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vendredi 31 octobre 2025

UNE PROCESSION À RONCEVAUX EN NAVARRE AU PAYS BASQUE EN 1913

UNE PROCESSION À RONCEVAUX EN 1913.


Le village de Roncevaux, et sa trentaine d'habitants, est une étape importante sur un des chemins (le chemin Français) menant à Saint Jacques de  Compostelle.



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PROCESSION RONCEVAUX NAVARRE
PAYS BASQUE D'ANTAN


Voici ce que rapporta à ce sujet Paul Faure dans la revue hebdomadaire Pyrénoéa, le 15 mai 1913 :



"La procession de Roncevaux.



La féérie de l'aurore à mille mètres d'altitude, en Mai, à Burguete, village espagnol qu'entourent des forêts profondes au coeur desquelles se dresse l'antique abbaye de Roncevaux. Minutes radieuses de l'aube, plus radieuses encore dans ce paysage où tout a de la poésie : les maisons très vieilles, l'air secret de leurs portes basses, les ruisseaux rapides qui passent devant les seuils en chantant, et surtout la forêt qui est là, si proche de la route qu'en deux pas on est dans sa pénombre, la forêt qu'on ne peut regarder sans émotion à la pensée qu'elle est immense, tout en hêtres hauts comme des flèches d'église, si inviolée que le voyageur qui s'aventurerait sous ses voûtes s'exposerait à se perdre, si vaste, si hermétique, qu'il faudrait des jours et des jours pour la franchir, pour trouver le ciel à découvert, si étendue que c'est elle là-bas à l'horion, cette ligne violette sur laquelle se déchirent les nuées. Minutes solennelles qui précèdent l'ascension du soleil. Des brumes posées sur tout le pays commencent à bouger ; les unes glissent comme un fleuve, les autres montent comme des fumées, toutes sont peintes par l'aurore.



Peu à peu, dévoilé lentement, le paysage se précise, surgit ; on dirait qu'il vient d'être créé et que ces brumes ne l'enveloppaient que pour cacher le mystère de sa formation. Des lueurs irrisées semblables à celles qui descendent des vitraux pénètrent la forêt ; des buées qui traînaient sur le sol s'effacent très vite comme si on avait soufflé dessus, et les prairies apparaissent tout endiamantées de rosée.



A l'église de Burguete une cloche tinte lentement, balancée, croirait-on, par une main paresseuse ; le village s'éveille. De chaque maison sortent des moutons à la suite d'un berger ; ils s'en vont, ne rentreront qu'au soir ; bientôt leurs clochettes peupleront le silence de la montagne ; c'est eux qui seront ces points blancs que l'on voit sur l'herbe des cimes et des pentes quand on traverse les vallées. Rien n'est plus auguste que ce départ des troupeaux pour les pâturages, que ces sonnailles dans la fraîcheur du matin, rien n'est plus inoubliable que cette scène pastorale dans ce décor que baigne une atmosphère aussi transparente que l'eau des glaciers.



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EGLISE DE BURGUETE NAVARRE
PAYS BASQUE D'ANTAN



D'une maison devant laquelle je m'étais assis, sort un personnage vêtu de façon si singulière que je ne puis me défendre d'un mouvement de recul. Sur ces pieds nus tombe une blouse noire serrée à la taille par une ceinture de cuir, sa tête est dans un capuchon en forme de sac percé de deux trous pour les yeux ; il porte sur l'épaule une croix de bois, massive, énorme, une vraie croix pour crucifier. Quel est donc ce fou tragique ? Je n'ose le questionner ; je le suis. Il prend la route. De la forêt qui la borde, surgit un autre fantôme noir, l'épaule chargée de la même croix énorme ; un autre sort d'une maisonnette plantée sous des chênes ; un peu plus loin, un autre qui était assis sur des tas de cailloux, se lève et suit ; d'autres surgissent comme si, cachés, ils n'avaient attendu qu'un signal pour apparaître : tous ont la même espèce de cagoule ; pas le moindre geste entre ces êtres sans visage, pas le moindre mot, on dirait qu'ils ne se voient pas. je suis en quelque sorte au milieu d'eux, car nous allons dans la même direction. Maintenant, presque à chaque pas, d'autres encore se mêlent à nous ; l'un d'eux, qui marche tout près de moi, vient de loin sans doute : il souffle, n'en peut plus, il est tout penché sous le poids de sa croix, tel Jésus dans les images qui le représentent tombant sur le chemin du calvaire. Entouré de cette foule funèbre, sur laquelle remuent dans un mouvement de tangage toutes ces croix qui, de loi, semblent des mats ou des cercueils, j'arrive à une allée où attendent des villageois en costumes pittoresques, des ecclésiastiques en surplis, d'autres fantômes noirs. Me promenant, j'avais oublié que c'était aujourd'hui cette procession qui, depuis des siècles, a lieu un matin de Mai, et dont on m'avait parlé le mois dernier. Ces hommes masqués viennent de leur ferme, et je me suis laissé dire que cette croix accablante, que porte chacun d'eux, est une expiation.



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PENITENT RONCEVAUX NAVARRE 1900


C'est de cette allée — de vieux sorbiers dont les branches sont constellées de petits fruits pareils à des coraux — que doit partir la procession. Elle se forme très vite, sans bruit, presque sans un mot ; chacun se met en place, comme si, hier, toujours, il n'avait fait que cela ; acteurs et spectateurs, on sent qu'ils ont participé ou assisté à cette cérémonie depuis leur enfance. Les hommes à cagoule se rangent en deux files au milieu desquelles se placent des prêtres qui ont, la plupart, un visage de toréro et qui sont coiffés d'une barrette cornue pareille à celle que portaient les inquisiteurs. Sur un signal, les hommes masqués mettent leur croix sur le dos, l'élèvent au-dessus de leur capuchon, la maintiennent ainsi au bout de leurs bras écartés ; puis, silence, immobilité, on devine que derrière les cagoules, les yeux épient un autre signal. Un prêtre lève son bréviaire, et le cortège se met en marche vers le monastère en psalmodiant des litanies. L'instant où des voix sortent de ces fantômes, de ces bouches enfermées, où ces masques profèrent des sons, est un des plus saisissants de ce saisissant spectacle. "Christe !" clament les prêtres à barrette d'inquisiteur. "Exaudi nos !" répondent les hommes à cagoule. "Christe ! Christe !" Les voix sont enfiévrées, éperdues, comme si le Dieu qu'elles suppliaient était terrible et tout proche.



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PELERINAGE RONCEVAUX 1900
NAVARRE D'ANTAN


Rien n'enlève à ces rites de leur grandeur sombre. Au contraire, tout y ajoute ; et pas d'étrangers, pas de touristes, Roncevaux est trop loin ; les spectateurs sont des paysans qui n'ont guère quitté cette région âpre où subsiste encore du Moyen-Age ; ils sont enfoncés dans leurs prières, il y a du recueillement dans leurs mains, sur leur front, sur leur visage, une foi profonde dans le tremblement de leurs voix. Virgo potens ! Virgo clemens ! Ora, ora pro nobis. La procession va en e hâtant. Ces dos courbés sous les lourds madriers, on dirait un convoi de forçats.



Jusqu'à présent nous marchions à travers de l'azur, dans de l'air encore tout imprégné de la lumière de l'aube, mais voici que, soudain, avec une rapidité inouïe, ainsi que cela se produit sur les montagnes, du brouillard arrive, épais comme les premières fumées d'un incendie colossal ; il vient en silence, sans vent, en glissant ; il nous envahit en un clin d'oeil, met brusquement dans l'air une odeur de parc humide, donne une impression de soir. Le paysage en est tout à coup rapetissé, diminué ; on ne sait plus où l'on est. C'est fermé devant et partout ; on peut croire qu'à droite, à gauche, on a des précipices ou la mer ; tout est imprécis, fuyant ; la procession n'en est que plus saisissante, les hommes masqués ont l'air davantage de fantômes, on ne sait plus d'où sortent les voix. Nous marchons au hasard presque à tâtons, lorsque , tout à coup, apparaît l'abbaye, seule, au centre d'une sorte d'esplanade qui a pour clôture la forêt. Très basse, coiffée de toits dont quelques uns descendent jusqu'à terre, de longs toits d'ardoises plates qu'on se représente couverts de neige, avec son aspect d'ermitage, son architecture qui sent l'hiver, qui porte au silence, on pense, en la voyant, aux longues journées de la vie monastique, aux soirs de vent et de pluie quand, tout autour, la forêt se plaint. Rosa mystica ! Ora, Ora pro nobis.



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MONASTERE DE RONCEVAUX NAVARRE
PAYS BASQUE D'ANTAN



La procession entre dans l'abbaye. Les hommes ont mis leurs croix sur l'épaule ; leurs voix en passant sous le porche qui est bas ont une résonnance mate ; le dos voûté, ils s'engouffrent dans la chapelle que le brouillard, collé aux vitraux, rend obscure ; il y fait si noir qu'on se croirait à une messe de minuit. Les pénitents se placent au hasard, s'éparpillent, posent leurs croix n'importe où, contre les piliers, sur le sol, et la messe commence au bruit des psalmodies. Cette obscurité que tachent quelques lueurs de cierges, ces hommes masqués, ces capuchons, ces croix massives qui jonchent le sol comme des arbres renversés, cette porte ouverte sur l'épaisseur du brouillard, cette foule dont le bruit de prières fait un bourdonnement, l'impression que l'on est cerné par la forêt, tout cela est indicible. Puis, les psalmodies cessent, et de la tribune de l'orgue, un chant s'élève. On distingue, baignées par la lueur d'un cierge qui brûle contre l'orgue, trois têtes penchées sur un lutrin dont le dos porte un missel énorme aux feuillets de parchemin. Le chant se déroule, monotone, pareil à une lamentation ; rien ne l'interrompt, rien que ce petit bruit que fait le parchemin quand on tourne les pages du missel.



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PROCESSION DES CROIX RONCEVAUX NAVARRE 1900


Ainsi s'achève cette messe au bercement de ce chant. L'officiant quitte l'autel, les fidèles s'en vont, disparaissent soudain, avalés par le brouillard qui les guette ; mais les hommes à cagoule ne bougent pas. N'ayant plus personne autour d'eux, disséminés un peu partout dans l'église bientôt vide, ils se détachent nettement, on dirait des statues sombres érigées sur des tombeaux. Je n'ai pas le temps de demander ce qu'ils attendent. Les portes de la sacristie s'ouvrent, des prêtres à surplis très blancs viennent à eux, un prêtre à chaque pénitent ; à je ne sais quoi d'humilié dans les attitudes, j'ai vite compris qu'il s'agissait de la confession.



Inoubliable confession ! Chaque prêtre s'approche de son pénitent, fait le geste qui bénit, lui pose les mains aux épaules, et, l'oreille tout près du masque noir, il écoute. Comment dire le spectacle de ces groupes éparpillés, de ces fantômes blancs étreignant ces fantômes noirs, de ces visages découverts penchés sur ces visages voilés ; comment dire l'impression produite par ces voix que ces groupes exhalent, tantôt sourdes comme si elles n'osaient pas avouer, tantôt fortes comme si des larmes allaient les casser. Quand, au bout d'un moment, je sors, les groupes ne sont pas défaits, la chapelle est encore toute bourdonnante du murmure passionné des confessions."







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