UNE CORRIDA À BAYONNE EN 1857.
Dès le 21 août 1853, a lieu, au Quartier Saint-Esprit de Bayonne, la première corrida "à l'espagnole", jamais organisée en France.
Voici ce que rapporta à ce sujet le quotidien La Presse, le 7 septembre 1857, sous la plume de
Frédéric Thomas, Avocat à la Cour Impériale :
"Courrier du Palais. XXI.
Nous allons intervenir le temps et brouiller notre itinéraire pour aller plus vite aux courses de taureaux.
Rien ne peut rendre l'animation d'une ville surprise tout à coup par la fièvre de la corrida. C'est comme une folie universelle qui, à un moment donné, s'empare de toute la population. Chacun revêt ses plus beaux habits, comme pour une fête, et, dès le matin, la ville se peuple d'étrangers accourus de toutes les directions, qui se promènent joyeusement par les rues, remplissent cafés et cabarets, et, de temps en temps, interrogent le ciel, car l'affiche des courses porte toujours cette menace et cette condition : Si le temps le permet.
Les courses, d'ailleurs; sont en Espagne l'accompagnement obligé, l'ingrédient indispensable de toutes les grandes cérémonies, de tous les événements importants ; c'est à la fois un divertissement populaire et national, à ce point que, sous le règne de Charles III, Madrid se révolta et chassa aux cris de : Pan y toros ! traduction espagnole du panem et circenses des Romains du Bas-Empire.
A Madrid, il y a une course de taureaux par semaine. Dans le reste de l'Espagne, elles n'ont lieu qu'une fois par an, vers les mois de juillet et août. Les espadas, ou, si vous l'aimez mieux, les matadores, accompagnés chacun d'une cuadrilla, c'est-à-dire d'une troupe de toreros, personnel indispensable pour ces représentations, parcourent les provinces, s'arrêtant aux divers cirques où on les appelle et, donnant à chaque endroit une série de trois à quatre courses. La ville fournit d'ordinaire tout le matériel du combat, piques, capes, ainsi que les animaux qui y figurent, chevaux, taureaux, novillos. Le directeur, qui est aussi le principal acteur de la compagnie, l'espada ne fournit, lui, que son concours et celui des toreros, ses subordonnés et ses auxiliaires. Il reçoit d'ordinaire, pour chaque série de représentations, une somme de douze à quinze mille francs, qu'il distribue ensuite, comme il l'entend, entre les membres de la cuadrilla, selon l'importance de leurs rôles ou les stipulations de leur engagement.
Pour ces combats, les Espagnols abandonnent tout ; ils affluent avec leurs familles de tous les points de l'horizon. Ils portent des provisions avec eux, et font quelquefois la cuisine dans l'arène, entre deux courses ; car ils s'installent pour la série de représentations annoncées ; ils mangent sur place, y couchent quelquefois, et ce n'est que la dernière course finie et le dernier taureau tué qu'ils reprennent le chemin de leurs montagnes.
Avant de devenir une profession et une industrie, ces jeux étaient primitivement un art des plus nobles, auquel les grands seigneurs avaient seuls le droit de se livrer. Cet exercice leur venait des Maures, qui avaient coutume de combattre les taureaux à cheval. Les chevaliers chrétiens descendirent à leur tour dans l'arène, la lance au poing, et imitèrent leurs ennemis. Ces paladins, que nous voyons dans l'histoire, des croisades pourfendre des monstres et attaquer des bêtes féroces, avaient fit leur apprentissage dans des tournois et des combats contre des taureaux. Tant que la force musculaire et l'adresse firent la supériorité de l'homme, et tant que la lutte fut un pugilat, n'était-ce pas une bonne politique de réserver à la noblesse le privilège exclusif de ces exercices vigoureux et hardis qui fortifiaient le corps en exaltant le courage ? Aussi l'un des premiers héros qui remplirent le cirque de leurs prouesses, ce fut le conquérant de Valence, ce fut cet illustre Rodrigo Diaz del Vibar, celui que la renommée appela le Cid Campéador.
Le conquérant du Pérou, don Fernando Pizarro, fut aussi un torero consommé. Les rois eux-mêmes ne se contentaient pas de protéger les courses, ils y prenaient part, et nous voyons des empereurs et des rois, Philippe IV, Charles Ier, dom Sébastien de Portugal, tuer des taureaux de leurs propres mains, aux yeux et aux applaudissements de leurs sujets.
L'influence française et l'avènement des Bourbons au trône d'Espagne cherchèrent à détruire, mais ne parvinrent qu'à modifier les courses de taureaux.
Les grands seigneurs, suivant l'impulsion et l'exemple du monarque, cessèrent de combattre les taureaux dans des tournois publics, et l'institution tomba alors dans les mains du peuple. Mais comme le peuple n'était pas assez riche pour acheter les magnifiques chevaux des gentilshommes, le peuple combattit à pied ; au lieu de la lance, il prit pour armes défensives la cape et le harpon, remplacé plus tard par la banderilla.
C'est alors que l'art devint industrie, que cet exercice fut transformé en profession, et que le peuple fit son gagne-pain et son lucre de cette gymnastique périlleuse, à laquelle la noblesse ne demandait que la gloire et que l'honneur. La tauromachie eut ses élèves, ses adeptes et enfin ses maîtres, qui en firent une science et une science compliquée, ayant ses principes, ses lois, ses règles, comme l'escrime. Alors parurent ces familles de toreros, ces célèbres espadas, qui eurent des disciples et formèrent école. Le matador occupa, en Espagne, le rang des grands comédiens en France. Il rencontra les mêmes préjugés, mais aussi les mêmes exaltations et le même enthousiasme. Sans remonter plus haut que 1853, nous voyons Madrid au Chiclanero des obsèques plus brillantes que celles dont la France honora Talma. Vingt mille personnes, dit-on, assistèrent au convoi du torero, et cent cinquante-deux équipages, appartenant aux personnages les plus qualifiés de l'Espagne, suivirent son cercueil.
Malgré les dangers auxquels les condamne leur profession, les règles de la tauromachie sont si sûres et l'habileté des toreros si grande, que les accidents deviennent de plus en plus rares ! et que si quelques-uns, tels que Pepehillo, succombent tragiquement dans l'arène, il en est d'autres, comme Montès et Pedro Romero, qui meurent tranquillement dans leur lit, comblés de richesses et d'honneurs. Ce dernier n'avait pas moins de quatre-vingt-quatre ans quand il s'éteignit comme un bon patriarche, après avoir immolé plus de six mille taureaux dans tous les cirques de l'Espagne.
Le dimanche 30 août, la ville de Bayonne était donc en fête. Sa population, presque doublée déjà par les baigneurs, avait reçu un accroissement inusité ; les seuls trains de plaisir de Bordeaux et de Toulouse avaient apporté trois mille curieux, presque tous armés de leur sac de nuit, précaution indispensable pour avoir autre chose qu'une pierre où reposer leur tête. Tous les hôtels étaient envahis ; les diligences devinrent des chambres à coucher faisant concurrence aux écuries transformées en dortoirs. Heureux encore ceux qui n'étaient pas condamnés à sommeiller sur le marbre d'un café ou à s'endormir à la belle étoile, ou bien encore à errer tout la nuit sous les Allées marines comme les ombres des Champs-Elysées. C'est dans des circonstances pareilles qu'un diplomate donnait ainsi son adresse à Théophile Gautier : "Première botte de paille, quatrième vache à droite."
Dès l'avant-veille, des affiches vertes, placardées aux coins des rues, annonçaient pour le dimanche et le lundi suivants de grandes courses espagnoles. L'affiche était surmontée d'une vignette pittoresque, représentant au milieu du cirque un picador cloué sur sa selle, et recevant sur la pointe de sa pique l'élan d'un taureau qu'il détourne au moment où les cornes effleurent les flancs du cheval. Cela s'appelle une vara, autrement, pour le français, une passe de pique.
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AFFICHE CORRIDA BAYONNE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Le texte qui accompagnait et traduisait la vignette commençait ainsi :
"Une brillante cuadrilla de toreros espagnols, sous la direction du fameux espada Julian Casas dit El Salamanquino, assisté d'un second espada, artiste distingué, figurera dans ces courses.
Douze superbes taureaux sortis des ganaderias de MM. Guendulain et Poyales, de Navarre, seront combattus à cheval et à pied, et tous tués par El Salamanuino et son second épée dans les deux représentations.
Composition de la cuadrilla : premier espada, El Salamanquino ; second espada, Mendivil."
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TORERO EL SALAMANQUINO |
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