LE PAYS BASQUE ET LA MUSIQUE EN SEPTEMBRE 1942.
De nombreux compositeurs d'origine ou amoureux du Pays Basque ont composé des oeuvres musicales en rapport avec ce pays.
Voici ce que rapporta à ce sujet le journal Le Temps, le 15 septembre 1942, par Gustave
Zamazeuilh :
"Le Pays Basque et la musique.
Je suis revenu, pour un bref séjour de repos, en ces régions basco-pvrénéennes, où j'ai passé tant d'heures de mon enfance, dont je conserve le vivant souvenir. Malgré la tristesse des temps, malgré les restrictions de ce séjour qu'imposent, pour certaines d'entre elles, les nécessités de l'heure, et qui ont l'avantage d'éloigner certaine clientèle bruyante et futile d'avant-guerre, je n'en ai jamais senti plus profondément le charme et la poésie. Profitant du loisir que me laissent les théâtres lyriques et les concerts de la capitale, il m'est venu à l'idée de vous parler aujourd'hui des musiciens qui les ont éloquemment chantées, en ces cinquante dernières années, soit qu'ils y aient vu le jour, soit qu'elles aient été pour eux une patrie d'élection, des fées inspiratrices bienfaisantes.
Comment ne pas rappeler d'abord, dans cet ordre d'idées, l'action précieuse de ce saint François d'Assise de la musique que fut Charles Bordes ? Bien que Tourangeau de naissance, n'est-il pas longtemps resté le fils adoptif enthousiaste et convaincu du pays basque, où il avait été chargé de recueillir une riche moisson de chants populaires par un ministre de l'instruction publique bien inspiré ? Il avait su comprendre comment toute l'âme ardente, fière et réservée du paysan euscarien est dans sa chanson, comment elle reflète directement l'âme même de la race. Indépendamment des nombreuses auditions religieuses ou folkloriques qu'il y organisa, - car Bordes, toute sa vie, s'occupa bien davantage de la musique des autres que de la sienne, - l'Ouverture du Roi Jean, pour orchestre ; Euscal-Herria, musique de fête pour accompagner une partie de jeu de pelote ; la Rapsodie basque, pour piano et orchestre ; la délicieuse Suite basque pour flûte et quatuor à cordes, - où les thèmes populaires toujours bien choisis se voient traités dans un esprit si conforme à leur nature, - sont là pour nous prouver le mérite peu commun de son message. Pourquoi les joue-t-on si rarement ? Pourquoi deux ou trois chanteurs à peine font-ils valoir volontiers la lumineuse ardeur, le sentiment tour à tour mélancolique et profond des quatre Mélodies d'après des poèmes de Francis Jammes, où l'on respire à chaque page l'atmosphère euscarienne ? Pourquoi les groupements intéressés ne répandent-ils pas davantage les recueils des Chants populaires, des Chansons amoureuses, des Noëls, si pleins de fraîcheur spontanée ?
POETE FRANCIS JAMMES PAYS BASQUE D'ANTAN |
Encore ces témoignages significatifs de la sensibilité d'une des plus musicales des natures qu'il m'ait été donné de rencontrer sont-ils gravés, et peuvent-ils connaître un meilleur avenir. Il n'en est, hélas pas de même des Trois vagues, vaste drame musical en trois actes, utilisant une légende basque, que Bordes a su fondre dans une action émouvante et variée de son invention. Voici, si je ne me trompe, dix ans déjà, que je vous ai parlé ici-même, avec quelque détail, du poème, si caractéristique par son mélange de lyrisme et de vie réelle, de la partition, pleine d'expansion, de variété, de verve pittoresque. "Très nettement, comme l'a écrit Paul Dukas, chaque fois que j'écoutai Charles Bordes me jouer les Trois vagues, j'eus la sensation que, par le tour nerveux et l'accent incisif, nous aurions là la seule oeuvre française qu'on puisse mettre en regard de Carmen." Un tel éloge, venant d'un tel maître, se suffit à lui-même... Hélas ! sans cesse absorbé par quelque idée généreuse : création d'écoles de musique ou de danse, exhumation d'opéras de Lulli ou de Rameau, tournées des chanteurs de Saint-Gervais, élaboration de scénarios pour ses amis compositeurs - j'en ai connu de saisissants - sans parler des misères d'une santé longtemps atteinte, Charles Bordes est mort sans avoir rien pu changer au volumineux ensemble de brouillons, les uns très poussés, les autres à peine indiqués, qui constituait le manuscrit des Trois vagues. Ceux qui pourront le consulter à la bibliothèque de l'Opéra de Paris, où il a été déposé, ne le regretteront certes pas, mais comprendront pourquoi les musiciens qualifiés, pressentis individuellement naguère par la famille et les intimes de Bordes pour terminer l'oeuvre et permettre sa représentation, ont dû, à leur vif regret, se récuser.
COMPOSITEUR CHARLES BORDES PAYS BASQUE D'ANTAN |
La richesse du folklore basque a attiré aussi un autre compositeur, bien français par la qualité de son esprit et l'élégance de sa plume. L'importante partition de musique de scène écrite par Gabriel Pierné pour la pièce que Pierre Loti tira de son célébré roman Ramuntcho reste au moins, sous la forme de la Suite d'orchestre extraite en vue du concert, une des oeuvres les plus justement répandues du maître de la Croisade des enfants et de Cydalise. Les rythmes allègres du zortzico, de l'aurescu, du fandango, l'éloquence plus grave d'une chanson utilisée également par Bordes, servis par une instrumentation singulièrement habile, lui donnent successivement, suivant les épisodes, le plus communicatif mouvement, la plus séduisante délicatesse expressive. Depuis, Gabriel Pierné est deux fois revenu musicalement au pays basque, d'abord avec le scherzo si coloré de son Quintette pour cordes et piano, bâti sur un rythme de zortzico, puis avec la Fantaisie basque pour violon et orchestre, où l'ingéniosité des combinaisons, la verve des rythmes impairs, la couleur limpide de l'orchestre, certain alliage du violon solo en sons harmoniques et du tambour voilé font revivre toute l'atmosphère euscarienne. Suivant l'exemple que ne manquera pas, sans doute, de continuer de leur donner son dédicataire Jacques Thibaud, devenu lui aussi Basque d'élection, nos virtuoses auraient intérêt à ne pas négliger ce suggestif morceau.
VIOLONISTE JACQUES THIBAUD PAYS BASQUE D'ANTAN |
Maurice Ravel était, lui, on le sait, enfant même de Ciboure. Sa maison natale s'élève sur le quai qui porte aujourd'hui son nom. Sans doute beaucoup de ses oeuvres, dont je ne vous redirai pas les éblouissants prestiges, ne semblent-elles pas directement découler de l'ambiance basque. L'Espagne y. tient plus de part, et la danse surtout. Ce qui n'empêchait pas Ravel d'aimer profondément son pays natal, d'y séjourner le plus possible, en souvenir de sa mère, dont la disparition laissa dans sa vie le plus cruel des vides. Pendant combien d'années avons-nous passé des étés ensemble, soit à Ciboure ou à Saint-Jean-de-Luz, soit en diverses maisons de ce coteau de Bordagain, auquel je restais fidèle. Ravel aimait les vastes horizons du ciel, de mer, de montagne qu'on y découvre, la douceur de l'air, la lumière affectueuse et vive ; les nuits claires, pendant lesquelles nous musiquions souvent jusqu'à des heures fort avancées.
MAURICE RAVEL PAYS BASQUE D'ANTAN |
J'ai vu naître là Daphnis et Chloé, le Trio pour violon, violoncelle et piano, dont les deux premiers morceaux sont spécifiquement basques, les Sonates pour violon et violoncelle, la Sonate pour violon et piano, le sensationnel Boléro, dont je vois encore l'auteur responsable en costume de bain et, coiffé d'un bonnet écarlate en caoutchouc, enveloppé d'un peignoir jaune serin à grands dessins noirs, me jouer un matin d'un doigt sur son piano le thème initial, avec des commentaires sur la signification qu'il lui attachait, et les circonstances qui l'amenaient à entreprendre par plus de trente degrés de chaleur ce tour de force de circonstance, fort différents, je vous assure, de tout ce qu'a voulu y voir, depuis, le zèle débordant de multiples exégètes, décorateurs ou metteurs en scène !...
Parmi les fréquentes excursions ou promenades que nous faisions dans la région, soit à pied, soit en automobile, je me souviens de celle qui nous amena, en Espagne, par l'admirable route du col de Lesaca, de Pampelune à Estella, et de là à Mauléon par Roncevaux, Saint-Jean-Pied-de-Port, Larceveau et Musculdy. Ravel en avait rapporté le plan détaillé d'une oeuvre basque pour piano et orchestre Saspiak bat, à laquelle il travailla pendant près de deux ans, et que seule la difficulté qu'il éprouva à trouver pour la pièce expressive du milieu : une rêverie en haut du col de Lesaca, une idée qui le satisfît pleinement, lui fit abandonner ensuite. Les éléments des pièces vives furent utilisés dans le premier morceau et le finale du premier Concerto de piano, avec lesquels l'andante, conçu beaucoup plus tard et dans un tout autre esprit, m'a toujours paru s'accorder imparfaitement...
Puis vinrent les dernières années, les dernières venues de Maurice Ravel au pays natal, tandis que le mal mystérieux et insaisissable qui devait l'emporter, le minait déjà, et faisait de notre ami le témoin conscient et impuissant de sa propre déchéance ! Pendant une de ces promenades du soir sur la jetée de Saint-Jean qu'il affectionnait, il me parla du caractère basque du rythme de la Chanson épique de ses Chansons à Dulcinée, qui devaient être sa dernière oeuvre. Je le revis au fandango, au toro de fuego de la place Louis-XIV, les traits tirés, le regard changé, compatissant cependant aux enfants et aux malades, affectueusement fidèle à ceux de ses amis qu'il savait dans la tristesse ou les préoccupations. Puis il partit, pour ne plus revenir, laissant à son pays une oeuvre qui le représente dans le monde avec un éclat resté intact."
DANSE DU FANDANGO SAINT-JEAN-DE-LUZ PAYS BASQUE D'ANTAN |
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