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vendredi 17 octobre 2025

UN CHARIVARI À SAINT-JEAN-PIED-DE-PORT EN BASSE-NAVARRE AU PAYS BASQUE EN 1832 (troisième et dernière partie)

 

UN CHARIVARI À SAINT-JEAN-PIED-DE-PORT EN 1832.


Les charivaris ont existé en Europe et dans de très nombreuses régions de France, dont le Pays Basque.



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CHARIVARI
PAYS BASQUE D'ANTAN



Voici ce que rapporta à ce sujet le bulletin de la Société des Sciences, Arts & Lettres de Bayonne

le 1er janvier 1937, sous la plume de Gil. G. Reicher :



"... Mais la jeunesse ne l'entend pas ainsi, elle réclame le droit de s'amuser en Carnaval, droit respecté depuis des siècles. Le Maire fait alors comparaître les organisateurs du bal et les garçons cordonniers. Devant leur insistance à réclamer la salle, il les chapitre, les raisonne ; mais, croyant bien faire, décide que les cordonniers souscriront aux dépenses de la fête, et par conséquent, ils y assisteront. L'autorisation est donnée. Tout paraît en règle. Cependant, dans la journée du 19 février, nouvelle tempête.



Les jeunes gens organisateurs sont furieux d'avoir été obligés de céder devant les cordonniers ; ils préparent pour la nuit suivante un beau tapage à leur adresse. Leur colère est maladroite, ils l'annoncent par une affiche injurieuse collée sur certaine maison que nous devinons facilement.



A cette nouvelle, le Maire refuse définitivement la permission sollicitée. Tout rassemblement de plus de 5 personnes est interdit sous peine d'arrestations. Défense est faite de se masquer, et les cabaretiers doivent fermer leurs portes à heures et demi. Triste Carnaval ! Aux yeux de la jeunesse, qui est responsable ? La cordonnerie. Mais alors, ce qui n'était que plaisanterie devient haine. Il a fallu céder, s'humilier devant les cordonniers ; à cause d'eux, les fêtes sont sans joie. On se vengera : l'un deux paiera pour tous, Pierre Rancez ! l'étranger, le mari de la veuve. C'est vers lui et sa femme que se tendront les colères, les moqueries féroces : dans le coeur de cette jeunesse, hier irritée, mais non méchante, va naître un désir de querelle qui s'épanouira dans la mascarade traditionnelle.



Quelques jours se passèrent dans une attente lourde de menaces. Comment empêcher les conciliabules, les réunions à deux ou trois pendant lesquelles tout s'organisait et dont les décisions étaient immédiatement transmises aux camarades ?



Enfin, un beau soir de premier printemps, l'orage creva.



Débouchant du sentier qui venait du faubourg d'Ugange, le charivari apparut. Le tintamarre des étranges instruments réveilla en un instant tous les animaux qui dormaient du paisible sommeil des âmes sans malice, et bientôt leurs cris se mêlèrent à la grotesque musique : les braiements des ânes, les grognements des porcs, les aboiements des chiens, et jusqu'aux appels des coqs, qui, effrayés par ce tapage inaccoutumé, crurent à un danger et manifestèrent aussitôt leur bruyante bravoure, trop souvent inutile. Les hommes, qui, dans le charivari, s'étaient déguisés pour représenter ces mêmes animaux, s'essayaient à imiter leurs cris.



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CHARIVARI A UHART-CIZE
PAYS BASQUE D'ANTAN


Le garçon, qui, ayant pris le rôle de Gatua, avait recouvert sa tête d'une descente de lit, et poussait des miaulements à réveiller toutes les chattes du canton, sautait lestement, pour donner plus de prix à son imitation, contre les margelles des fenêtres, au grand effroi de ses congénères authentiques venus sur le rebord du toit, aux nouvelles. Au grand effroi surtout des pauvres vieilles qui entrouvraient leurs volets et croyaient, dans leur demi-sommeil, voir apparaître Basa-Iaun en personne.



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BASAJAUN
PAYS BASQUE D'ANTAN



Le camarade-chien aboyait d'une voix aussi grave que celle de l'écho dans les cavernes de Balsola, et, courant à quatre pattes, menaçaient de mordre les talons de tous ceux qui s'approchaient. Il prenait dans la nuit des formes fantomatiques et grandissait jusqu'à la taille d'un ours.



Un autre, cheval et boeuf à la fois, avec sa crinière de poils attachée à l'arrière de sa blouse, et le front surmonté des cornes d'un taureau, tué l'année précédente aux courses de Pampelune, ressemblait aux bêtes fantastiques qui descendent de la montagne, les nuits sans lune, pour aller chercher et ramener sur leur dos, ceux que la Dame de Amboto convie dans ses demeures sombres  à ses fêtes sacrilèges. Il mugissait en soufflant dans une de ces cornes d'os dont les bergers se servent encore dans la montagne pour rassembler leurs troupeaux courant dans la bruyère et qui gardent la forme du cor légendaire au son duquel mourut le vaincu d'Ibañeta.



Quand il s'arrêtait de souffler, ses compagnons, munis du même instrument, reprenaient en choeur les notes claironnantes et ce bruit, amplifié par l'écho contre les murs des remparts, faisait trembler l'air.



Cependant, toute cette bizarre et farouche musique ne pouvait couvrir le tumulte des cloches. Chacun des hommes réunis pour le charivari portait à la main une de ces "isquillas" que l'on suspend au cou des bêtes afin qu'elles ne puissent s'égarer dans la montagne. Carrée, ou renflée en leur milieu, ces cloches ont un son vif et sonore. Elles étaient 50 à 60 à sonner cette nuit-là dans les rues de Saint-Jean, secouées avec une ardeur sauvage par ces garçons qu'excitaient le bruit, les rires et le désir de se moquer. Leur bruit couvrait tous les autres bruits : cris d'animaux vrais ou simulés, hurlement des cors, appels des gens. Et, malgré son intensité et sa force, il gardait je ne sais quoi de mélancolique et de farouche, qui laissait planer sur cette grotesque aventure un air mystérieux et menaçant.



Ainsi accompagné, le charivari avançait sur la grande place de Saint-Jean.



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PLACE DU MARCHE SAINT-PIED-DE-PORT
PAYS BASQUE D'ANTAN



A chaque extrémité du cortège, 4 garçons tenaient 4 immenses gaules au bout desquelles elles étaient accrochées des boîtes de fer percées d'un trou : vulgaires tirelires qui demandaient aux braves gens, spectateurs de cette mascarade, une obole pour dédommager de leurs frais ceux qui les amusaient. En avant de l'assemblée grotesque, des enfants secouaient des guirlandes de piments rouges que l'on avait entrelacées autour de cercles d'osier. Puis, marchait un homme déguisé en bohémien ; des crins posés sur sa tête, retombaient tout autour de sa figure ; il élevait une branche de châtaignier au sommet de laquelle était attaché un simulacre de chat en chiffons bourré d'étoupe et entouré de paille. Ensuite venaient les hommes-animaux hurlant. Lorsqu'ils arrivèrent en face de chez la Madeleine, ces êtres fantastiques s'écartèrent les uns des autres et au milieu d'eux, apparut le garçon boulanger. Il se mit aussitôt à chanter de grotesques couplets, d'une violence parfois obscène, qui visaient les veuves remariées de la maison. Il s'interrompait après chaque couplet et reprenait avec le charivari tout entier le dernier vers. Sonnettes, cloches, porte-voix, scandaient ensuite l'arrêt obligé, pendant lequel le chanteur retrouvait quelque souffle.



Enfin, quand il eut terminé sa rude satire, au milieu du vacarme parvenu à son apogée, les enfants accrochèrent à la porte des veuves les guirlandes de piments pendant que l'on mettait le feu au chat d'étoupe que la perche qui lui servait de support soulevait jusqu'à la hauteur des fenêtres.



Celles-ci, non plus que la porte, ne s'étaient ouvertes. Mais si, aux cris du charivari, les honnêtes gens avaient refermé prudemment leurs volets entr'ouverts, les amis des nouveaux mariés, réveillés, s'habillaient à la hâte pour se précipiter vers l'endroit du tintamarre. Arrivés trop tard pour empêcher la mascarade et les chants, ils virent de loin l'incendie du faux chat qu'ils ne purent éviter, mais leurs hurlements de colère se mêlèrent aux cris de joie des assiégeants.



Ceux-ci, se retournant, virent leurs ennemis et la bagarre commença.



Les cordonniers aussi sont ivres de vengeance.



Quoi donc ! on vient faire un charivari sous les fenêtres de la veuve de François Angosse, sous le prétexte qu'elle est remariée ? Que dire en ce cas du père de François Angosse !



Et les injures pleuvent à propos d'une histoire bien oubliée...



Le père de François Angosse, Dominique, est remarié aussi ! et à 55 ans, avec une couturière de 37 ans, Isabelle Olivier, dont il avait eu deux enfants. Et ils ne sont pas basques.



Qu'est-ce donc que cette levée de boucliers pour défendre la mémoire d'un soi-disant basque ? Qu'est-ce que ce charivari qui ferait mieux de se retourner contre les accusateurs ?



Et les coups tombent de part et d'autre, graves, quelques-uns sanglants. Triste fin d'une plaisanterie qui, au début, n'avait aucun but tragique, mais que les dissensions intestines et surtout l'influence de la guerre voisine rendirent pénible et désastreuse.



La "force armée" de Saint-Jean intervint. Il y eut des blessés, des arrestations.



Ainsi finit le dernier des grands charivaris qui soit consigné dans les annales officielles de Saint-Jean. Mais les esprits ne se calmèrent point de sitôt. Les troubles de la guerre carliste se mêlèrent aux excitations et aux querelles contre lesquelles, au cours de l'année 1832, l'autorité dut intervenir d'une façon formelle et décisive."









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