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samedi 24 mai 2025

UNE CORRIDA À BAYONNE EN LABOURD AU PAYS BASQUE EN 1857 (première partie)

UNE CORRIDA À BAYONNE EN 1857.


Dès le 21 août 1853, a lieu, au Quartier Saint-Esprit de Bayonne, la première corrida "à l'espagnole", jamais organisée en France.



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CORRIDA BAYONNE
PAYS BASQUE D'ANTAN




Voici ce que rapporta à ce sujet le quotidien La Presse, le 7 septembre 1857, sous la plume de 

Frédéric Thomas, Avocat à la Cour Impériale :


"Courrier du Palais. XXI.



Nous allons intervenir le temps et brouiller notre itinéraire pour aller plus vite aux courses de taureaux.



Rien ne peut rendre l'animation d'une ville surprise tout à coup par la fièvre de la corrida. C'est comme une folie universelle qui, à un moment donné, s'empare de toute la population. Chacun revêt ses plus beaux habits, comme pour une fête, et, dès le matin, la ville se peuple d'étrangers accourus de toutes les directions, qui se promènent joyeusement par les rues, remplissent cafés et cabarets, et, de temps en temps, interrogent le ciel, car l'affiche des courses porte toujours cette menace et cette condition : Si le temps le permet.



Les courses, d'ailleurs; sont en Espagne l'accompagnement obligé, l'ingrédient indispensable de toutes les grandes cérémonies, de tous les événements importants ; c'est à la fois un divertissement populaire et national, à ce point que, sous le règne de Charles III, Madrid se révolta et chassa aux cris de : Pan y toros ! traduction espagnole du panem et circenses des Romains du Bas-Empire.



A Madrid, il y a une course de taureaux par semaine. Dans le reste de l'Espagne, elles n'ont lieu qu'une fois par an, vers les mois de juillet et août. Les espadas, ou, si vous l'aimez mieux, les matadores, accompagnés chacun d'une cuadrilla, c'est-à-dire d'une troupe de toreros, personnel indispensable pour ces représentations, parcourent les provinces, s'arrêtant aux divers cirques où on les appelle et, donnant à chaque endroit une série de trois à quatre courses. La ville fournit d'ordinaire tout le matériel du combat, piques, capes, ainsi que les animaux qui y figurent, chevaux, taureaux, novillos. Le directeur, qui est aussi le principal acteur de la compagnie, l'espada ne fournit, lui, que son concours et celui des toreros, ses subordonnés et ses auxiliaires. Il reçoit d'ordinaire, pour chaque série de représentations, une somme de douze à quinze mille francs, qu'il distribue ensuite, comme il l'entend, entre les membres de la cuadrilla, selon l'importance de leurs rôles ou les stipulations de leur engagement.




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AFFICHE CORRIDA MADRID 1853



Pour ces combats, les Espagnols abandonnent tout ; ils affluent avec leurs familles de tous les points de l'horizon. Ils portent des provisions avec eux, et font quelquefois la cuisine dans l'arène, entre deux courses ; car ils s'installent pour la série de représentations annoncées ; ils mangent sur place, y couchent quelquefois, et ce n'est que la dernière course finie et le dernier taureau tué qu'ils reprennent le chemin de leurs montagnes.



Avant de devenir une profession et une industrie, ces jeux étaient primitivement un art des plus nobles, auquel les grands seigneurs avaient seuls le droit de se livrer. Cet exercice leur venait des Maures, qui avaient coutume de combattre les taureaux à cheval. Les chevaliers chrétiens descendirent à leur tour dans l'arène, la lance au poing, et imitèrent leurs ennemis. Ces paladins, que nous voyons dans l'histoire, des croisades pourfendre des monstres et attaquer des bêtes féroces, avaient fit leur apprentissage dans des tournois et des combats contre des taureaux. Tant que la force musculaire et l'adresse firent la supériorité de l'homme, et tant que la lutte fut un pugilat, n'était-ce pas une bonne politique de réserver à la noblesse le privilège exclusif de ces exercices vigoureux et hardis qui fortifiaient le corps en exaltant le courage ? Aussi l'un des premiers héros qui remplirent le cirque de leurs prouesses, ce fut le conquérant de Valence, ce fut cet illustre Rodrigo Diaz del Vibar, celui que la renommée appela le Cid Campéador.



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STATUE DU CID CAMPEADOR BURGOS






Le conquérant du Pérou, don Fernando Pizarro, fut aussi un torero consommé. Les rois eux-mêmes ne se contentaient pas de protéger les courses, ils y prenaient part, et nous voyons des empereurs et des rois, Philippe IV, Charles Ier, dom Sébastien de Portugal, tuer des taureaux de leurs propres mains, aux yeux et aux applaudissements de leurs sujets. 



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PORTRAIT DE FRANCISCO PIZARRO
VERS 1540



L'influence française et l'avènement des Bourbons au trône d'Espagne cherchèrent à détruire, mais ne parvinrent qu'à modifier les courses de taureaux.



Les grands seigneurs, suivant l'impulsion et l'exemple du monarque, cessèrent de combattre les taureaux dans des tournois publics, et l'institution tomba alors dans les mains du peuple. Mais comme le peuple n'était pas assez riche pour acheter les magnifiques chevaux des gentilshommes, le peuple combattit à pied ; au lieu de la lance, il prit pour armes défensives la cape et le harpon, remplacé plus tard par la banderilla.



C'est alors que l'art devint industrie, que cet exercice fut transformé en profession, et que le peuple fit son gagne-pain et son lucre de cette gymnastique périlleuse, à laquelle la noblesse ne demandait que la gloire et que l'honneur. La tauromachie eut ses élèves, ses adeptes et enfin ses maîtres, qui en firent une science et une science compliquée, ayant ses principes, ses lois, ses règles, comme l'escrime. Alors parurent ces familles de toreros, ces célèbres espadas, qui eurent des disciples et formèrent école. Le matador occupa, en Espagne, le rang des grands comédiens en France. Il rencontra les mêmes préjugés, mais aussi les mêmes exaltations et le même enthousiasme. Sans remonter plus haut que 1853, nous voyons Madrid au Chiclanero des obsèques plus brillantes que celles dont la France honora Talma. Vingt mille personnes, dit-on, assistèrent au convoi du torero, et cent cinquante-deux équipages, appartenant aux personnages les plus qualifiés de l'Espagne, suivirent son cercueil.




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TORERO EL CHICLANERO



Malgré les dangers auxquels les condamne leur profession, les règles de la tauromachie sont si sûres et l'habileté des toreros si grande, que les accidents deviennent de plus en plus rares ! et que si quelques-uns, tels que Pepehillo, succombent tragiquement dans l'arène, il en est d'autres, comme Montès et Pedro Romero, qui meurent tranquillement dans leur lit, comblés de richesses et d'honneurs. Ce dernier n'avait pas moins de quatre-vingt-quatre ans quand il s'éteignit comme un bon patriarche, après avoir immolé plus de six mille taureaux dans tous les cirques de l'Espagne.



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PORTRAIT DU TORERO PEDRO ROMERO 1754-1839
PAR GOYA 



Le dimanche 30 août, la ville de Bayonne était donc en fête. Sa population, presque doublée déjà par les baigneurs, avait reçu un accroissement inusité ; les seuls trains de plaisir de Bordeaux et de Toulouse avaient apporté trois mille curieux, presque tous armés de leur sac de nuit, précaution indispensable pour avoir autre chose qu'une pierre où reposer leur tête. Tous les hôtels étaient envahis ; les diligences devinrent des chambres à coucher faisant concurrence aux écuries transformées en dortoirs. Heureux encore ceux qui n'étaient pas condamnés à sommeiller sur le marbre d'un café ou à s'endormir à la belle étoile, ou bien encore à errer tout la nuit sous les Allées marines comme les ombres des Champs-Elysées. C'est dans des circonstances pareilles qu'un diplomate donnait ainsi son adresse à Théophile Gautier : "Première botte de paille, quatrième vache à droite."



Dès l'avant-veille, des affiches vertes, placardées aux coins des rues, annonçaient pour le dimanche et le lundi suivants de grandes courses espagnoles. L'affiche était surmontée d'une vignette pittoresque, représentant au milieu du cirque un picador cloué sur sa selle, et recevant sur la pointe de sa pique l'élan d'un taureau qu'il détourne au moment où les cornes effleurent les flancs du cheval. Cela s'appelle une vara, autrement, pour le français, une passe de pique.



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AFFICHE CORRIDA BAYONNE
PAYS BASQUE D'ANTAN



Le texte qui accompagnait et traduisait la vignette commençait ainsi :


"Une brillante cuadrilla de toreros espagnols, sous la direction du fameux espada Julian Casas dit El Salamanquino, assisté d'un second espada, artiste distingué, figurera dans ces courses.


Douze superbes taureaux sortis des ganaderias de MM. Guendulain et Poyales, de Navarre, seront combattus à cheval et à pied, et tous tués par El Salamanuino et son second épée dans les deux représentations.


Composition de la cuadrilla : premier espada, El Salamanquino ; second espada, Mendivil."



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TORERO EL SALAMANQUINO



Suivaient ensuite les noms de quatre picadores et de six banderilleros et chulos, plus un cachetero.



Voilà pour les hommes.



Les noms des taureaux et la couleur de leurs devises étaient détaillés plus bas. L'affiche les présentait tous comme âgés de cinq ans et bien armés. Ils s'appelaient Revoltoso, Carnicero, Estudiante, Zapatero Barbudo, Palomino, et d'autres noms aussi insignifiants ou aussi caractéristiques.



Enfin, comme toute affiche de spectacle doit le faire, celle-ci était terminée par les prix des places. Il y avait des loges ou palcos de neuf et de six places ; les premières coûtaient cent quatre-vingt francs, et les secondes cent vingt francs pour les deux représentations.



Les places les plus recherchées sont celles de la première banquette ; on les distingue sous les noms de places d'aficionados, autrement dit places d'amateurs. C'est là que vont s'asseoir les fanatiques et les doctes dans l'art de la tauromachie.



Pour donner aux régates le temps de finir, les courses de taureaux avaient été retardées ce jour-là d'une demi-heure. Elles devaient commencer à quatre heures et demie ; mais, de peur de ne pas arriver à temps, nous nous étions privé des régates, malgré une invitation toute spontanée de la mairie de Bayonne.



Aussi, dès trois heures et demie étions-nous attablé devant un café, en face du théâtre de Bayonne. C'est là que nous avait donné rendez-vous un aficionado de distinction, un gentilhomme de l'Andalousie, M. Alexander y Pisani, avec lequel nous avions fait connaissance, dans la semaine, en visitant ensemble le Pas-de-Rolland.



L'Espagnol était arrivé avant nous ; nous eûmes d'abord quelque peine à le reconnaître, et il y avait vraiment bien de quoi.



Lui, que nous avions vu jusque-là habillé comme tout le monde, et confondu sous cet uniforme de l'insipidité et de la monotonie qu'on appelle l'habit bourgeois, il portait ce jour-là, pour la fête, le costume national de sa province : le sombrero redondo de l'Andalousie retroussait son disque circulaire sur sa tête ; une veste de drap bleu, ornée aux parements des manches et à l'articulation des coudes de pièces d'un velours des plus fins, s'ouvrait sur une chemise à petits plis au col retombant, mais sans être noué par une cravate ; un gilet blanc à collet droit, attaché par des boutons d'or aux armes du propriétaire, était serré à la taille par une ceinture en soie cramoisie à franges d'or. Ajoutez à cela l'accompagnement obligé du cigaretto, et puis mettez à chaque main de l'hidalgo un complément de circonstance : à la main droite, un long bâton de coudrier noir aussi haut que lui, et à la main gauche un éventail à branches de roseau et vous aurez l'ensemble de notre camarade de courses.



Nous partîmes ou, ce qui est plus exact, nous nous laissâmes emporter par le flot du courant de chevaux, de piétons et de voitures qui poussait la foule vers les ponts de la Nive et de l'Adour, qu'il fallait traverser pour arriver au cirque.



Presque toutes les places de l'amphithéâtre étaient déjà envahies depuis les tendidos jusqu'aux palcos. Les sons des cornets à bouquin, le grincement des crécelles, les cris, les sifflet partaient de tous ces gradins comme le prélude impatient de cette foule de six mille spectateurs rangés autour de ce gigantesque entonnoir.



Ne perdons ni temps ni papier à vous décrire un cirque. Tout le monde a vu, tout au moins, des cirques affectés aux chevaux, des hippodromes ; or, ceux-ci ne différent des cirques espagnols que sur un seul point. Dans les cirques à chevaux, la première rangée des spectateurs borde immédiatement le cerceau de sable qui sert de champ aux exercices. Dans les cirques à taureaux, au contraire, il y a entre l'arène et les spectateurs un espace circulaire d'environ deux mètres de largeur, et et espace prend le nom significatif de couloir de refuge. Il est formé par une palissade, barrera ; c'est une clôture en planches et en madriers de deux mètres d'élévation ; et qui circonscrit l'arène du combat. Cette clôture vers le tiers de sa hauteur, porte un rebord qui sert d'étrier aux toreros, quand, trop vivement poursuivis par le taureau, ils ont besoin de l'enjamber pour se mettre à l'abri dans le couloir de refuge. Ce couloir sert encore aux valets de la course, qui sont chargés de fournir des engins aux combattants, ou d'ouvrir les portes pour les nécessités du spectacle, ou enfin de chasser le taureau quand il franchit la barrière. Ainsi donc, ce couloir de refuge est borné par deux cloisons : la barrière qui ceint le lieu du combat, et la contre-barrière, qui est celle où s'accoude le public, et qui est protégée par des cordes horizontales, courant de piquet en piquet, à la hauteur du front des spectateurs les plus rapprochés quand ils sont assis, ou à hauteur d'appui quand ils se tiennent debout."



A suivre...


(Source : La fête interdite, de Manuel Hernández.)







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