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mercredi 24 décembre 2025

LE BATEAU L'"ÉCLAIR" DE BIDACHE À BAYONNE EN LABOURD AU PAYS BASQUE EN 1949 (deuxième partie)

LE BATEAU L'"ÉCLAIR" DE BIDACHE À BAYONNE.


Pendant 51 ans, ce bateau aura marqué l'histoire de la Bidouze et de l'Adour.




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DEBARCADERE DU BATEAU ECLAIR BAYONNE
PAYS BASQUE D'ANTAN

D'une longueur de 21 mètres et de 4 mètres de large au maître-bau, ce petit bateau à vapeur et à 

hélice avec cheminée rabattable, a été lancé, en 1893, à Langon (Gironde).

Avec une charge maximum de 10 tonnes, une jauge brute de 20 tonneaux, son tirant d'eau est de 

1,25 m en charge.

Son équipage de 3 hommes (pilote, chauffeur et mécanicien) a assuré, jusqu'en septembre 1948, 

avec une vitesse maximum de 8 noeuds, un service régulier entre Bayonne et Bidache ou 

Peyrehorade, les jours de marché, de passagers mais aussi d'animaux.




Voici ce que rapporta à ce sujet M. André Tournier dans le Bulletin de la Société des sciences, 

lettres & arts de Bayonne, en janvier 1949 :


"Le bateau l'"Eclair".



... Pour nous, collégiens en vacances, Maribère, avec ses deux cours d'eau, le vaste Adour devant, l'Aran, plus intime et plus sauvage non loin derrière, son réseau de fossés poissonneux, ses bois, ses pittoresques coteaux montant vers Bardos, sa cavalerie de demi-sang, ses arbres fruitiers, était un vrai paradis terrestre.



Pour les passagers, c'était surtout l'endroit où il y avait des chênes, très gros et très vieux, renforcés par de la maçonnerie et cerclés de fer. Ils ont leur légende à laquelle se mêle, une fois de plus, le souvenir de l'occupation anglaise.



En un temps où l'on pouvait aller de l'Adour à Bardos en marchant sur la cime des arbres (sic), les Anglais étaient venus choisir, parmi les chênes réputés pour la construction des navires, le bois dont ils avaient besoin pour leurs chantiers de Bayonne. Ces quelques troncs, déjà très beaux, situés au bord de l'eau et faciles à débarder, avaient tenté la hache des charpentiers. Mais leur chef, ami des beaux arbres, comme le sont les Anglais, avait ordonné qu'on les respectât. Si ceci est vrai, ils auraient plus de 500 ans d'âge.



Bien entendu, mon père nous avait soignés et l'embarcadère avait été construit juste en face de notre jardin. Mais il arrivait bien tôt, ce bateau ! La bonne courait au bord de l'eau et criait : "Il est au Bec de la Bidouze !... Il est au Cousté !... Il est à Sorhouet !..." On se brûlait en avalant le café au lait trop chaud, on mettait vite chapeau et voilette, et on s'élançait vers l'embarcadère.



Heureusement que lorsque le courant descendait était un peu rapide, l'accostage se faisait à contre-courant, après une large évolution, qui donnait un peu de répit aux retardataires. C'était une belle manoeuvre, exécutée par Paulin Suhas, le patron pilote, et Douai, l'homme d'équipage.



Quand la marée était très basse, il était bien effrayant pour les dames de franchir la passerelle, qui n'était qu'une simple planche en pente, sans main courante, engagée sur une entretoise de fer, en dessous de la dernière marche. Mais on leur tendait galamment une main caleuse et, la planche retirée, l'amarre larguée, la longue gaffe remise à sa place habituelle, sur le toit qui protégeait les passagers de la pluie et du soleil, on fendait à nouveau les flots vers Urt, en produisant un beau sillage dont les vagues, se brisant sur les berges, roulaient les canards affolés et faisaient danser les couralins à l'attache.



Puis on passait entre le château de Lissalde, ancienne demeure des Laborde-Lissalde, seigneurs du Saudan, appartenant alors à la famille Labat, et la plaine de Brannes, sur Saint-Laurent-de-Gosse, d'où l'on extrait de la tourbe.



Le gérant de la compagnie, M. Duhau, habitait à Urt, tout au bout du Campas, une maison d'où l'on avait une vue superbe sur la vallée. Quand il voyait arriver le bateau, il se dépêchait de descendre jusqu'au port d'Urt pour prendre son service et percevoir, pendant la fin du trajet, le montant des passages, de l'ordre de 0,75 à 1 franc par personne, si j'ai bonne mémoire. On était parfois obligé de l'attendre un peu, mais tout se passait en famille.



On embarquait, outre M. Duhau, quelques Urtois : parfois M. Pelot, qui était quelque chose dans la compagnie, M. de Roll, dont le château de Montpellier se voyait sur l'autre rive, la famille de Croiseuil ; et en route pour Saint-Barthélemy !



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CHÂTEAU DE ROLL-MONTPELLIER
40 ST LAURENT DE GOSSE



L'embarcadère se trouvait sur le bras qui sépare l'île de Marignan de la rive landaise. Là, montaient à bord, les châtelains de ce coin, autrefois si vivant l'été, aux jardins si bien entretenus : M. Trubert, écrivain et diplomate, les de Marignan, les Nounès, etc. L'arrière de l'"Eclair" (les premières classes) devenait un cercle de gens distingués, mais quelque peu distants. Peu de conversation. Chacun, après un salut cérémonieux, allait occuper l'un des fauteuils placés en rond sur la plage arrière, tandis que M. le Curé de Saint-Barthélémy descendait dans l'étroit salon pour y lire son bréviaire en toute tranquillité.



Pendant ce temps, à l'avant, se poursuivaient les conversations des paysannes barthaises, aussi nasillardes que les canards qu'elles portaient dans leurs paniers plats, et éclataient des choeurs à plusieurs voix comme il s'en chante encore dans nos campagnes. On jouait aux cartes : le maréchal des logis, commandant la brigade de gendarmerie de Bidache, déclarait sentencieusement : "Non, je ne jouerai pas au poker ! Car c'est, je ne dirai pas un jeu de voleurs, parce que l'uniforme me commande, mais c'est un jeu de menteurs !..."



Et l'on cassait la croûte, et tout cela donnait soif. Heureusement qu'il y avait une buvette à bord où le paillet de Guiche coulait à flots, remonté sans arrêt de la cambuse de l'avant par une écoutille qui se trouvait presque sous les pieds du pilote.



Le petit vapeur fendait bientôt le vaste miroir d'eau qui s'étend entre le confluent de l'Ardanavy, petit affluent basque que remontent encore quelques bagarres pour le compte d'une carrière et l'île de Brocq. Le port d'Urcuit ne l'intéressait pas, pas plus que celui de Lahonce, situé sur un bras assez étroit, fréquenté seulement par quelques gabarres.



Par-dessus les arbres de l'île de Lahonce, on apercevait le clocher de l'ancienne abbaye, de forme trinitaire (à trois pointes) inusitée dans la région. L'ancien clocher ayant été détruit par la foudre, le curé d'alors, qui avait été vicaire en Soule, fit reconstruire ce clocher quelque peu hérétique puisque de ses trois pointes, qui représentent les trois personnes de la Sainte Trinité, celle du milieu, qui représente le Père, domine par trop les deux autres Personnes, ce que l'on ne voit pas en Soule.



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EGLISE 64 LAHONCE
PAYS BASQUE D'ANTAN




"Martinolet", propriété de la famille Personnaz, était laissé à tribord, et bientôt se détachait de Naguille, à bâbord, le couralin vert sur lequel Me Guichenné, serviette sous le bras, venait embarquer en pleine eau.



Cela donnait encore l'occasion d'une belle manoeuvre que tout le monde suivait avec intérêt.



En face, le moulin à marée de Bacheforêts, dont le bassin était déjà bien envasé, ne retenait guère l'attention. On s'intéressait davantage aux belles propriétés de Saint-Etienne : Rance, Larbeü, Jouanché, Port-Leyron, et au château Caradoc, de goût autrichien, dont les tours impressionnaient mon imagination d'enfant.



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LA TOUR DU CHÂTEAU CARADOC BAYONNE
PAYS BASQUE D'ANTAN



Dois-je décrire Bayonne, le panorama jalonné par Camp-de-Prats, les flèches de la cathédrale, la Porte de France, le pont, la citadelle ? Après être passé sous le pont de fer (quelle joie quand on y passait en même temps qu'un train) l'"Eclair" lançait un coup de sirène impressionnant que se renvoyaient plusieurs fois, à la surface de l'eau, les maisons riveraines et, après une dernière évolution savante, il accostait, vers 9 heures, aux allées Boufflers, proue en amont, primitivement en face de la maison Lebas, plus tard près du blockhaus, maintenant disparu, à l'entrée du Jardin Public, dénommé depuis square Pouzac.



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LA NIVE AU PONT DE FER BAYONNE
PAYS BASQUE D'ANTAN



L'après-midi, un peu avant 5 heures, un coin de sirène rappelait que l'heure du retour approchait. Les passagers du matin rembarquaient, chargés, non plus de canards et volailles, mais de denrées et de tissus achetés en ville. Les retours étaient moins bruyants : on était fatigué ; on avait faim, on mangeait, on buvait aussi. Le mécanicien, sans se faire prier, faisait frire pour quelque passager, un morceau de ventrèche, ou faisait griller quelques sardines salées sur le foyer de la chaudière.



Quand la saison avançait, la nuit qui tombait répandait une mélancolie sur le fleuve, et l'on n'entendait plus guère que le halètement de la machine, le bruissement de l'eau et les interminables histoires que racontait Paulin, tout en tournant sans arrêt, à petits coups, et machinalement, la roue du gouvernail, sous l'inscription classique "Défense de parler au pilote". Paulin avait beaucoup navigué et, avant d'être marin d'eau douce, il avait, comme beaucoup de riverains, servi dans la marine de l'Etat en qualité d'inscrit maritime.



La nuit venue, on allumait les feux vert, blanc et rouge règlementaires, car la navigation était alors très active sur l'Adour et n'avait pas encore été tuée par le chemin de fer et le camion ; et les abordages étaient à craindre. L'éclairage du bord était plutôt triste et fumeux, et je ne me rappelle pas avoir vu fonctionner l'éclairage électrique qui, pourtant, avait été installé."



A suivre...


(Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France)











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