L'ESTUAIRE DE LA BIDASSOA EN 1942-1943.
La Bidassoa est un fleuve côtier, frontalier sur une dizaine de kilomètres entre la France et l'Espagne, au Pays Basque.
Elle prend sa source dans les monts de Navarre et se jette dans le golfe de Gascogne.
Voici ce que rapporta François Duhourcau dans le Bulletin du Musée Basque N° 21-22 en 1942-
1943 :
"L'estuaire éblouissant de la Bidassoa.
Tant que subsistera la langue française — c'est-à-dire toujours — le prélude orchestral de Ramuntcho sera fameux et célébré dans les grammaires comme de Chateaubriand plus simple et plus senti. Ses phrases imprégnées d'embrun et d'automne, enchantées de la rumeur des brisants du golfe de Biscaye et percées d'un rayon de soleil espagnol, il est juste de les rappeler dans cette présentation de la gerbe des cours d'eau de notre extrême Sud-Ouest. Grâce à la magie d'un Pierre Loti, "nos rivières méridionales, l'Adour, la Nivelle et la Bidassoa qui longe l'Espagne" sont immortalisées ; elles escortent à jamais dans les mémoires "les tristes courlis, annonciateurs de l'automne".
De toutes, celle qui fait le plus rêver, parce que la plus chargée de mystère, avec son nom étrange, à la fois charmant et sauvage, c'est la petite rivière navarraise, frontière, au terme de sa course, du Guipuzcoa et du Labourd, de l'Espagne et de la France, qu'il me fut réservé d'évoquer dans ma contribution à cette symphonie des eaux : la singulière et prenante Bidassoa — "la dernière de toutes nos rivières qui entre dans la mer du Couchant", disent les journaux historiques relatant le mariage de Louis XIV.
Si vous déployez devant vous une carte détaillée, la Bidassoa apparaît ainsi qu'une plante d'eau, un nymphéa à nombreuses racines ou radicelles, qui s'étire en une longue ligne droite et enfin s'épanouit, à fleur d'eau de mer, en un merveilleux calice. Elle aspire à joindre le flot marin et les soleils couchants. Sous forme imagée, voilà toute la Bidassoa et les trois parties naturelles de son cours.
Passé Béhobie-Béhobia, l'îlot de la Conférence et l'île des Faisans, la Bidassoa arrive à son épanouissement. La fleur va éclore que je vous ai promise, la fleur d'eau inclinée sur sa tige.
![]() |
| VUE PLONGEANTESUR BEHOBIA DEPUIS BEHOBIE ANNEES 1940 PAYS BASQUE D'ANTAN |
La puissante stature du Jaïzquibel barre l'horizon et contraint la rivière à dévier à droite. Elle se déploie alors, avant de joindre la mer, en un splendide calice de sable et d'eau. C'est le fleuve ensablé, ondarabia, qui vaut à Fontarabie son nom aussi juste que pittoresque. Nous sommes là dans l'un des plus rares passages d'eau, de montagne et de ciel. Evidemment, c'est, non point Hendaye, mais Fontarabie, la perle du site. Sur l'occident du ciel la masse allongée et chauve du mont Jaïzquibel impose son ombre à la rivière. Son allure hautaine, sa crête jalonnée de tours en sentinelles et ses couleurs monacales attestent, en face de la gentillesse française, la singularité prenante de l'Espagne. A ses pieds, sur un monticule, l'ancienne petite ville forte de Fontarabie serre les toits mordorés de ses maisons autour de son clocher ciselé et du cube lourd, long voilé de vigne vierge, du château de Charles-Quint. Elle semble un guerrier figé à son poste et enveloppé dans sa capote de guérite faite d'une bure, venue du fond des âges de foi et transmise au soldat, dirait-on, par des pâtres, des pêcheurs et des pénitents. Nulle cité ne livre mieux par son aspect et sa physionomie le fonds moral qui l'anima toujours. Elle est vraiment, comme officiellement, "la très noble, très loyale, très valeureuse et très sainte Fontarabie".
Surveillant, d'un côté, la passe de la Bidassoa et, de l'autre, la route qui pénètre au cœur de l'Espagne par la trouée d'Irun, elle fut contre la France un rude jouteur, toujours héroïque, qu'elle soit prise par Bonnivet en 1521 ou Berwick en 1719 — et surtout imprenable, comme au siège de 1638 par le prince de Condé -— siège fameux qu'elle célèbre encore chaque année, le 7 septembre, veille de la Nativité de la Vierge et date anniversaire de sa délivrance par les armées de Cabrera, amiral de Castille et du marquis de Los Veles, vice-roi de Navarre. Les armées de secours fondirent à l'improviste sur les soldats de Condé de derrière la crête du Jaïzquibel qu'elles avaient gagnée en grand secret. Mais la libératrice, selon la croyance générale, ce fut la Vierge, Nuestra Señora de Guadelupe, patronne de la ville, et dont la chapelle, là-haut, sur la crête du Jaïzquibel et tendue vers le ciel, commande le site. Aussi l'image de la Vierge de la Guadeloupe domine-t-elle depuis lors le blason de Fontarabie.
| BLASON DE FONTARRABIE GIPUZKOA PAYS BASQUE D'ANTAN |
Aujourd'hui Fontarabie et Hendaye ne connaissent que l'amitié. Hendaye a depuis longtemps démoli son fortin qui n'est plus qu'un belvédère sur la lagune et les brisants de l'estuaire ; Fontarabie en a fait autant de la terrasse de son château de Charles-Quint. Mais elle a, heureusement, conservé l'enceinte de ses remparts et, au-dedans, ses hôtels écussonnés, ses balcons ouvragés, les consoles sculptées et peintes de ses toits surplombant, pour les ombrager, les rues et les ruelles. Plus d'un guerrier, guindé dans son armure, Fontarabie, resserrée dans ses murailles légendaires, apparaît dorénavant tel un coffret de vieux bois et de cuir basané qui conserve, entassées, les glorieuses décorations des ancêtres.
Son blason écartelé est aussi surchargé d'emblèmes que le coffret empli de bijoux historiques. L'un des quartiers porte une sirène émergeant du flot, les cheveux défaits, et qui tend un miroir. On imagine que si l'Ange, la tour étoilée, le lion, le navire pourchassant la baleine, dans les autres quartiers de l'écu, représentent l'histoire, la sirène au miroir symbolise la géographie. Impossible de mieux exprimer la charmante beauté du paysage que contemple la cité-reine du fleuve ensablé.
Devant Fontarabie, la Bidassoa s'élargit en une véritable baie, avant de se jeter, à gauche, au pied de la falaise qui s'allonge jusqu'au cap Figuier, dans une mer argentée de brisants. Mais la beauté de cette lagune, c'en est aussi l'extrême variété due aux allées et venues du flot marin qui, deux fois le jour, en changent la physionomie. A marée montante, les vagues écumeuses assaillent la passe, la forcent et font de la baie intérieure une petite mer clapotante, scintillante et que mouvementent le va-et-vient des bateliers, ainsi que la ronde des mouettes chassées des grèves par le flot. Le fleuve, dans une atmosphère vivifiée, n'est bientôt plus qu'un immense miroir qu'est venu tendre à Fontarabie, à Hendaye, aux montagnes, au ciel dégagé et à ses nuages vagabonds, une sirène, heureuse magicienne de l'océan. ... Mais bientôt, avec le jusant, elle se retire, laissant traîner derrière soi, toute dénouée, sa chevelure de sable et d'eau. La mer intérieure, tout à l'heure si vivante et charmante, devient un désert amphibie, abandonné des bateliers, une plane solitude recouverte de flaques pareilles à des poissons morts, disséminés. L'air lui-même est mort. Les courlis l'ont abandonné pour se poser sur les bancs découverts où ils cherchent leur provende. La rumeur des brisants s'est éloignée avec la mer : elle est devenue lointaine comme un souvenir et telle qu'on l'entend au creux des conques laissées par la vague sur les grèves.
![]() |
| LA BIDASSOA ET FONTARRABIE 1944 PAYS BASQUE D'ANTAN |
On ne peut imaginer paysage qui unisse mieux des éléments qui apaisent le cœur à d'autres qui le stimulent. Son charme est fait de plénitude dans un harmonieux mariage de la sérénité et du frémissement. Il apporte le calme aux nerveux surmenés comme la réviviscence aux léthargiques qui souhaitent de se réveiller.
Un homme a ressenti et exprimé, d'une façon unique, la poésie de ce lieu, un poète et un marin, comme il convenait : Pierre Loti, lorsqu'il vint commander le stationnaire de la Bidassoa. Avec Ramuntcho il a porté jusqu'aux extrémités de la terre la renommée du Pays Basque. Il a tant aimé ce paysage si complet, si varié, et dont il n'avait jamais vu, disait-il, le pareil au monde, lui qui croyait avoir vu tout ce qui de l'univers était beau, qu'il y acquit une demeure, un ermitage, au bord de la rivière, face à Fontarabie et à l'estuaire. Il l'a tant aimé que, mourant, il y voulut revenir, voici vingt ans, pour son dernier appareillage.
C'est dans sa maison, au bord de l'eau, qu'après un an de séjour il sentit, certain après-midi d'automne, ce que l'Éuskal-Herria possédait de particulier. Ce fut pour lui une sorte de révélation, dont on peut s'étonner seulement qu'elle ait tardé un an. Chez un visuel et un hypersensitif comme lui, on n'aurait pas cru la grâce si lente à venir devant un tel paysage. Les pages qui expriment l'éveil de Loti à la singularité du Pays Basque ne sont pas dans Ramuntcho. Nous les avons recueillies dans le volume Pays Basque qui complète l'œuvre euskarienne de Loti, telle une suite d'orchestre. Elles furent les premières écrites sur notre pays et s'intitulent Instant de recueillement.
C'était le 22 novembre 1892, à Hendaye, jour de l'Adoration Perpétuelle, fête de bon augure. Il faisait un de ces jours miraculeux de l'arrière-saison, comme ce pays sait parfois en donner : un jour chaud et doré tel qu'un muscat sur la treille. Assis sur sa terrasse, devant le miroir de la Bidassoa, Fontarabie et le Jaïzquibel, Loti écoute les cloches des églises et des couvents, aussi bien françaises qu'espagnoles, sonner tout le jour avec passion. Elles doublent de leurs mystiques sonorités l'éternelle symphonie des brisants. Il voit Basques et Basquaises se rendre en foule aux sanctuaires qui les appellent, par les chemins refleuris de l'extrême automne ou par la route royale de la rivière. Alors Loti est charmé et prend conscience de ce que l'Euskarie a gardé au fond d'elle-même de mystérieux et d'absolument distinct des autres pays de France qu'il connaît. Hors la Bretagne peut-être, qui n'a pas toutefois, cette ardeur ni cette magnificence. Il sent enfin que vit toujours là une âme à part et très ancienne, un génie local qui veut maintenir sa personnalité... Il y eut de cela cinquante ans en novembre dernier.
La grâce opère si bien que Loti se mit à écrire à la gloire de l'Euskal-Herria. Et ce fut, quatre ans après, en 1896, l'immortel Ramuntcho, qui est la Mireille du Pays Basque.
| RAMUNTCHO DE PIERRE LOTI PAYS BASQUE D'ANTAN |



Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire