LES "BASQUES ESPAGNOLS" EN SEPTEMBRE 1893 (première partie)
LES "BASQUES ESPAGNOLS" EN 1893.
Jusqu'en 1841, les provinces du Pays Basque Sud bénéficiaient de liberté commerciale et la barrière douanière du royaume d'Espagne s'arrêtait à l'Ebre.
LES FUEROS DU PAYS BASQUE ET DE LA NAVARRE PAYS BASQUE D'ANTAN
Voici ce que rapporta à ce sujet La Revue Hebdomadaire, le 16 septembre 1893, sous la plume de
C'est au cri de "Vivent les fueros" que le peuple des provinces basques d'Espagne menace de se soulever comme il le fit en 1833 et en 1873, pour ne citer que les plus récentes insurrections. Ces fueros représentent un ensemble de coutumes, de privilèges et de franchises consacrés par la tradition et dont l'origine, — d'après les très savantes recherches de M. Julien Vinson, — remonte aux premières associations territoriales que les guerres contre les Maures imposèrent aux chrétiens.
JULIEN VINSON
La liberté du commerce, l'administration par les juntes ou assemblées provinciales et par des fonctionnaires indigènes, le payement d'un impôt unique, l'exemption plus ou moins large du service militaire, tels étaient les principaux avantages qu'accordait cette législation de faveur. Ces exceptions s'harmonisent on ne peut mieux avec le caractère singulièrement indépendant du Basque espagnol et ce qui reste d'un ensemble de privilèges déjà fort réduits est défendu, à chaque menace, avec un désespoir héroïque, à l'égal de la dernière liberté.
Les juntes se réunissaient, tous les ans, dans des endroits spéciaux, sous le porche des églises ou sur les places publiques, et l'on observait pour la tenue de ces assemblées un cérémonial rigoureux. Le plus célèbre lieu de réunion fut, en Biscaye, le chêne de Guernica. C'est ce fameux arbre foral qui a inspiré l'hymne national des Basques "l'Arbola guernicaco" entonné, comme chant de guerre, par les insurgés d'aujourd'hui.
CHANT "GUERNIKAKO ARBOLA" PAYS BASQUE D'ANTAN
Les rois de Navarre, à leur avènement au trône, devaient prêter serment, sur les Evangiles, de maintenir les fueros, et don Carlos, pendant l'insurrection de 1873-1876, renouvela cette solennité. Ce fut, de la part du prétendant, un acte d'excellente politique, car il groupait ainsi, autour d'une cause définie, des éléments dispersés, et il donnait, en même temps, comme un drapeau de guerre sainte à des troupes sans discipline, mais toutes accessibles à l'enthousiasme religieux.
L'idée carliste s'est sensiblement affaiblie dans ces populations du nord de l'Espagne. Les Basques se montrèrent d'abord mécontents du rôle purement contemplatif que s'était attribué don Carlos. Ils avaient espéré le voir à leur tête, les conduisant, lui-même, à des combats dont ils ne savaient que trop le sort réglé d'avance, mais entraînant les volontés défaillantes, payant de sa personne, chevaleresque autant qu'ils s'imaginaient ce chef de partisans. Le prince préféra diriger les opérations à distance. Loin des montagnes peuplées de guérillas, il étudiait des plans de bataille, combinait des manoeuvres irréalisables et préparait d'illusoires armements. Il multipliait les proclamations et les ordres du jour. Il haranguait dans la plus noble langue militaire, ses "fidèles Basques" et ses "braves généraux". Mais les "fidèles Basques" trouvaient que les exhortations leur arrivaient de trop loin et que les paroles royales perdaient de leur accent à n'être plus que des échos.
Cette inaction du chef provoqua dans les troupes carlistes des divisions que l'insuffisance des armements, l'incapacité des généraux, le goût du pillage et l'impression produite par les premiers échecs ne tardèrent pas à propager. Aussi la plupart des provinces se rallièrent-elles au gouvernement libéral, et si le mouvement actuel parvenait à se généraliser, il est certain que le sentiment républicain dominerait et que la révolution se ferait uniquement pour le maintien des fueros.
Le carliste conserve néanmoins des partisans nombreux, surtout dans le Guipuzcoa où, à l'intérieur de la plupart des habitations, le portrait du prince est épinglé au mur, comme une sainte image, au-dessus du fusil toujours prêt à le servir. C'est que l'influence du prêtre est toute-puissante dans cette contrée, et le prêtre du pays basque espagnol reste dévoué à don Carlos en qui se place tout son espoir d'une restauration complète de l'esprit religieux.
OFFICIER CARLISTE 1874 PAYS BASQUE D'ANTAN
Il aime le peuple, dont, le plus souvent, il est issu. Il s'associe à sa vie intime, prend part à ses souffrances et se mêle à ses plaisirs en joyeux compagnon. Il n'est guère de repas de mariage auquel le curé de la paroisse ne préside avec une large gaieté. S'il est jeune, il fraternise avec ses fidèles. S'il est âgé, il exerce sur eux une sorte de paternité mystique. Il est le padre très vénéré qui peut commander et à qui l'on obéit toujours. C'est de ce réciproque abandon que le prêtre recueille son autorité. La religion qu'il prêche est l'interprétation même de l'idéal populaire. Elle est merveilleuse, guerrière, et maintient les âmes dans un perpétuel état d'exaltation. Il faut, pour comprendre toute l'intensité de l'influence ecclésiastique sur ces milieux, avoir assisté à la célébration d'une messe paroissiale dans une église du pays guipuzcoan.
Sur une plate-forme élevée, l'autel resplendit comme un buisson ardent d'orfèvreries, au milieu duquel, dans le foyer le plus incandescent et parmi des colonnes de flammes, apparaît un Christ barbare, grotesquement affublé d'un jupon descendant à mi-cuisses, une silhouette de guérillero attaché à un arbre de justice et, si l'on grandit l'apparition, un rédempteur révolté contre l'horreur du supplice, sachant que cette atroce rédemption ne suffira pas au monde dont il emporte les péchés.
Les femmes sont prosternées sur le parquet de la nef, le visage disparu dans l'ombre de leurs mantilles, et ce parquet s'étoffe d'une multitude de lueurs qui sont les flammes de menus cierges brûlés ainsi, à ras de terre, en commémoration des trépassés. Les hommes occupent les gradins superposés en tribunes, des deux côtés.
A l'heure du prône, les rideaux des fenêtres sont tirés. L'obscurité s'épaissit. Le prêtre prend la parole et, tout de suite, éclat, dans ces ténèbres recueillies, une éloquence fulminante, emportant, en un galop de torrent, fureur, prières, reproches, menaces, anathèmes et bénédictions. C'est la prédication de la croisade, c'est l'appel aux armes. A voir ces hommes agenouillés, serrant à deux mains la bordure de leurs bérets, le cou tendu, humant ce souffle de guerre, on sent qu'un mot les dresserait, tout à coup, criant le "Dieu le veut !" et, de même, l'on sent, qu'au sortir de l'église, le padre, soutane retroussée et revolver à la ceinture, prendrait le commandement des guérillas.
Je ne crois pas que ce caractère militant du culte catholique, chez les Basques espagnols, se manifeste avec plus de vigueur et d'éclat qu'en cet anniversaire de la Nativité de la Vierge célébré, chaque 8 septembre, par les habitants de Fontarrabie. Cette fête est d'ailleurs la commémoration d'une date précieuse au patriotisme des Basques, celle de l'évacuation de leur territoire par les troupes françaises qui, de juillet 1794 au 31 août 1813, occupèrent cette entière région.
La ville entière se rend, ce jour-là, en pèlerinage au sanctuaire de Notre-Dame de la Guadeloupe juche au sommet d'une montagne d'où la vue d'emplit d'un admirable paysage, du chaos noir des Pyrénées espagnoles, des plaines vertes de la Bidassoa et des bleues étendues de la mer. Le cortège se forme aux alentours de l'église, près du château de Charles-Quint. Tout ce qu'il y a de comique et de touchant dans la démonstration d'un peuple pauvre et vaniteux se donne là rendez-vous. C'est la fantasmagorie grotesque, naïve, émouvante pourtant, confine l'enthousiasme d'une foi délirante, la parade presque primitive d'une sorte de carnaval militaire et religieux.
PROCESSION ND GUADALUPE HUIT SEPTEMBRE FONTARRABIE PAYS BASQUE D'ANTAN
L'imagination locale s'est efforcée de reconstituer le spectacle historique d'un régiment de l'occupation. Il y a les sapeurs coiffés, en guise de bonnets à poil, de la toison de brebis qui ombrage le joug des boeufs, une barbe en poils de bouc collée au menton, le tablier de cuir des tonneliers, noué autour des reins et, sur l'épaule droite, une hache de charpentier. Le cuisinier se signale par une vaste gamelle resplendissant comme le disque d'un bouclier qui serait, ainsi que pour protéger la retraite, porté sur le dos. Les fantassins en bérets rouges, foulards multicolores, vestes sombres, pantalons de toile blanche et les alpargates attachées aux chevilles, sont armés de carabines, de fusils à baguettes, de mousquets, d'escopettes et de tromblons.
HACHEROS HUIT SEPTEMBRE FONTARRABIE PAYS BASQUE D'ANTAN
Les officiers à cheval caracolent sur les flancs des troupes, brandissant des cimeterres et criant des ordres, tandis que le galop de leurs montures fait un large battement d'ailes avec les basques de leurs redingotes galonnées. Les cantinières marchent entre les rangs. Elles sont choisies parmi les plus jolies filles de la ville, gracieuses et du charme le plus vif sous le loquet de velours, le corset pris dans le boléro brodé d'or, la taille serrée par le cotillon de chaperon rouge découvrant les nerveux mollets espagnols aux fines attaches et les pieds de haute cambrure chaussés de minuscules brodequins."
HUIT SEPTEMBRE FONTARRABIE PAYS BASQUE D'ANTAN
A suivre...
Merci ami(e) lecteur (lectrice) de m'avoir suivi dans cet article.
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