LE DROIT D'ASILE DE LA SOUVERAINETÉ DE BIDACHE AUTREFOIS.
La notion de droit d'asile est une notion qui a évolué au cours de l'Histoire, passant d'un privilège de protecteur à un devoir de protection.
Voici ce que rapporta à ce sujet le Bulletin du Musée Basque N°45 de 1969, sous la plume d'Alain
Noyer, Magistrat :
"Le droit d'asile de la souveraineté de Bidache.
II. — Les conséquences du droit d'asile.
Les abus de droit d'asile sont stigmatisés de toute part. Ils le sont d'abord par les gens du Roi, cela va de soi. Ils le seront par les habitants de Bidache eux-mêmes, ce qui est plus original.
On sait que Antoine II de Gramont avait fait condamner à mort, en 1610, sa femme Louise de Roquelaure, prise en flagrant délit d'adultère, par sa Cour souveraine de Bidache. Cet arrêt avait été cassé par le Conseil du Roi le 16 janvier 1611. Le Parlement de Navarre avait tout naturellement pris ombrage de cet acte d'indépendance du souverain de Bidache ; aussi était-il vigilant à son égard. Le droit d'asile sera l'occasion de lui chercher querelle.
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ANTOINE II DE GRAMONT |
Bernard de Lavie, premier président, signale à Richelieu en 1631, qu'il faut pourvoir "à ce que le sieur Comte de Gramont (l'érection de Gramont en duché est de 1643) ne continue à faire prendre, estrangler des sujets du Roi en sa terre de Vidachen et qu'elle ne serve plus d'asile à tous les malfaiteurs des ressorts des Parlements de Bordeaux et Navarre".
Richelieu, aux prises avec la guerre de Trente ans, où le fils aîné du comte de Gramont, le comte de Guiche, vient de se couvrir de gloire, à la bataille de Mantoue (1630), au point qu'il épousera plus tard la propre nièce du Cardinal, ne donne aucune suite à cette requête.
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ANTOINE III DE GRAMONT |
Au XVIIe siècle, le Parlement de Navarre, toujours sourcilleux sur le chapitre de la Cour souveraine de Bidache, en appellera, à nouveau, en 1710 au Conseil du Roi. C'était le moyen pour lui de lutter contre le droit d'asile. N'entrons pas dans les méandres de ce procès qui ne connut jamais d'épilogue définitif. L'arrêt du Conseil d'Etat, le 7 juillet 1716 "par provision et sans tirer à conséquence" permettait l'exercice à Bidache d'une juridiction souveraine.
Du Parlement de Navarre, passons à l'Intendance d'Auch qui déclare au Contrôleur du Vingtième en 1756 :
"Les abus qui se commettent dans l'exercice de cette sauvegarde sont infinis et très nuisibles au païs, ce lieu et les environs est (sic) rempli de toutes sortes de bandits et de malfaiteurs ; ce sont tous pour la plupart des coupe-jarrets par la communication qu'ils ont, avec les réfugiés qui y sont en grand nombre."
Les Etats de Navarre sont excédés à leur tour. Ils délibèrent ainsi en 1784, quelques années donc avant la Révolution :
"Monseigneur le Duc de Gramont sera informé que sa souveraineté de Bidache sert d'asile à une infinité de malfaiteurs, que leurs incursions nocturnes n'ont d'objet que de nouveaux crimes dont ils évitent la punition en rentrant dans sa sauvegarde, ce qui est contraire à ses intentions, les Etats ne faisant aucun doute qu'il ne s'empresse d'adresser à ses officiers de justice des ordres dans l'objet d'y pourvoir, faire appréhender et remettre à qui il appartiendra ceux des malfaiteurs qui prendront territoire dans ladite souveraineté, qui leur seront indiqués."
Enfin le droit d'asile finit par être critiqué par les habitants mêmes de la souveraineté. Car il n'existait pas à Bidache de forces de police. Les crimes étaient impunis. La population vivait dans la plus grande insécurité. C'est ce que nous apprennent les mémoires rédigées en 1790 pour demander le rattachement de Bidache à la France.
L'insécurité finit par être si grande qu'une émeute survenue en 1789, pour un motif que nous ignorons, ne peut être apaisée que par un détachement de troupes françaises. On peut penser que ce n'était pas la première fois, car, disent les mémoires : "Cette souveraineté n'a pu exister jusqu'à présent que parce qu'elle jouissait de la protection immédiate du gouvernement français."
Aussi est-ce la raison principale que font valoir les habitants de Bidache pour demander à être rattachés à la France au cours de l'année 1790. Louis Perret, après avoir rédigé les mémoires dont nous venons de parler, fut député à Paris pour obtenir ce rattachement. Cette incorporation se fit sans discussion spéciale à l'Assemblée Nationale. A l'occasion de la réforme administrative Bidache fut incorporé dans le district de Saint-Palais.
Le droit d'asile de la Souveraineté de Bidache a donc considérablement évolué du XVIe au XVIIe siècle. Après avoir servi de refuge au début, soit aux huguenots, soit aux catholiques, durant les guerres de religion, il finit, faute de réglementation officielle et par suite d'abus manifestes, par faire de Bidache un repaire de bandits à la veille de la Révolution. Les habitants eux-mêmes demandèrent de ce fait leur rattachement à la France, confirmant le vœu émis bien des fois par l'administration royale des provinces voisines.
Bref, l'accord fut unanime pour faire cesser le droit d'asile, et, par là même, la Souveraineté de Bidache. Les Ducs de Gramont n'y firent pas non plus d'objection, pas plus en 1790, que lors de la Restauration. Antoine VII qui avait partagé l'exil de Louis XVIII, et qui siégera à partir de 1815 à la Chambre des pairs, s'abstint fort sagement de rien revendiquer pour Bidache.
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PORTRAIT D'ANTOINE VII DE GRAMONT |
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