux du comité de secours allemand.



IV 

Le printemps vint. Les champs, les arbres, les buissons reprirent leur verdure. Le soleil envoyait à la terre de chauds rayons tempérés par de douces brises. La vie recommençait. Lorsque arriva le carnaval, les habitants de la ville, malgré les tristesses de l’heure, descendirent masqués dans la rue ; preuve qu’à cette distance du théâtre de la guerre, les gens ne ressentaient pas les événements comme à Pau. Chez nous aussi, le carnaval fit valoir ses droits. Nos vieux Bavarois ne se tinrent pas d’improviser une farce militaire de circonstance, dans laquelle les Français furent duriment malmenés. L’exaspération d’un sergent français en fut si grande qu’il porta plainte au commandant ; il réussit à faire mettre en prison tous ceux qui s’étaient mêlés à la plaisanterie, pour avoir rabaissé l’honneur de l'armée française. Ce sergent était de ceux qui nous détestaient foncièrement. Il ne laissait passer aucune occasion de nous consigner.



Le 24 février, par un très beau temps, nous fîmes une promenade, depuis longtemps souhaitée. Le 25 et le 26, un consul américain nous rendit visite. Il venait s’informer de la façon dont nous étions nourris et traités. Il fit les gros yeux quand nous lui donnâmes à goûter de notre soupe, quand nous lui peignîmes notre situation au point de vue de la propreté et que nous lui montrâmes notre misérable litière et nos malades. Il en exprima de l’indignation, tout en nous donnant à comprendre qu’il n’était en situation d’y rien changer. Pour ce qui est de la manière dont le commandant et les soldats français, à quelques exceptions près, se comportaient à notre égard, il était naturel que nous n’eussions pas fait entendre de plainte, car nous n’avions eu à subir de leur part aucuns mauvais traitements. Enfin, le 27, arriva la nouvelle que l’armistice était conclu. Si longtemps attendue, elle fit merveille. Impossible de traduire l’allégresse, la jubilation générales. On criait, on riait, on pleurait, à n’en plus finir. Les visages rayonnaient. Notre seul chagrin nous venait de nos malades, qui ne pouvaient s’associer à nos transports. Les affaires marchèrent bien à la cantine. Quiconque était en mesure de donner donnait volontiers aux camarades. L’étroite surveillance dont nous étions l’objet se relâcha et prit un caractère plus amical. L’espoir de la paix prochaine avait ravi tout le monde, Allemands comme Français. Ces derniers, seulement, étaient outrés de la demande de cinq milliards par l’Allemagne. Bien que le moment de notre départ ne fût pas fixé, tout nous le fit prévoir comme proche. On distribua des souliers à ceux qui n’en avaient pas, des chaussures à ceux qui n’en avaient que de mauvaises, pour qu’ils ne fussent pas obligés de faire la route nu-pieds. Le 29, on nous avisa que le 1er mars, une moitié d’entre nous, par ordre alphabétique, devaient se mettre en marche. Je laisse à penser si on fut content. Les rudes soldats, éprouvés à la guerre, avaient l’air de vrais gamins. Personne ne dormit de la nuit. Il n’y avait que la seconde moitié alphabétique qui fît triste figure, en pensant qu’elle ne partirait pas avec nous.



A une heure du matin, nous franchîmes en chantant la porte de la citadelle. Nous traversâmes la ville, dont les habitants, par les fenêtres, nous faisaient des signes d’adieu. Saint-Jean-Pied-de-Port était déjà loin lorsque le soleil se leva. Nous chantions de gaies chansons, malgré la fatigue d’une marche ascendante. Au bout de quatre heures, nous avions contourné la haute montagne, et nous apercevions à nos pieds la citadelle ou nous étions restés prisonniers pendant trois mois.



D’Irissarry, situé de l’autre côté de la montagne, nous avions encore deux heures de route jusqu’à Hasparren, où nous devions, ce jour-là, faire étape, et où l’on nous remit par homme 55 centimes et un demi-pain. Une grande halle, couverte en verre, nous servit d’abri. Nous y couchâmes sur une jonchée de paille. Cette halle était une dépendance du principal hôtel de la ville, qu'on nous permit d’aller visiter. Nous profitâmes de la permission. Bientôt, les habitants se mêlèrent à nous et nous invitèrent à chanter. Ils prirent plaisir à nous entendre. Animés par le vin et l’idée de la liberté reconquise, nous entonnâmes nos airs allemands. Et quand pour régaler la population je servis l’air : "Je suis un archer à la solde du Régent" (Ein Schütz bin ich in des Regenten Sold), un tonnerre d'applaudissements éclata. De toutes parts, l’on m’offrit à boire.



Nous regagnâmes peu après notre gîte. A peine avions-nous dormi une demi-heure que, soudain, un bruit terrible, dans la rue, nous fit sursauter. Les soldats de notre escorte s’étaient enivrés. Ils s'étaient pris violemment de querelle, et la dispute s’aggrava au point qu’ils firent usage de leurs armes. Les perturbateurs furent arrêtés, et la nuit s’acheva dans le calme. Le lendemain matin, à quatre heures, je fus détaché avec trois camarades et quatre hommes de l’escorte, à l'effet d’aller à Bayonne, but de notre marche, retenir le pain pour le détachement qui suivait. Il faisait encore noir. Le chemin allait toujours s’élevant. Nous n’étions pas sortis des Pyrénées. Un vent frais vint de la mer, et, au lever du soleil, la ville balnéaire de Biarritz, connue comme le lieu de plaisance favori de Napoléon III, nous salua de la blancheur amicale de ses maisons. Au loin, se découpaient déjà les sombres et massifs contours de la citadelle maritime de Bayonne. Je contemplai dans le saisissement le panorama enchanteur qui s’offrait à moi. Il s’est gravé si profondément dans mon souvenir qu’après vingt-cinq ans l’image m’en reste aussi vive. Nous pressâmes le pas pour faire halte dans une auberge assise sur une hauteur. Nous avions faim et soif ; les Français et nous, ne nous fîmes pas faute de manger et de boire. Lorsque nous voulûmes payer, les Français s'étaient si bien arrangés, qu'il nous fallut jouer des talons, en toute hâte, sans avoir à régler la dépense ; le détachement commençait à apparaître derrière nous. Au pas accéléré, nous passâmes devant une charmante villa, sur la façade de laquelle brillait en lettres d'or le mot : "Ithurralde." Une fenêtre s’ouvrit, et une voix nous cria : "Compatriotes, arrêtez-vous une minute, je descends." Nous nous arrêtâmes, surpris. La porte s’ouvrit. Une jeune fille s’approcha de nous, portant sur une assiette du pain et du vin qu’elle nous offrit, en attendant l’arrivée de sa maîtresse. Celle-ci ne se fit pas attendre. Elle vint à nous, la main amicalement tendue. Elle nous conta que, Bavaroise de naissance, elle habitait le pays depuis vingt ans. Nous appréciâmes le pain et le vin. Les Français ne cessaient de protester qu’ils étaient nos bons camarades. Au départ, la maîtresse de maison, ayant coupé des branches de cyprès, en offrit une à chacun de nous, en souvenir.



Au bout d’une demi-heure, nous fûmes aux portes de Bayonne. Arrêtés par le poste, nous dûmes attendre un temps assez long pour être introduits et, avec une escorte renforcée, être accompagnés dans la ville. Conduits aux vastes bâtiments de la manutention militaire, nous y reçûmes du pain pour le détachement qui allait arriver et nous le transportâmes à la gare. Un jeune capitaine vint à nous. Il nous fit cadeau de cigares, qui furent grandement les bienvenus. Dans un allemand écorché, il nous dit qu’il avait été blessé à Wœrth, fait prisonnier et conduit à Ludwisbourg ; on l’avait logé chez un pharmacien, et il s’y rétablit si bien qu’il put rentrer en France sur parole. Avec beaucoup de gaieté, il parla des bons soins dont il s'était vu l'objet en Allemagne ; il se loua par-dessus tout du pays et des gens de la brave Souabe. Deux heures plus tard arriva notre détachement, suivi d’une foule qui criait. Nos camarades s’étaient mis des branches de cyprès à la casquette, ce que l’on avait pris pour une provocation et une dérision. Nous priâmes les nôtres d’enlever cet ornement. Une section vint nous protéger. Elle occupa la gare et contint le peuple.



VUE GENERALE BAYONNE 1870
PAYS BASQUE D'ANTAN



La gare fourmillait d’uniformes de l’armée française, brillamment entremêlés, qui ne laissèrent pas de provoquer chez nous des remarques narquoises et des rires. Ce fut difficilement qu’on parvint à éviter un conflit. On se hâta de nous placer dans les voitures, et le train se mit immédiatement en marche. Bientôt, les lourds remparts dominant la mer disparurent à nos yeux. Le train brûla Dax et Morcenx et arriva d’une traite à Bordeaux, où nous stoppâmes quelques minutes....







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lundi 20 mai 2024

PRISONNIER DE GUERRE ALLLEMAND À SAINT-JEAN-PIED-DE-PORT EN BASSE-NAVARRE AU PAYS BASQUE EN 1870 (deuxième partie)

 

PRISONNIER DE GUERRE ALLEMAND EN BASSE-NAVARRE EN 1870.


Pendant plusieurs guerres avec la Prusse ou l'Allemagne, des prisonniers de guerre furent internés dans les Basses-Pyrénées, et en particulier en Basse-Navarre.




pays basque autrefois histoire guerre armée 1870
ARRIVEE DE PRISONNIERS ALLEMANDS
A SAINT-JEAN-PIED-DE-PORT 1914



Voici ce que rapporta à ce sujet La Revue hebdomadaire, le 22 août 1896, sous la plume de Louis 

Labat :



"Prisonnier de guerre.

Journal d'un soldat du 13e Régiment d’Infanterie Bavaroise.


... Tous les jours, une section était commandée pour les vivres. Plus d’une fois, il m'arriva de me mettre volontairement dans les rangs, car je tenais à connaître la ville et la population de la ville. Le temps était toujours superbe, l’air tiède ; les roses étaient en fleur. C’était une joie pour moi que d’aller, du haut des remparts, à la première heure, admirer le lever du soleil. Quel bien j’en éprouvais ! J’oubliais, pour quelques minutes, ma situation de prisonnier de guerre. J’étais rapidement rappelé à la réalité quand la vie revenait à la caserne et que les camarades allaient se débarbouiller à la fontaine. Nous n’avions ni vase pour l’eau, ni savon, ni serviette. Ce n’est que plus tard que nous obtînmes du savon, moyennant finances. En de telles circonstances, la propreté avait beaucoup à souffrir. La vermine se propageait rapidement. Elle fut bientôt pour nous un réel supplice. La plupart des nôtres n’avaient que la chemise qu’ils portaient sur le corps, et il n’y eut personne qui reçut des Français linge, souliers, ni effets d’habillement. La paille qu’on nous avait octroyée lors de notre arrivée ne nous fut pas changée jusqu’au départ. La vermine s’y était tellement nichée que nous souffrîmes par elle le martyre. Il est aisé d'imaginer que la santé d’un bon nombre s’en ressentit. D’autant plus que les soins médicaux nous faisaient totalement défaut. L’excellence du climat nous était une vraie fortune ; plus d’un lui dut de ne pas succomber. Quant à l’argent, c’était une chose qu’on ne connaissait plus que de nom.



Le 6 décembre, dans la matinée, parut un brigadier de gendarmerie, avec six autres gendarmes ; la garnison, s’étant formée en cercle, barra les issues. Tous les prisonniers, hors ceux qui étaient gravement malades, furent rangés sur la place, enveloppés d’un cercle de soldats. Les gendarmes fouillèrent les chambres, ouvrirent les havresacs, et tout ce qui offrait quelque valeur fut confisqué. Après quoi, on passa en revue les poches et les porte-monnaie ; on nous enleva jusqu’à nos montres. La colère et l'indignation s’emparèrent de nous. Il fallait pourtant se résigner. Nous pensâmes à nous plaindre ; mais le brigadier de gendarmerie nous déclara qu’il agissait par ordre, qu’il le regrettait, ce dont nous ne pouvions douter, du reste, car, en toute occasion, il se conduisait envers nous d’une façon affable et humaine. Les jours diminuaient. Les nuits devinrent plus longues. Je portais envie aux camarades, qui dormaient de si bon cœur lorsque, souvent, je ne pouvais fermer les yeux. A cela se joignait le douloureux sentiment d’être séparé de tout, de n’avoir aucune nouvelle du théâtre de la guerre ni du pays, ce qui m’était insupportable.



Enfin, le 13 décembre nous apporta un changement depuis longtemps attendu. On nous permit une promenade. Ceux mêmes qui risquaient de ne pouvoir aller jusqu’au bout voulurent en être. Sur tous les visages éclatait la joie qu’on ressentait à l’idée de se mouvoir librement dans cette belle nature de Dieu. Par une journée merveilleuse, nous pénétrâmes sous bonne garde en pleines Pyrénées. Des tableaux ravissants se présentaient à mes yeux étonnés. Des caravanes de voitures, lourdement chargées, traînées par des mulets, traversaient les montagnes, pour se rendre en Espagne ou en revenir. De grands bœufs passaient, attelés à des charrettes à deux roues, sur lesquelles le conducteur était assis, dirigeant ses animaux avec un long bâton armé d’une pointe de fer. Le long des pentes, revêtues de broussailles courtes et hérissées, grimpaient joyeusement des troupeaux de chèvres et de brebis mérinos. Partout où nos yeux se portaient, ils voyaient ce qu'ils n’avaient jamais vu. Mais c’est en vain qu’ils cherchaient la forêt allemande, avec ses pins et ses sapins, aux émanations odorantes. De tous les côtés, en effet, la montagne est couverte d'ajoncs, auxquels, de temps en temps, les paysans mettent le feu pour donner un aliment nouveau à la terre. Le regard se promenait avec satisfaction sur de magnifiques châtaigneraies, qui s’étendaient à de grandes distances. Nous traversâmes de jolis villages, plantés de treilles et de cyprès. Des bandes de petits ânes, sans mors et sans bride, chargés de bois, nous barraient le chemin. Des messieurs et des dames, sur de beaux chevaux fougueux, nous dépassaient. Chaque instant nous amenait sa surprise.




pays basque autrefois histoire basse-navarre guerre armée 1870
SAINT-JEAN-PIED-DE-PORT BASSE-NAVARRE 1854
PAYS BASQUE D'ANTAN


Lorsque nous rentrâmes de cette promenade, Saint-Jean-Pied-de-Port nous offrit un spectacle plein de couleur. C’était jour de marché en ville. On ne voyait partout que chevaux et mulets, ayant sur le dos des paniers qui contenaient des objets de toute nature. Les affaires se traitaient avec animation. Des Espagnoles aux yeux de feu circulaient d’un pas élastique, avec de lourdes charges sur la tête. C’est la manière des femmes de porter les fardeaux dans ce pays. Elles balancent ainsi avec légèreté des cruches cerclées de cuivre. A cette scène ne manquait pas la belle Doña, dont le regard rivalise d’éclat avec celui de son costume et qui, toute en soie et en velours, parée d’une ceinture dorée, est assise sur un cheval rapide. Galant, à ses côtés, était le fier Don, en veste de velours garnie de cordons et de tresses d’or, et dont un petit chapeau, aux rubans flottants, achevait le costume pittoresque. Quel contraste mettait, dans ce tableau de richesse, la présence de mendiants vagabonds ! Ils allaient par troupes, vêtus de haillons, en petites culottes, la tête entourée d’un mouchoir sale, ayant des chiffons noirs autour des jambes, chaussés de sandales, armés d’un gros bâton, tout pareils d’aspect à des brigands. Le doux farniente est, je crois, leur vocation, et la mendicité leur occupation principale. Le reste de la population porte surtout la blouse ; le béret est la coiffure ordinaire du pays.



On comprendra sans peine qu’au sortir de ce que nous avions vu nous réintégrâmes la caserne avec amertume. Malheureusement, beaucoup de nos camarades étaient tombés malades. Le 21 décembre, pour la première fois, nous en enterrâmes un. Le clergé catholique (il n’y a que des catholiques à Saint-Jean-Pied-de-Port) précédait le cortège. Trois camarades portèrent le cercueil à l’église, où l’on célébra un service funèbre. Le mort fut conduit ensuite au lieu de paix. Nous nous rangeâmes avec tristesse au bord de la fosse où disparut ce brave, qui, loin du pays, loin des siens, après des batailles et des dangers courus, avait succombé à une maladie perfide. Le second qui mourut était protestant. Le clergé refusa donc cette fois son office. Aussi, de ce jour-là, présentâmes-nous chaque mort comme catholique, afin de lui donner des obsèques honorables. Nous perdîmes treize des nôtres pendant la captivité.



L’hiver fit son apparition sous la forme d’une pluie violente, qui défeuilla les arbres et les buissons. Force nous fut de garder la chambre, le plus souvent dans l'obscurité, n’ayant reçu par chambrée qu’une petite chandelle, qu'il fallait faire durer huit pleins jours, et qui, en réalité, suffisait tout juste pour quelques heures. Le découragement, parmi nous, augmenta de jour en jour. Bien que nous eussions écrit beaucoup de lettres, nous ne recevions aucune nouvelle du pays. Une idée de l'ami B... nous sauva. "J’ai trouvé ! cria-t-il. Nous allons écrire au Frænkischen Kurier (Courrier de Franconie), nous signerons de nos noms, et si la lettre n’arrive pas, nous n’avons plus rien à attendre." Aussitôt dit, aussitôt fait. Cette lettre fut la seule qui parvint à son adresse ; elle donna des nouvelles à tous ceux que nous aimions et qui, depuis longtemps déjà, pleuraient notre mort. La Noël était proche. Nous nous demandâmes s'il n'y avait pas moyen de célébrer cette fête. Justement, il se trouva un ami pour avoir reçu quelque argent. Il le mit libéralement à notre disposition. Nous fîmes un arbre de Noël avec des morceaux de bois liés en croix, auxquels nous suspendîmes des noix et des pommes ; et comme nous avions en réserve des bouts de chandelles, nous les utilisâmes à cette occasion. Dans la nuit sainte, notre petit arbre resplendissait de lumières. Nous entonnâmes l’air : "Nuit délicieuse ! nuit bénie !" (Stille Nacht ! heilige Nacht !) ; et les Français, accourus à notre chant, nous regardaient faire. Les lumières éteintes, je me glissai avec une indicible mélancolie jusqu’à la place de la Citadelle, et je m’adossai à un arbre. Mes pensées se portèrent vers la patrie lointaine, vers les êtres chers qui, aujourd’hui dans la douleur et le regret de l’absent, étaient réunis autour de l’arbre, me donnaient leur souvenir. Je regagnai ma dure couche. Mais je ne pus, de la nuit, clore les paupières. Telle fut la Noël du captif.



pays basque autrefois histoire guerre armée 1870
CHEMIN DE LA CITADELLE SAINT-JEAN-PIED-DE-PORT
BASSE-NAVARRE D'ANTAN


Le dernier jour de l’année 1870 était venu. Nous célébrâmes de fort mauvaise humeur la Saint-Sylvestre, mais ne brûlâmes pas moins un calendrier français, en chantant le cantique : "Bénissez tous Dieu !" (Nun danket alle Goth !) Solennellement, le son des cloches monta jusqu’à nous, mêlant son chant aux nôtres. Le son des cloches me pénétra l’âme, et je remerciai Dieu de tout cœur de ce qu’il avait, jusqu’à ce jour, dans la sanglante guerre, tout conduit si heureusement. Le 3 janvier fut pour nous tous un jour de joie. Nous touchâmes la première paye. On nous remit 2 fr. 50. Cet argent me fit l’effet d’une petite fortune. Nous sortîmes alors de notre torpeur. La cantine eut fort à faire. C’est à qui se donnerait, après tant de privations, quelques satisfactions. Le vin, dont nous étions restés si longtemps privés, nous remit le corps et l’âme. Comme du feu, le sang de la vigne nous ruissela dans les membres. J’ai, en France, bu beaucoup et de toutes sortes de vins ; mais nulle part je n’en ai goûté d’aussi chaud et d’un tel arôme. La bouteille coûtait douze sous. On éleva le prix à dix-huit dès le second jour, ce qui causa un mécontentement général : mais qu’y faire ?"



A suivre...







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samedi 20 avril 2024

PRISONNIER DE GUERRE ALLEMAND À SAINT-JEAN-PIED-DE-PORT EN BASSE-NAVARRE AU PAYS BASQUE EN 1870 (première partie)

PRISONNIER DE GUERRE ALLEMAND EN BASSE-NAVARRE EN 1870.


Pendant plusieurs guerres avec la Prusse ou l'Allemagne, des prisonniers de guerre furent internés dans les Basses-Pyrénées, et en particulier en Basse-Navarre.





pays basque autrefois histoire guerre armée 1870
ARRIVEE DE PRISONNIERS ALLEMANDS
A SAINT-JEAN-PIED-DE-PORT 1914



Voici ce que rapporta à ce sujet La Revue hebdomadaire, le 22 août 1896, sous la plume de Louis 

Labat :



"Prisonnier de guerre.

Journal d'un soldat du 13e Régiment d’Infanterie Bavaroise.



L’auteur de ce souvenir, M. Justus Eberhardt, est présentement, un notable industriel de Nuremberg. Il a fait une partie de la campagne de France, et il s’est trouvé prisonnier à Orléans le 9 novembre 1870, lendemain de Coulmiers. Quand l'Empire allemand a célébré, tout récemment, ses noces d'argent avec la victoire, M. Justus Eberhardt lui a voulu offrir son bouquet de vergiss mein nicht. Pensée pieuse, qui honore son patriotisme. Car il est un zélé patriote. La marque la plus commune où le patriotisme se reconnaisse, c’est l'injustice pour la patrie des autres. M. Eberhardt n’a point laissé passer l'occasion de dire de nous (ou de laisser entendre clairement) le mal qu’il en pense. Il a eu raison. On a toujours raison d'être sincère...



... Pour M. Eberhardt, nous avons été effectivement, un jour, l'ennemi ; il faut donc que nous le restions ; c’est fatal, et rien n'y peut faire. Cependant, derrière tous ses griefs et toutes doléances, il apparaît qu'en somme sa condition de prisonnier n'eût pas laissé de faire des envieux chez nos prisonniers à nous, enfermés dans les forteresses de la Silésie ou même de la Bavière. On ne voit pas que son internement fût, à proprement dire, un internement, puisqu'il était logé, avec ses camarades, dans une caserne dont nos soldats occupant l'autre étage. La vermine lui fut cruelle ? Je ne suppose pas qu'elle le fut moins aux nôtres lors de leur détention, par exemple, dans les casemates d'lngolstadt, connues certainement de M. Eberhardt, puisque c'est à Ingolstadt que son régiment tenait garnison avant la guerre ; et là-dessus, s'il veut être édifié le livre douloureux du capitaine Quesnay de Beaurepaire, où je le renvoie, lui en apprendra long.



pays basque autrefois histoire guerre armée 1870
PARADE MILITAIRE INGOLSTADT BAVIERE
ALLEMAGNE D'ANTAN



Non plus que ses camarades, fut-il astreint jamais à quelqu’un de ces durs, de ces terribles travaux ou l'on condamnait les nôtres sous un ciel du Nord, en plein hiver, par la pluie, la bise et la neige ? Qu'eut-il à faire sous le bon soleil de Saint-Jean-Pied-de-Port, qu'à prendre la peine de revivre ? Il ne recevait pas ses lettres ? Mais recevaient-ils les leurs, à Ingolstadt, nos soldats de Wissembourg, et, par le témoignage que j'invoquais tantôt, ne savons-nous pas la destination que donnait de préférence aux plis chargés l'administration de la poste allemande ? Le jour où les camarades de M. Eberhardt s'avisèrent d'une carnavalade où était moquée et bafouée cette armée française dont ils n’avaient, eux, les Bavarois, à se souvenir qu'avec respect (je ne dis pas avec remords) depuis Bazeilles, lequel d’entre eux fusilla-t-on pour exemple, comme, toujours à Ingolstadt, leurs compatriotes, pour une infraction minime à la discipline, avaient fusillé sans débat Charles Gombault, sergent aux tirailleurs algériens ? — M. Eberhardt peut-il se dire très sûr de l'insuffisance des secours médicaux ! Mais le docteur Lebrun montait, deux fou par jour, visiter les prisonniers à la citadelle. Il se plaint de la nourriture ! Ici, j'ai le regret de le trouver en désaccord avec ses supérieurs militaires, sous-officiers et caporaux, qui, au moment de leur libération, et avant de quitter Saint-Jean-Pied-de-Port, adressèrent à M. Gersam Léon, vice-consulat des États-Unis à Bayonne, chargé de la protection des sujets allemands, la lettre collective que voici, qui parut, à la date du 5 mars 1871, dans le journal le Courrier, où je la retrouve :


"Saint-Jean-Pied-de-Port, le 26 février 1871. 


Au nom des prisonniers, nous soussignés déclarons que nous sommes bien traités ici comme prisonniers de guerre par le commandant de place français de ce lieu, ainsi que par toute l'administration.


Quant aux vivres, nous n’avons à souffrir aucun manque ; c’est ce que nous constatons par nos signatures.

Jean Stelzer, Harnist, Nathanel, Siegert, Porgrul, Georges Hell, A. Lintré, sous-officiers ; Joseph Bauer, second sergent ; André Fauhinfeld, Xavier Schmidt, Georges Spicol, Wlaa Wogt, Georges Mayer, Spierhl, Meiss, caporaux ; Voting, vice-caporal."



... Voici ci-après quelques extraits du récit de Justus Eberhardt :

"... Le crépuscule descendait lorsque nous arrivâmes à Saint-Palais, jolie petite ville. A notre grand étonnement, on nous mit dans la prison. La soupe nous attendait. Un Allemand qui se trouvait là nous la servit, et, par la même occasion, il nous fit l’office d'interprète. Les cellules étaient si remplies que nous eûmes peine à nous coucher. Le matin du 27 arriva. Ce jour-là était un dimanche. Il marqua la fin de notre désagréable emprisonnement. Après le déjeuner, qui nous valut d’être écorchés par le gardien, car, pour ce repas et celui de la veille, il nous prit tout l’argent que nous avions reçu pour notre subsistance, nous nous remîmes en route par un temps magnifique. Le soleil était si chaud que c’était un délice de voyager en chantant dans cette contrée bénie. De superbes villas ou maisons de campagne avec de grandes vérandas s’éparpillaient de tous les côtés. Dans les jardins, les roses étaient en plein épanouissement. On n’eût pu se douter, à voir cette végétation florissante, qu’on fût en hiver. L’œil ne se rassasiait pas du spectacle qui s’offrait à lui continuellement, sur cette route montueuse. Nous étions dans les contreforts des Pyrénées. Tout près de moi se dressaient les montagnes que j’avais tant admirées à Pau. Nous arrivâmes le soir à Saint-Jean-Pied-de-Port, petite place forte sur les confins de l’Espagne. C’est là que, pour la durée de la campagne, nous allions être retenus comme prisonniers de guerre.


pays basque autrefois histoire basse-navarre guerre armée 1870
SAINT-JEAN-PIED-DE-PORT BASSE-NAVARRE 1854
PAYS BASQUE D'ANTAN


III 

Saint-Jean-Pied-de-Port commande la frontière du Sud-Ouest. La citadelle me parut très ancienne, bâtie sur une hauteur escarpée, pourvue d’un pont, protégée dans sa partie la plus accessible par un fort rempart de vingt mètres, tandis que l’autre côté, coupé à pic, formait une muraille naturelle. Au nord s’élevait la caserne, où l’on nous logea ; à l’est était un bâtiment de moindre importance, où se trouvaient la cantine et la prison ; à l’ouest, enfin, il y avait le magasin à poudre, l’arsenal, l’entrée principale, et de petits casernements protégés par un double rempart. Le commandant de la place habitait une maison à un étage, proche de l’entrée. Sur le côté sud, ouvert librement en face de l’Espagne, il y avait trois bastions pour l’artillerie. Les côtés de l’est et de l’ouest avaient chacun leur bastion. Une vaste cour, plantée d’arbres, marquait le milieu de la citadelle. A une distance de deux kilomètres, et sur une éminence, s’élevait un ouvrage avancé, non occupé. L’armement était piètre. Deux pauvres canons qui se morfondaient formaient toute la défense, à moins que l’arsenal n’en contînt quelques autres. La ville s’étendait à l’ouest, au pied de la montagne ; elle était entourée de murs épais, que flanquaient de petites tours. Les hautes cimes des Pyrénées l’enveloppaient à des distances de plusieurs lieues, de telle manière que la citadelle, bien que bâtie sur une hauteur, semblait au fond d’un entonnoir. La garnison se composait de militaires de la ligne, parmi lesquels un certain nombre de blessés des premières batailles, incapables d’un service en campagne. Le commandant, un vieil homme à barbe toute blanche, nous traita avec humanité.




pays basque autrefois histoire guerre armée 1870
CHEMIN DE LA CITADELLE SAINT-JEAN-PIED-DE-PORT
BASSE-NAVARRE D'ANTAN



A notre arrivée, le 28 novembre au soir, nous reçûmes de vieilles paillasses et des couvertures. Les paillasses n'étant pas en nombre suffisant, on garnit de paille plusieurs chambres. On nous distribua ensuite du pain, à raison d’une demi-miche par homme. Fatigués de la marche, nous eûmes hâte de nous coucher. Nous nous demandions les uns aux autres de quelle durée pourrait être notre séjour. Qu'il dût se prolonger trois pleins mois, aucun de nous ne s’en doutait guère. Les relations qui s’étaient établies pendant la route faisaient que nous étions, à présent, six de Nuremberg, un de Furth, deux de Munich et un de Cobourg, qui remplissions une chambre au premier étage. Toutes les armes étaient représentées parmi les prisonniers. Le plus grand nombre appartenaient cependant au 1er corps bavarois. Notre nourriture était la même qu’à Pau. Tous les jours, la soupe, avec quelques haricots blancs et de la viande d’âne, vieille et coriace, à laquelle nous ne pouvions d’ailleurs que goûter à peine, tellement les parts étaient petites. La soupe elle-même n’était que de l'eau. Ce qu’il y avait de meilleur, c’était le pain ; et encore, au bout de quelque temps, nous le donna-t-on de qualité inférieure. La vie uniforme recommença. Les heures passaient longues et paresseuses. Nous tuâmes le temps de notre mieux. Nous autres, Nurembergeois, en notre qualité d'habiles chanteurs, nous devînmes, pour ainsi dire, le centre de notre petite société. Nos deux musiciens du régiment de la garde excellaient dans la déclamation. Un comique de Nuremberg se joignit à nous. Mais il se distingua surtout en ceci qu’il ne nous régala jamais de son talent et se contenta de jouer son rôle à la cuisine."



A suivre...











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