EN PAYS CARLISTE EN 1899.
Après les trois guerres carlistes de 1833, 1846 et 1872, d'autres conspirations et tentatives de soulèvement carlistes ont lieu par la suite, notamment après la guerre hispano-américaine de 1898.
Voici ce que rapporta à ce sujet le Journal des débats politiques et littéraires, le 5 février 1899, sous
la plume de Paul Combie :
"Au pays carliste.
Il nous a paru intéressant, dans un moment où l'on parle d'une tentative possible du parti carliste, d'envoyer un de nos collaborateurs faire une enquête sur l'état des esprits, dans les provinces mêmes où le prétendant compte le plus de partisans.
Voici la première lettre que nous adresse notre envoyé spécial :
Saint-Sébastien, janvier.
Je viens de quitter à Irun un Parisien qui rentre en France fort désillusionné et quelque peu furieux contre toutes les Espagnes. Il pensait ne pouvoir mieux utiliser ses courtes vacances de Noël qu'en poussant jusqu'à la frontière espagnole. Les guides lui décrivaient un pays magnifique ; Mathieu (de la Drôme) prédisait le beau fixe ; enfin, les gazettes affirmaient que, de l'autre côté de la Bidassoa, le pays était en pleine effervescence et que les carlistes allaient reprendre la campagne qui, il y a quelque vingt-cinq ans, les amena aux portes de Madrid. L'excursion s'annonçait donc agréable et peu banale. Quelles émouvantes histoires à opposer à l'éternel récit d'une ascension ou d'une promenade sur les lacs ! Hélas ! les guides disaient vrai, le hasard justifiait les prévisions de l'almanach ; mais les journaux, - surtout la feuille qui appuyait ses dires de croquis fallacieux, - avaient réveillé chez mon aimable compatriote l'esprit d'aventure, les journaux, dis-je, l'avaient outrageusement trompé. A Bayonne, on avait doucement souri quand, sur la fol de ces documents, il avait demandé où étaient les forces carlistes ; à la frontière française, le commissaire de surveillance ne l'avait pas sommé de justifier de son identité ; à la douane espagnole, on avait jeté un coup d'œil dédaigneux sur ses effets sans vérifier s'il ne faisait pas de la contrebande de guerre. L'expédition du hardi voyageur était manquée. Ah ! les journalistes, Monsieur, les journalistes...
OFFICIER CARLISTE 1874 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Le fait est que, si vous demandez à la frontière ce qu'on pense du mouvement carliste, on vous répond sans hésiter : "Il n'y a rien." Et on s'aperçoit bien vite que le renseignement est exact, au moins pour le moment. Il ne faudrait pas, en effet, en conclure que le carlisme n'existe pas. Les provinces du Nord ne pardonnent pas à la monarchie actuelle d'avoir diminué leurs libertés. Il suffit de visiter le magnifique palais de la Diputacion à Saint-Sébastien, de voir avec quelle fierté votre guide vous montre les tableaux et les vitraux rappelant l'institution des "fueros", d'entendre avec quel orgueil il parle de la "province" pour comprendre combien ces libertés tiennent au cœur des Basques, des Navarrais. Ils veulent bien payer tribut à la Couronne pour couvrir les frais généraux ; mais ils entendent s'administrer eux-mêmes.
TROUPES CARLISTES A ST SEBASTIEN 1874 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Don Carlos a promis le rétablissement de tous les anciens privilèges provinciaux ; c'est presque l'autonomie, et rien n'est plus sensible à ces populations pour lesquelles la petite patrie passe avant la grande, ou plutôt qui ne conçoivent pas celle-ci sans la première. Sans doute, si le parti carliste avait été solidement organisé, il eût pu, au lendemain de la guerre contre l'Amérique, soulever une bonne partie du pays. Mais soit que le prétendant ait reculé devant la responsabilité d'ajouter aux malheurs d'une guerre désastreuse les ruines d'une guerre civile, soit qu'il ait douté des forces dont il pouvait disposer, il a laissé passer l'occasion. Le gouvernement a senti le danger et, averti par l'expérience, il a rapidement pris ses mesures. En 1870, il n'avait pas ou presque pas de troupes dans les provinces septentrionales, les moyens de communication et de transport étaient rares et peu commodes ; le mouvement carliste se propagea sans être entravé.
TROUPES CARLISTES 1874 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Avant que le gouvernement eût eu le temps de réunir des forces et de les envoyer contre les insurgés, tout le nord de l'Espagne était en armes. Les carlistes étaient déjà maîtres des positions importantes et, de toutes parts, des fortins, dont on voit encore les ruines, un peu partout, dans les provinces basques, défendaient les hauteurs. Aujourd'hui, des garnisons sont installées dans tous les centres de quelque importance ; aux premiers bruits d'un soulèvement, des renforts venus du Sud sont arrivés dans les provinces suspectes de carlisme ; les cercles et les salles de réunion carlistes ont été fermés sans autre forme de procès ; les journaux carlistes ont été purement et simplement supprimés et rien n'a bougé. Il est d'ailleurs douteux que le mouvement ait eu l'importance du dernier soulèvement. Près de trente ans se sont écoulés depuis ; beaucoup de jeunes gens ont travaillé dans les grandes villes comme Bilbao ou Saint-Sébastien, jadis très dévouées à don Carlos et ne demandant aujourd'hui que la tranquillité indispensable à leur prospérité. De plus, un changement de régime ne saurait se faire qu'avec le concours de l'armée. Or, l'attitude de celle-ci ne paraît nullement devoir favoriser un mouvement. Tous les bruits que l'on fait courir sur tel ou tel général ne sont que des bruits. Pour le moment même, dans les villes où comme à Saint-Sébastien l'état de siège est proclamé, tout est parfaitement calme. Tout le monde semble désireux de rester en paix. Et les chances de succès du prétendant paraissent d'autant moins nombreuses que, à la suite de la guerre hispano-américaine, le besoin de repos prime tout, même le mécontentement des partis d'opposition.
GUERRES CARLISTES PAYS BASQUE D'ANTAN |
Enfin, si le parti carliste semble manquer d'organisation, il manque sûrement d'argent et de crédit. Lors de la dernière insurrection, il avait l'un et l'autre. La preuve en est que l'on entend dire souvent à la frontière : "Un tel, qui a fait sa fortune dans les affaires carlistes." Vous désirez des renseignements, adressez-vous à X. qui était avec les carlistes : lisez qu'un tel et X. fournissaient armes et provisions de toute sorte. Je sais bien que la frontière est actuellement plus étroitement surveillée ; mais personne n'ignore que, si la douane est une administration parfaitement organisée, la contrebande qui est exactement aussi ancienne possède une série de procédés merveilleusement adaptés aux circonstances. Soyez donc bien assuré que ce n'est nullement la douane qui pourrait effrayer les très honnêtes et très paisibles commerçants qui verraient le moyen de "gagner de l'argent avec les carlistes".
GUERRES CARLISTES PAYS BASQUE D'ANTAN |
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