ANDRÉ LICHTENBERGER ET LE PAYS BASQUE EN 1932.
Emile André Lichtenberger est un historien spécialiste du socialisme, un essayiste et romancier français.
Elève au lycée de Bayonne, il restera toujours attaché au Pays Basque sur lequel il a écrit plusieurs livres.
Voici ce que rapporta André Lichtenberger à ce sujet dans le Bulletin du Musée Basque, en 1932 :
"Pourquoi j'aime le Pays Basque.
Quelquefois — il faut bien se promener — l'enfant descendait dans la petite ville. Une de ses menottes était serrée dans la poigne rugueuse de l'âpre Thérèse. Sur la place Louis XIV se tenait le marché. II y avait de la fierté, de l'émoi aussi, à voir l'Alsacienne, veuve de gendarme, méfiante et revêche, disputer rudement leurs denrées à la faconde des paysannes, "Jechouch ! celle-là, elle sait y faire." Faut-il rappeler quelques types, aujourd'hui presque disparus : Espagnols en culottes de velours ; Cascarotes aux voix éraillées, faisant valoir leurs poissons ; porteuses d'eau, la grande jarre de grès en équilibre sur le mouchoir couronnant la tête ?
CASCAROTES PAYS BASQUE D'ANTAN |
La pourvoyeuse attitrée de la maison d'Abzac avait nom la vieille Julie. Je vois encore son visage en écorce, couleur pain d'épice. Dans le milieu de la bouche, le sourire découvrait une dent jaune et unique, proéminente comme un pic.
Dans une petite rue perpendiculaire à la digue, nichait une créature maléfique, fille, je pense, d'un sandalier. Son visage rond, semé de taches de rousseur, était sombre, de mauvais augure, et se plissait à mon adresse dans d'atroces grimaces qui me reviennent encore dans mes cauchemars. Quand on me confiait la mission de mettre une lettre à la poste, je faisais un détour pour ne point l'affronter.
Quelquefois on s'aventurait dans des lieux émouvants. Il y avait la boutique de Mademoiselle Ferry, pleine de trésors : je possède encore une boîte de nacre qui en est issue. Il y avait l'antique église avec son ombre fraîche, son odeur d'encens et ses balcons de bois, et surtout, pendant à sa voûte, le bateau miraculeux commémorant, je crois, le sauvetage de l'Impératrice Eugénie lors d'une escapade demeurée fameuse. Il y est toujours accroché.
Et tout près, exactement en face du sanctuaire, la voyez-vous, la vieille maison basque, si bourgeoisement assise dans la grand'rue ? Il ne manquait guère, notre garçonnet, une fois au moins la semaine, d'en gravir le vaste escalier aux marches déclives, avec quel battement de cœur troublant et voluptueux !
En haut sous son madras noir lui souriait la vétuste servante Gachucha à la mâchoire édentée : "Mademoiselle est au salon". Et au bout du long couloir, au parquet impitoyablement ciré, où il fallait marcher si précautionneusement pour ne pas se jeter par terre, dans l'inoubliable sanctuaire dont les meubles anciens, le poisson porc-épic, les coraux et les coquillages épandaient un si merveilleux mystère, les soixante-dix ans de Mademoiselle Herminie accueillaient avec une bienvenue lumineuse les huit ans de son visiteur.
Puis c'était l'exquis et solennel déjeuner en tête-à-tête, — oh ! ces fricandeaux, oh ! ces sauces tomate ! — dans l'imposante salle à manger. Les libres ébats dans le minuscule jardinet pullulant, autour de la mare, de fleurs et de moustiques. J'ai encore devant les yeux le décor cocasse et fascinant du papier à personnages qui tapissait les murs d'une retraite discrète et suscitait chez le solitaire qui en goûtait le refuge des méditations si prolongées, si passionnées, qu'il arrivait qu'une voix anxieuse vînt l'y poursuivre : "Au moins, vous n'êtes pas souffrant, mon petit ami ?"
Après cinquante ans, ces émois demeurent pour moi d'un charme si saisissant, si rare, si intime, que rien, je pense, n'en a égalé dans ma vie les suaves délices. Telle est leur magie que jamais je n'ai osé risquer jusqu'ici en ternir l'éclat. Jamais mes pas d'homme ne se sont hasardés à remonter le vaste escalier aux degrés en pente, à suivre le long corridor, ou à franchir à nouveau le seuil du salon féerique.
L'an dernier, l'aimable petite nièce de Mademoiselle Herminie m'a amicalement invité à un pèlerinage. J'ai dit oui, je crois, mais je n'ai pas tenu ma promesse. Il est des rêves d'une grâce si subtile, si ténue, que tenter de les rafraîchir est impiété. Il n'est pas donné à l'homme de saisir les pierreries qui dansent dans un rayon de soleil, les émaux qui chatoient sur l'aile du papillon. A quiconque aurait l'imprudence de vouloir les étreindre, il ne demeurerait dans la main qu'un peu de poussière et de cendre.
Autre vision, d'une grandeur épique : celle de ces dimanches inoubliables où, pas bien loin non plus de l'église tutélaire, sur le vieux jeu de pelote de la ville, disparu depuis combien d'années, se disputaient les grandes parties de rebot.
Je n'arrive pas encore aujourd'hui à me définir exactement — tant de choses nous demeurent mystérieuses dans la sensibilité enfantine — les raisons profondes qui revêtaient d'une magnificence ce spectacle, dont assurément lui échappait bien des vertus, aux yeux de ce moutard des pays nordiques. Le vieil homme qu'il est devenu sent encore son cœur bondir à évoquer ces Iliades où, sous l'œil invisible des Olympiens, Haïtza, le colosse d'Hasparren, plus gigantesque qu'Ajax, fils de Télamon, et secondé par Chilar, rusé comme Ulysse, refoulait avec une agile vigueur la sèche pelote.
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JEAN-BAPTISTE DUHALDE DIT CHILHAR PAYS BASQUE D'ANTAN |
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