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jeudi 22 mai 2025

DES CONTRÔLES À LA FRONTIÈRE DU PAYS BASQUE EN OCTOBRE 1937

CONTRÔLES À LA FRONTIÈRE DU PAYS BASQUE EN 1937.


Pendant la Guerre civile espagnole (du 17 juillet 1936 au 1er avril 1939), Hendaye et Béhobie (quartier d'Urrugne), villes-frontière, sont aux premières loges du conflit.




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BEHOBIE 1937
PAYS BASQUE D'ANTAN



Voici ce que rapporta à ce sujet le quotidien Le Petit Parisien, le 7 octobre 1937, sous la plume de 

Louis Roubaud :



"Le difficile contrôle des Pays Basques.


Il s'agit moins d'établir, le long de la frontière, un impossible barrage que de surveiller dans nos villes les Espagnols, de quelque parti qu'ils se réclament, qui ne peuvent justifier de ressources régulières.



Hendaye, 6 octobre.


Deux jeunes gardes mobiles arrêtent la voiture :


Où allez-vous !

A Biriatou.



Ce nom les intrigue. Je leur montre la route que je dois suivre pour atteindre le petit village, à deux ou trois kilomètres, et dont ils ignorent l'existence.


— Il n'y a rien par là ! Et pourquoi y allez-vous ?

— Pour me promener... Pour le panorama !



 Ils se concertent du regard.


— Il n'y a pas de panorama... Et d'où venez-vous ?

— D'Hendaye.

— Vos papiers ?



Pour les éblouir, je leur montre une carte de la Société de la Légion d'honneur et m'efforce d'attirer leurs yeux sur une rosette rouge à ma boutonnière.


Cà, on s'en fiche ! Mais comment venez-vous d'Hendaye, puisque vous habitez Paris ? Quelle est votre date de naissance ?

Elle est marquée sur la carte.

Je vous demande de me le dire par coeur !



J'ai la manie de gonfler mon portefeuille de pièces d'identité variées : carte d'électeur, de demi-tarif ferroviaire, de télégrammes de presse, de divers Syndicats ou associations et le coupe-fil en aluminium. C'est tout un jeu de cartes que je leur présente.


— Ca vous suffit-il ?



Les deux jeunes gens en uniforme se consultent encore et le plus disert m'exprime sa méfiance.


— Il y en a un peu de trop !



Et l'autre :


— Quelle est votre profession ?

— Journaliste.

— Journaliste ou homme de lettres ?

— Homme de lettres, si vous voulez.

— Vous n'êtes pas très fixé ! Et commerçant aussi ?

— Non, pas commerçant.

— Conseiller du commerce... extérieur ?

— Oui !

— Ainsi, vous êtes de Paris, mais vous venez d'Hendaye ? Vous êtes à la fois homme de lettres, journaliste, conseiller de commerce... Vous allez à un lieu dit Biraboux ?

Biriatou.

— Au panorama, complète le camarade. Est-ce que vous connaissez quelqu'un à Biraboux ?

— A Biriatou, personne !



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PONT INTERNATIONAL HENDAYE 1937
PAYS BASQUE D'ANTAN


Et chacun d'inscrire sur son carnet mon état civil, mon signalement, mes diverses professions et le motif "incompréhensible" de mes déplacements dans un pays de tourisme, à deux pas d'une accueillante hostellerie fréquentée toute la saison par les Parisiens de la côte !



Pendant ce long colloque, des piétons à béret basque (quelques-uns chargés d'un sac) étaient passés sur la route, et j'en voyais d'autres par les sentiers sans que les deux jeunes gens préposés à la garde de la frontière s'en fussent le moins du monde inquiétés.



Je n'aurais pas rapporté ce minuscule incident personnel si, à la réflexion, je n'en avais éprouvé quelque inquiétude sur l'efficacité des récentes mesures de surveillance dont fait l'objet cette difficile frontière. En toute hâte à la suite de l'affaire Troncoso, de braves gardes mobiles, étrangers à la région et mal adaptés à ce nouveau service, ont été placés sur des routes qu'ils ne connaissaient pas, dans une population avec laquelle ils n'ont aucun contact.



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COMMANDANT TRONCOSO 1937


Ils semblent avoir reçu des instructions sommaires qu'ils interprètent à contresens en concentrant leur suspicion sur les touristes quand ils la devraient diriger vers les Basques espagnols, si difficiles à distinguer des Basques français.



A-t-on suffisamment expliqué à ces gardiens improvisés que le département des Basses-Pyrénées héberge, parmi tant d'honnêtes et réels réfugiés espagnols, trop de soi-disant exilés politiques, arrivés en France à la faveur du désordre, lorsque les prisons, en Espagne, furent vidées de leurs pensionnaires normaux : délinquants de droit commun, criminels de tout ordre. Ces voleurs, escrocs, assassins même, peuvent être, devant nos postes, confondus avec les malheureuses victimes de la guerre civile. Ceux-ci, pas plus que celles-là, ne pouvaient exhiber passeport, sauf-conduit, ni pièces d'identité. Cette pègre sans parti argue de sa foi politique, se prétend antifranquiste à Hendaye, et antigouvernementale à Perpignan. La plupart de ceux dont elle est composée vivent indépendants et libres, sans réclamer aucun secours officiel et, pourtant, sans moyens visibles ni tangibles d'existence. Elle est toute désignée pour des emplois occultes, des missions, commissions et compromissions secrètes.



Les bandits peuvent aisément être pris pour des braves gens lorsqu'on doit se contente, pour les uns et les autres, des renseignements fournis par eux-mêmes.



D'autre part, les Basques espagnols avec les Basques français se confondent plus aisément encore dans une contrée de pâturages internationaux, où de mauvais piquets de bois, un fil de fer rouillé figurent de loin en loin les murailles de Navarre, les remparts d'Aragon ; dans une contrée où le même dialecte euskara est usité par les nationaux des deux pays.



Mais les hors-la loi de droit commun ne sont pas les seuls indésirables, ou tout au moins suspects justifiant notre vigilance.



J'avais laissé à ma droite, à Béhobie, le drapeau nationaliste flottant à dix mètres de là, au bout du pont sur la Bidassoa. Le fleuve n'est plus qu'un gros ruisseau. La route française, sur la rive gauche, touche presque la route espagnole parallèle. Du village de Biriatou, perché à 500 mètres, je découvris le panorama nié par les gardes mobiles, les montagnes de la Navarre, l'Océan jusqu'à Saint-Sébastien et l'île des Faisans, où s'élève le monument commémoratif des conférences par lesquelles Louis XIV et Philippe IV terminèrent une longue querelle en supprimant les Pyrénées.



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MONUMENT COMMEMORATIF
ÎLE DES FAISANS BEHOBIE
PAYS BASQUE AUTREFOIS


— Vous voyez, m'expliquait mon hôtesse, cette maison, celle-ci, celle-là... et l'autre, au fond, toutes sur le versant français. Ceux qui les ont louées y peuvent surveiller leurs demeures habituelles qui s'élèvent en face sur le versant espagnol. Je les connais tous et je ne me gêne pas pour leur rappeler à l'occasion quelques souvenirs de l'autre guerre, celle de 1914. Je les ai vus alors (car ils sont de grosses légumes chez eux) refuser les pauvres familles belges ou françaises chassées par l'invasion. Les petits enfants, dont le père était prisonnier, ne les attendrissaient pas. Ils aimaient l'Allemagne et la servaient. Sur la côte basque espagnole, les sous-marins ennemis venaient se ravitailler. C'est avec les bénéfices de l'essence vendue aux sous-marins qu'ils ont fait bâtir leurs belles villas. Il y en a un qui vient consommer ici, à cette terrasse. Il était au poste d'Irun quand mon père, un jour, voulant aller voir des parents, lui présenta son passeport. Il le reçut brutalement :


— Qu'est-ce que vous venez faire chez nous ? Les Français, vous êtes tous des espions !



Je lui ai rappelé sa gentillesse et je lui ai dit :


— Si on vous avait répondu ce que vous avez répondu à mon père, vous ne seriez pas ici, à boire des bocks !



Un autocar filait sur la route espagnole vers Alzate Vera Sumbilla. Dans la salle du café qui ouvre sur le fronton, les paysans discutaient les matches de trinquet de Bayonne, où ils étaient allés, après vêpres et procession, voir les frères Arrayet, champions français, lutter vaillamment contre les Espagnols Baleguy et Atano IV. Je n'avais pas remarqué un consommateur de la table voisine s'intéressant à notre conversation. Mon hôtesse me le présenta. C'était, lui aussi, un Basque de l'autre côté, mais qui passait librement sur le pont, ayant un pied à Irun, l'autre à Hendaye.



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LES FRERES ARRAYET 1933
TABLEAU DE ELISSAGUE MARIE-LUCIE HELENE
MUSEE BASQUE DE BAYONNE



Il sourit :


— Si vous l'écoutez ! Elle vous en racontera tant que vous voudrez... On est des amis quand même, n'est-ce pas ?



La femme haussa les épaules :


— Bien sûr !

— Et puis, reprit-il, les Français qui résident en Espagne nationaliste n'ont pas trop à se plaindre ; en Catalogne, et surtout en territoire de Valence, on leur a confisqué leurs biens ; chez nous, ils ont conservé leurs usines, leur commerce, leurs propriétés... Si on nous fait des ennuis en France, on pourrait bien leur en faire en Espagne !



Il a été question, avant-hier, à Saint-Sébastien, de refouler vers la frontière française tout le bureau de la chambre de commerce, mais on a préféré attendre les événements et ne pas envenimer les choses par des représailles prématurées. Le mieux est encore de s'accorder... Je reconnais que sur votre territoire nous devrions nous abstenir de politique... mais ce n'est pas nous qui avons commencé. En Catalogne, l'autorité française envers les Espagnols socialistes, communistes, anarchistes. Pourquoi réserver aux Basques votre sévérité ?



Les cloches sonnèrent appelant les fidèles à l'office. Les consommateurs se levèrent, les femmes, une mantille de dentelle noire sur la tête, les hommes, leur béret à la main, se pressèrent...



A l'intérieur, l'église était déjà pleine ; les femmes, debout ou à genoux sur les dalles, sans chaises  ni prie-Dieu, les hommes, serrés et superposés en trois étages de tribunes latérales... Espagnols et Français répondaient en latin : "Et cum spiritu tuo. Amen" ou écoutaient l'homélie en Euscara, faisaient le même signe de croix, courbaient le front devant la même hostie. Ils étaient tous ici des catholiques fervents, doublement unis par leur religion et leur race.



Race mystérieuse des derniers Ibères, gardiens jaloux de leurs communes traditions : la mantille, le béret, la maquilla et aussi le fronton de pelote, la danse des épées.



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DANSE DES EPEES PAR OLDARRA
PAYS BASQUE D'ANTAN



Ni les piquets sur la montagne ni les gardes mobiles sur la route le long de la Bidassoa ne peuvent séparer en deux ni contenir de chaque côté d'une ligne idéale une telle population.



Aussi s'agit-il moins d'établir le long de la frontière un impossible barrage que de surveiller dans nos villes où ils résident les Espagnols basques ou non, de quelque parti qu'ils se réclament et qui ne peuvent justifier de ressources franches et ouvertes.



Mission de police et non de gendarmerie, délicate et difficile mission."








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