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dimanche 4 décembre 2022

À TRAVERS LA RÉPUBLIQUE BASQUE EN JANVIER 1937 (deuxième partie)

À TRAVERS LA RÉPUBLIQUE BASQUE EN 1937.


Pendant la guerre civile espagnole, appelée aussi guerre d'Espagne, du 17 juillet 1936 au 1er avril 1939, de nombreux correspondants de presse ont publié leurs reportages.



HEBDOMADAIRE REGARDS
28 JANVIER 1937 



Voici ce que rapporta à ce sujet l'hebdomadaire Regards, le 28 janvier 1937, sous la plume de J.-

E. Pouterman :



"A travers la République Basque.

Par notre envoyé spécial J. - E. Pouterman (photos Chim).


Vieilles traditions et défense de la liberté se mêlent.


A Bilbao.



Ce n'est pas un des aspects les moins saisissants de la guerre d'Espagne que le spectacle de cette république basque, où les catholiques qui forment la majorité de la population luttent fraternellement aux côtés des communistes, des socialistes, des anarchistes, contre la barbarie fasciste. "Regards" a envoyé là-bas notre ami J.-E. Pouterman et le photographe Chim pour vous rapporter une image exacte de la vie et du combat dans les provinces basques. Et Pouterman vous a raconté la semaine dernière comment ils ont réussi à forcer le blocus. Il poursuit aujourd'hui le récit de ce voyage.



En flânant dans les rues de Bilbao.



Bilbao, capitale de la République Basque. Grand port du Nord de l'Espagne. Ville grise et sombre, entourée de hauts fourneaux et de gigantesques usines. Une forêt de cheminées. La fumée flotte au-dessus des collines environnantes. Ville active et bruyante. Une foule dense remplit les rues. Elle grouille partout, dans les quartiers neufs aux vastes avenues et aux immeubles modernes ; dans les ruelles tortueuses de la vieille ville dont les maisons basques aux multiples étages se pressent les unes contre les autres ; dans les cafés, dans les bars et aussi dans les églises. Ces dernières sont ouvertes comme avant la :guerre, les messes se suivent régulièrement, le va-et-vient des fidèles est incessant.



Les jeunes gens arborant des insignes de miliciens dominent dans la foule. Les civils semblent tous appartenir à un même milieu ; c'est que personne n'affiche une mise particulière : on ne voit que des vêtements sombres et le béret basque inévitable. Les femmes, pour la plupart, en robes noires, circulent dans les rues sans chapeaux.



Un café au centre de la ville, en face du grand pont. L'établissement est bondé. On boit du café et l'on joue aux dominos. Peu de femmes. Les vieilles traditions sont encore vivantes chez ces farouches défenseurs de la république et des libertés basques. Aussi voit-on rarement ici les femmes se mêler aux hommes en public. Les heures passent, le nombre des consommateurs ne diminue pas. Les vendeurs de journaux vocifèrent.



Cette ville de deux cents mille habitants possède une dizaine de quotidiens : "El Liberal", organe de Indalecio Prieto, "Escaudi", reflétant les idées du gouvernement basque, "La Tierra Basca", publiée par l'aile gauche des autonomistes, "Escaudi Roja", journal communiste, "C.N.T." organe anarchiste. La République basque, restée démocratique, libérale et bourgeoise, tient à avoir une presse libre, à peine entravée par des restrictions d'ordre militaire.



A 9 heures du soir, l'orchestre du café joue les hymnes patriotiques : l'hymne basque, la Marseillaise, l'Hymne de Riego, et... l'Internationale. Tout le monde écoute cette musique, debout, après chaque morceau des applaudissements unanimes éclatent. Etrange spectacle que cette masse de gens où l'on distingue difficilement le bourgeois du prolétaire, applaudissant avec une frénésie égale l'hymne basque et le chant de la lutte de classe !



Le soir, les rues se vident. Cafés, bars, restaurants, cafés - concerts, cinémas, théâtres, ferment à 10 heures du soir.



Et l'étranger commence à se rendre compte que cette ville à l'aspect si paisible se trouve au milieu d'un pays ravagé par une guerre. On lui apprend qu'en temps normal l'énergie électrique vient d'une province voisine actuellement occupée par l'ennemi. Il faut donc se contenter des ressources locales et observer la plus stricte économie.



D'autres signes, d'ailleurs, plus éloquents encore, ne manquent point de lui rappeler la guerre. Voici un grand building en ruines, traces d'une bombe tombée en cet endroit lors de l'effroyable attaque aérienne effectuée par des avions allemands en septembre ; voici des immeubles protégés par des remparts de sacs de terre ; voici un bataillon de miliciens en tenue de campagne, qui part pour le front ; voici un convoi de blessés ; voici, sur les murs, des affiches multicolores : "Ceux du front t'appellent !"



Voici une inscription à l'entrée d'un restaurant : "Il n'y a que de la soupe et du poisson."



Oui, la République basque est en pleine guerre. J'en aurai bientôt une preuve tout à fait précise.



On se bat dans les airs.



Il fait beau, un soleil presque printanier éclaire la foule bruyante. Entre les pâtés de maisons on aperçoit au loin des collines verdoyantes. La paix et la sérénité semblent baigner la grande ville maritime. Non, décidément, on a peine à croire que le front n'est éloigné d'ici que d'une quarantaine de kilomètres.



Soudain un son strident et prolonge déchire l'air. C'est la sirène d'alarme ; elle signale l'approche des avions ennemis. Les voitures accélèrent la vitesse, et voici que la foule se met à courir. Les rues et les places se vident en un clin d'œil.



Tout le monde a eu hâte de se réfugier dans les multiples abris construits depuis peu de temps par les autorités.



J'entre dans un abri installé en face de l'église Arenal, au centre de la ville. C'est toute une ruelle transformée en fortin. Des femmes, des hommes, des enfants. Le premier moment d'angoisse passé, on se met à bavarder, on discute vivement, on blague. Des rires éclatent, et bientôt un brouhaha général anime cette masse humaine entassée dans une sorte de tunnel obscur aux parois de sacs de terre.



Au dehors, tout est tranquille, on n'entend ni explosion, ni canonnade. Je quitte l'abri et reviens sur mes pas. Le grand carrefour devant mon hôtel est de nouveau peuplé de monde. Par petits groupes, les gens stationnent au milieu de la chaussée, en scrutant le ciel. Plusieurs avions évoluent au-dessus de la ville, mais ils n'inquiètent personne : ce sont des appareils de chasse loyaux qui montant la garde. Un quart d'heure passe ainsi, et l'on entend de nouveau la sirène : ses trois cris brefs annoncent cette fois la fin de l'état d'alarme. Les avions républicains ont repoussé l'escadrille ennemie. De nouveau, une foule dense remplit les rues. Cela se répète quotidiennement.



Cependant, dimanche, cinq avions de bombardement réussirent à rompre le barrage des appareils loyaux et parvinrent jusqu'à Sestao, faubourg industriel où se dressent les vastes édifices des hauts fourneaux de Bilbao. Les aviateurs ennemis firent pleuvoir sur Sestao plus de deux cents bombes. Une heure plus tard, je pus inspecter les ruines. Aucun bâtiment industriel ne fut atteint, mais une dizaine d'immeubles abritant des familles ouvrières étaient transformées en de formidables amas de débris. Il y eut des femmes et des enfants tués.



Pris d'une fureur spontanée, une foule d'habitants du quartier ravagé par les bombes aériennes, se porta devant la prison où étaient détenus plusieurs centaines de fascistes arrêtés, pour administrer une justice fort peu réglementaire. Grâce au courage du jeune ministre de l'Intérieur de la République Basque, qui vint lui-même haranguer la foule, la catastrophe put être évitée.



Le lendemain, d'autres avions ennemis firent leur apparition au-dessus de Bilbao. Je me trouvais à Portugalete, au bord de l'eau, lorsque j'entendis la sirène. Neuf Junkers et treize Heinkel avançaient dans le ciel. Les avions de bombardement, par formations de trois, évoluaient, protégés par ces appareils de chasse. La redoutable escadrille approchait audacieusement du port dont la destruction semblait inévitable. Soudain, on vit s'élever huit petits avions rapides qui se jetaient au milieu des formations ennemies. Un combat aérien s'engage.



On put observer l'un des petits avions piquer droit sur trois bombardiers allemands, et bientôt l'un des trois géants de l'air se précipitait vers le sol, embrasé. 



Un parachute se déploya et disparut derrière les collines. Un autre le suivit au bout de quelques instants. Et, pendant que les avions loyaux continuaient à strier le ciel, le gros des forces ennemies rebroussait chemin à toute vitesse. 



Des cris, des applaudissements retentirent tout à coup autour de moi. Les spectateurs de cette bataille épique saluaient ainsi la victoire des  intrépides aviateurs républicains.



Rentré à Bilbao, j'appris qu'un avion de bombardement et deux avions de chasse ennemis avaient été abattus. Deux aviateurs purent atterrir en parachute, tous les autres occupants des appareils détruits furent carbonisés. Tous, des Allemands. On me montra à la Présidence le carnet trouvé sur l'un des deux aviateurs survivants. A la première page de ce carnet, était inscrit, en belles lettres gothiques, un nom : Karl Hermann Schmiedt, Zugfuhrer. A la page suivante, on pouvait lire les noms des autres membres de l'équipage. Pas un nom espagnol. La capitale basque était systématiquement bombardée par des aviateurs nazis montant des appareils nazis et projetant des bombes de fabrication nazie... Il n'y a que le Comité de Londres, présidé par lord Plymouth, pour douter encore de l'intervention du Reich hitlérien dans la guerre d'Espagne.



Depuis ce jour, on ne revit plus au6dessus de Bilbao les avions allemands. Les uns disaient que toutes les escadrilles ennemies avaient été mobilisées pour appuyer la nouvelle offensive contre Madrid ; les autres laissaient entendre que les chevaliers ailés de Gœring n'osaient plus affronter les braves petits avions de chasse loyaux qui leur avaient infligé une si cuisante défaite.



Quant à Herr Karl Hermann Schmiedt, il doit sa vie à l'esprit chevaleresque de son vainqueur. C'est en effet, l'aviateur républicain qui, ayant atterri avec son appareil à l'endroit même où s'était posé le parachute du pilote allemand, défendit son adversaire de tantôt contre la foule accourue pour punir le semeur de bombes. Parvenu à le soustraire à la fureur de la population, et tout en tenant encore en respect de son revolver la foule, il ouvrit son étui pour offrir une cigarette au nazi terrorisé. La "barbarie marxiste" put ainsi triompher une fois de plus de la haute "spiritualité fasciste".



A suivre...




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