LES ADIEUX DE PIERRE LOTI EN 1898.
C'est en 1891 que Julien Viaud, plus connu sous le nom de Pierre Loti, découvrit le Pays Basque, lorsqu'il fut nommé pour commander le Javelot, canonnière stationnée à Hendaye.
Voici ce que rapporta à ce sujet le quotidien Le Figaro, le 18 février 1898 :
"Les adieux de Loti au Pays Basque.
Novembre 1897.
Adio Euskualleria ! (Adieu, Pays basque !) C'est un chant du barde Yparraguire qui commence et s'appelle ainsi... Et ces deux mots constamment me reviennent en refrain mélancolique, à l'heure où, comme jadis le barde, je vais quitter ce pays.
Adio Euskualleria ! Ils sont aussi une sorte de refrain d'automne, ces deux mots d'Yparraguire, devenus inséparables pour moi des novembres d'ici,— des novembres tristement lumineux, avec de chauds soleils encore sur les campagnes, tandis que tombent les feuilles en jonchée le long des chemins, tandis que les grandes feuilles rousses des platanes s'entassent au seuil des maisons et dans les allées de mon jardin demi-abandonné. C'est en automne que j'avais pour la première fois visité le village du barde, au fond de la province de Guipuscoa, et appris ce chant d'adieu composé par lui dans le vieux rythme euskarrien à cinq temps. C'est en automne aussi que je quitterai la patrie basque ; alors l'Adio Euskualleria ! éveille dans mon esprit quelque chose comme une, confuse association de feuilles mortes et de départ.
Partir !... Dans quelques jours, dans très peu de jours, je serai loin d'ici. Et il y a, pour toute âme humaine, une intime tristesse à s'en aller de tel ou tel coin de la terre où l'on avait fait longue étape dans la vie.
Elle avait duré plus de six ans, mon étape imprévue au pays basque ; — il est vrai, avec des intermèdes de voyages en Arabie ou ailleurs, mais toujours avec des certitudes de revenir. Et je gardais ici une maisonnette isolée qui, pendant mes absences, restait les volets clos, où je retrouvais à mes retours les mêmes petites choses aux mêmes places ; dans des tiroirs, certaines fleurs fanées des précédents étés... Lentement je m'étais attaché au sol et aux montagnes de ce pays, —aux cimes brunes du Jaizquibel, perpétuellement dressées là devant mes yeux, en face de mes terrasses et de mes fenêtres. Quand on devient trop las et trop meurtri pour s'attacher aux gens comme autrefois, c'est cet amour du terroir et des choses qui seul demeure, pour encore faire souffrir...
Et j'ai eu un délicieux automne, cette année, pour le dernier. Les chemins qui, de ma maison, mènent vers le mouillage de mon navire sont refleuris comme en juin.— C'est là-bas, ce mouillage, au tournant de la Bidassoa, contre le pont de pierres rousses, décoré des écussons de France et d'Espagne, qui réunit, par-dessus la rivière, les deux pays amis et sans cesse voisinants. — Très refleuris au soleil de novembre, ces chemins qui, presque chaque jour, aux mêmes heures, me voient passer : çà et là, des brins de chèvrefeuille, de troène, ou bien des églantines émergeant toutes fraîches d'entre les feuillages rougis. Et les grands lointains d'Océan ou de Pyrénées qui, par-dessus les haies, apparaissent en un déploiement magnifique sont, immobiles et bleus...
PONT INTERNATIONAL ET JAVELOT HENDAYE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Adio Euskualleria !... Reviendrai-je jamais ? Qui sait ?... Et déjà, dans les environs, j'ai commencé de faire, à des amis basques de l'intérieur, les visites de grand adieu.
Aujourd'hui, c'est au village d'Ascain, chez mon camarade Otharré, grand joueur de pelote et l'un des premiers de France.
JEAN-PIERRE BORDA DIT OTHARRE |
J'y arrive à l'heure du soleil déclinant, et, comme d'habitude, je les trouve, Otharré et sa gentille femme, sous leurs platanes taillés en voûte, dans cette salle de verdure qu'ils se sont arrangée à la mode basque, entre leur vieille maison et la très antique église entourée de tombes, avec un côté gaiement ouvert sur la place du village et sur le jeu de paume. Maintes fois depuis six ans, je suis venu m'asseoir là, dans ce lieu de paix charmant, où rien de banal ni de moderne n'est pour offenser les yeux, et j'y ai même longuement travaillé à l'ombre, entendant résonner dans l'église voisine des bruits sacrés de chants et de prières ; mais j'ai le sentiment aujourd'hui que, de bien longtemps, je n'y reviendrai plus. Et je demande à voir les petits, qui se présentent, toujours effarouchés et, bien entendu, ne parlant encore que la vénérable langue euskarienne. Puis, comme je dis mon regret de partir sans avoir revu le village de Sare :
— Nous avons le temps si vous voulez, répond Otharré. J'attelle de suite ; nous y dînerons et je pourrai vous ramener à Saint-Jean-de-Luz pour le passage du dernier train ; à onze heures du soir, vous serez de retour chez vous, à la Bidassoa.
Donc, en route, et vite, pour une course d'adieu à ce village de montagne, qui jadis m'avait charmé très particulièrement. Et nous voilà roulant au grand trot, entre des tapis de fougères que l'on dirait teintes de sanguine, par des chemins jonchés de feuilles mortes et déjà envahis d'ombre, tandis qu'autour de nous les grandes cimes s'éclairent encore de rayons couleur de cuivre rouge. Cela rappelle le temps, déjà bien enfui, où j'écrivais Ramuntcho et où, guidé par Otharré, je courais les villages de contrebandiers, les auberges de frontière.
Aux approches du crépuscule, nous arrivons à Sare, où, toujours comme du temps de Ramuntcho, nous commandons notre souper à l'auberge de la place.
PLACE ET ARCADES SARE PAYS BASQUE D'ANTAN |
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