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jeudi 26 juin 2025

LES "BASQUES ESPAGNOLS" EN SEPTEMBRE 1893 (deuxième et dernière partie)

 

LES "BASQUES ESPAGNOLS" EN 1893.


Jusqu'en 1841, les provinces du Pays Basque Sud bénéficiaient de liberté commerciale et la barrière douanière du royaume d'Espagne s'arrêtait à l'Ebre.




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LES FUEROS DU PAYS BASQUE ET DE LA NAVARRE
PAYS BASQUE D'ANTAN



Voici ce que rapporta à ce sujet La Revue Hebdomadaire, le 16 septembre 1893, sous la plume de 

Gustave Guiches :



"Les Basques espagnols.


Fontarabie, septembre.



... Une musique joue la marche royale, alternant avec une fanfare de fifres qui exécute l'hymne de Fontarabie. Et voici l'artillerie, deux pièces de montagne flanquées de diligents canonniers et traînées par des attelages de mules à clochettes sonnantes et à pompons éclatants. Ces deux coulevrines démodées, cadeau de la reine régente, répandent, grâce aux échos des vallées, un fracas de tonnerre, et c'est précédé de ces salves et de ces fusillades, que le Saint Sacrement s'avance, porté par un prêtre en manteau pluvial et abrité sous un dais de soie blanche, lamé d'or et d'argent.



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SALVES DE CANON A GUADALUPE FONTARRABIE 
8 SEPTEMBRE



Au sortir de la ville, le cortège se disloque. Sapeurs, fantassins, cavaliers, artilleurs se lancent à l'assaut de la montagne, tandis que la cloche du sanctuaire, vivant comme une roue de moulin, ne cesse de moudre ses carillons de bienvenue. Les dévotions consistent à entendre une messe, à communier et à porter pieusement à ses lèvres les plis d'une rigide et solennelle robe d'infante qui pare une miraculeuse vierge de bois noir.



Ce devoir accompli, les fidèles se dispersent sur l'esplanade encombrée par les marchands de médailles, les vendeurs de fruits et des mendiants superbes qui exigent la charité. Au son des fifres et des tambours, les jotas s'organisent et, à la rage du soleil, les danses durent jusqu'à l'heure de la rentrée en ville où, dans des arènes improvisées, toujours en l'honneur de la très sainte Vierge, l'on doit égorger une demi-douzaine de taureaux.



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ARENES DE FONTARABIE GIPUZKOA




— Voyez, monsieur, comme ils sont sobres ! La danse, c'est leur seul plaisir ! remarque le cocher qui m'a conduit de Saint-Jean-de-Luz à Fontarabie, un ancien carliste tout prêt à recommencer le coup de feu. J'observe que ses compatriotes, de même que les Polonais sont l'objet d'injustes et désobligeantes comparaisons, et que l'on dit assez fréquemment : "Soûl comme un Basque", mais le cocher proteste : "Les Basques français, ça se peut. Les Espagnols, jamais !" Et, de fait, ceux que je vois ne pourraient se griser que de soleil. Ils boivent de l'eau claire, de la limonade ou une mixture douceâtre composée de sucre et de blancs d'oeufs. Ni bière, ni vins, ni alcools sur les tables dressées en plein air. Rien que l'agua fresca dans les énormes pots de grès.



Les olives, l'omelette, les oignons crus, le fromage, les fruits composent presque tous les repas. Néanmoins, les hommes restent longtemps à table, roulant des cigarettes, jouant aux cartes ou poussant ces cris atrocement aigus qu'ils appellent les irrincina. Il y a, dans ces démonstrations bellico-religieuses, assez d'espagnolisme pour faire sourire l'ombre de Stendhal.



A l'écart de la foule, le cocher me raconte les péripéties de la guerre carliste, il parle franchement en toute sincérité, sans cette vantardise qui rend à peu près insupportable la conversation des vieux soldats et qui fait que tout en vénérant les héros, il est sage d'éviter leur société.



Celui-ci révèle de beaux faits, en indiquant des points stratégiques : "Nous occupions ce fort que vous voyez là-bas. Nous étions embusqués dans ce bois. Nous tenions ces hauteurs".


Et son geste escalade les montagnes, dégringole au fon des vallons, se glisse dans les défilés, se hisse à la pointe des rocs, fouille d'invisibles replis de terrain. D'un accent fait de basque, d'espagnol et de gascon qui se fanatise dans l'ardeur du récit, le montagnard m'évoque ses glorieux souvenirs.


"Nous n'abions pas d'armes, monsieur ! Nous abions vien quelques fousils, mais ils ne partaient pas ! Ah ! Diou biban ! s'ils étaient partis ! Eh vien, nous nous sommes roudement vattus, allez, malgré ce manque de mounitions ! Nous nous sommes vattus abec nos couteaux, abec nos vâtons, les makhila, comme nous disons, abec des cailloux, oui, monsieur, abec les pierres des chemins ! Tenez, près de la frontière, à deux ou trois kilomètres de Sarre, il y a eu une vataille terrrrivle !


Nous n'étions pas trois cents contre plus de deux mille ! Il n'y en avait pas cinquante des nôtres abec des fousils ! Eh vien, nous attaquâmes abec des cailloux ! Nous répondîmes à la grêle de plomb par la grêle de pierre, Diou biban ! Et ça dura plus de deux heures, ça dura tant que parmi nous, il y en eut un devout ! J'ai attrapé une valle dans la cuisse. On m'a laissé comme mort. J'ai été saubé, je ne sais pas comment..."



Le ridicule de ce langage s'effaçait à mes oreilles. Il me semblait entendre une page de l'Iliade, si vivante quand se faisait cette évocation d'un héroïsme disparu. Je voyais le champ de bataille, les frondes tournoyant, la fusillade des troupes régulières, les jonchées sanglantes de ces combattants qui eussent pu se sauver dans la montagne, et qui préféraient rester là, grattant furieusement, de leurs ongles, la terre, pour en déraciner les pierres, faisant face à la mort et gardant l'espoir admirablement fou de pouvoir être vainqueurs !



Quelle histoire écrirait un spectateur de ces guerres de montagnes ! Que d'événements inconnus, horribles ou magnifique mériteraient de posséder leur poète ou tout au moins leur chroniqueur ! Le perfectionnement des armes modernes, la puissance des engins de destruction amoindrit l'initiative du courage individuel. Le temps des assauts, des attaques à la baïonnette, des charges irrésistibles paraît terminé. Comment se rapprocher les uns des autres lorsque des projectiles foudroyant à des portées si lointaines rendent infranchissable la distance qui sépare les armées ? La légende militaire est donc destinée à devenir une légende scientifique. Elle n'en sera pas moins l'expression du sentiment patriotique, mais une expression moins spontanée, plus réfléchie et plus savante qu'autrefois.



La guerre d'aventures, de plus en plus difficile aujourd'hui, pourrait seule garder les traditions héroïques, et la campagne carliste fournirait sans doute à de telles annales d'amples et curieux documents.



Il n'y a, du reste, pas eu que du drame au cours de cette longue insurrection. les incidents tragi-comique y ont, comme partout, trouvé leur place, et le montagnard employait à me les conter autant de bonne humeur qu'il mettait de passion en ses autres récits.



Aux premiers temps de l'insurrection, un aventurier qu'on disait chassé de l'armée carliste pour actes d'indélicatesse, — qu'avait-il donc pu faire ! — installa un jeu de roulette dans une maison isolée, sur l'extrême limite de la frontière française. Il prit à sa solde une douzaine de vagabonds et les instruisit soigneusement du rôle qu'ils devaient jouer. Les touristes qu'attirait l'espoir de se donner, en lieu sûr, le spectacle d'une bataille affluaient dans ce repaire qui leur offrait l'élégante illusion d'un casino. On y jouait ferme, et l'on y dévalisait le voyageur de la plus correcte façon. Dès que l'aventurier jugeait que les bénéfices atteignaient un chiffre suffisant et qu'il ne fallait dépasser, sous peine d'éveiller la méfiance, il envoyait à ses complices un messager qui leur transmettait l'ordre d'accourir.



Tout à coup, un vacarme se produisait. Les crosses des fusils ébranlaient les portes de la maison. Le "directeur" criait : "Les carlistes ! les carlistes ! Aux fenêtres ! Sauvez-vous !" Les joueurs, épouvantés, s'enfuyaient par les issues restées libres, et lorsque les faux soldats de don Carlos, commandés par un faux padre à figure de bandit, faisaient irruption dans la salle, celle-ci ne contenait plus qu'une personne, l'aventurier qui, resté seul à son bord, ramassait les enjeux abandonnés et bouclait, au fond de ses valises, la cagnotte emportée, le lendemain même, vers des destinations inconnues.



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CURE SANTA CRUZ ET SES GUERILLEROS



Quelques jours après, le casino affichait sa réouverture, et les touristes, rassurés par l'administration, envahissaient l'établissement. Une semaine ne s'était pas écoulée que les carlistes intervenaient et que mises et cagnotte disparaissaient, escamotées par le directeur. Or, les figurants de cette pantomime se plaignirent que leur salaire était insuffisant et réclamèrent une augmentation. L'imprésario refusa. Ils résolurent alors de jouer leur rôle au sérieux et se ruèrent à l'improviste dans les salons. Ils s'emparèrent de tout l'argent qu'ils purent découvrir et déclarèrent qu'ils occupaient le casino. Mais l'aventurier avait pu donner un ordre, et l'occupation carliste sévissait depuis une heure à peine que la gendarmerie, accourue en toute hâte, empoignait les vagabonds. Après une enquête sommaire, ils étaient livré aux plus proches autorités espagnoles et, malgré leurs protestations d'innocence, le padre et ses ouailles furent, comme rebelles, impitoyablement fusillés.



Tandis que le Basque parlait, intarissable d'anecdotes, les tambours et les fifres rythmaient les dernières jotas. Un coup de canon retentit annonçant l'heure du départ. Le retour des pèlerins vers la ville s'organisa. Les officiers sautèrent en selle ; les sapeurs se coiffèrent de leurs toisons ; le cuisinier chargea sa marmite ; les fantassins saisirent leurs fusils ; les artilleurs harnachèrent les mules ; les cantinières jetèrent en sautoir les régimes de gâteaux secs offerts par les danseurs, et sur le nombre desquels elles pouvaient évaluer le chiffre exact de leurs succès.



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PROCESSION GUADALUPE FONTARRABIE
8 SEPTEMBRE



La descente se fit sans ordre. Ce fut une dégringolade joyeuse, animée de rires et de cris, tandis que les bateliers de la Bidassoa transportaient, d'une rive à l'autre, les voyageurs arrivés par les derniers trains. Au bas de la montagne, le calme se rétablit. Les rangs se formèrent. Puis, tout à coup, les coulevrines tonnant, les fusils crépitant, les cuivres éclatant, les fifres sifflant, les fidèles chantant, ls cloches carillonnant, le cortège, au pas cadencé de la procession, s'avança vers les vieux remparts."








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