LA CHAPELLE DE SAINT-SAUVEUR À IBAÑETA.
L'antique chapelle d'Ibañeta, en Navarre, date de 1127.
Voici ce que rapporta J.-B. Daranatz dans le Bulletin du Musée Basque N° 9 de 1935 :
"La Chapelle de Saint-Sauveur ou de Charlemagne à Ibañeta.
Deux routes principales conduisent actuellement de Saint-Jean-Pied-de-Port à Roncevaux.
L'une part du quartier de Saint-Michel où commence la Voie romaine ; les pentes, rudes d'abord, finissent en chemin de crête, qui passe à Château-Pignon, à Altabiscar et descend enfin à Ibañeta par les cols de Bentarte et de Lepeder.
La seconde route est celle qui mène à Arnéguy, où se trouve un pont jeté sur la Nive, entre la France et l'Espagne. Le chemin monte en pente assez douce, passe à Valcarlos, traverse des bois de hêtres et de châtaigniers. C'était jadis une sorte de sentier. Le 20 octobre 1881, dit le Courrier de Bayonne, a été inaugurée la magnifique route dont l'aménagement fait honneur à l'Espagne ; creusée aux flancs de la montagne, elle se prolonge pendant une quinzaine de kilomètres au milieu d'une nature sauvage et splendide. A l'horizon et devant soi, des cimes élevées bornent la vue et forment un cirque grandiose où s'étagent en un beau désordre des forêts d'arbres touffus ; çà et là, à certaines heures, de nombreuses et blanches buées, semblables à des nuages égarés et épars, voltigent et montent lentement ; sur la gauche, apparaissent d'abord les coteaux d'Ondarolle, puis de hautes montagnes, vertes, nues, rocheuses, striées de filets d'argent qui vont s'abîmer en eaux rapides au fond des ravins où grondent les torrents.
| ONDARROLA VALCARLOS NAVARRE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Pendant que l'on gravit les pentes boisées de la montagne, on se rappelle Le Cor, poème d'Alfred de Vigny "écrit à Pau, en 1825" et l'on se prend à dire, en face de cette nature magnifique :
J'aime le son du cor, le soir, au fond des bois !
![]() |
| LE COR D'ALFRED DE VIGNY |
On s'arrête soudain, on regarde et l'on répète les vers sonores et émouvants du poète :
Ames des chevaliers, revenez-vous encor ?
Est-ce vous qui parlez avec la voix du cor ?
Roncevaux ! Roncevaux ! dans ta sombre vallée,
L'ombre du grand Roland n'est donc pas consolée ?
.....................................................................................
C'est ainsi qu'en murmurant ces strophes tristes et sublimes, on atteint l'antique refuge de Gorosgaray, et enfin Ibañeta, où, d'après une vieille légende, Roland vint jeter les derniers sons du cor plaintif.
| ROLAND A RONCEVAUX PAYS BASQUE D'ANTAN |
C'est ce que rappelle, au XVIIe siècle, le prêtre bolonais Domenico Laffi, dans cette page curieuse qui trouvera bien sa place ici : "Enfin, avec l'aide de Dieu et de Saint Jacques de Galice, nous arrivâmes sur la haute cime des Pyrénées : là est une petite chapelle très ancienne." La chapelle de Saint-Sauveur ou de Charlemagne à Ibañeta. "C'est dans ce lieu même que Roland sonna son cor quand il appela Charlemagne à son aide, et il le sonna si fort qu'il le fit éclater."...
A en croire le Guide des Pèlerins, qui date de 1139, le Col d'Ibañeta était d'un passage difficile au moment où Charlemagne franchit les Pyrénées en 778. Aujourd'hui, plateau nu et désert, à peine marqué de quelques ruines, Ibañeta forme la ligne de partage des eaux, qui s'en vont, les unes au versant Sud, du côté de l'Espagne, pour se jeter dans la Méditerranée, les autres au versant Nord, du côté de la France, pour se jeter dans l'Océan. Ibañeta se dresse comme un vrai promontoire.
L'inappréciable Guide des Pèlerins nous apprend qu'au XIIe siècle, il n'y avait à Ibañeta que la Croix de Charles et un millier de petites croix, placées là par les pieuses caravanes et par les croyants qui allaient à Saint-Jacques de Compostelle. Depuis le VIIIe siècle jusqu'au XIIe — et peut-être jusqu'au XIIIe — il n'y eut à Ibañeta que des croix. Au XIIe siècle, Ibañeta était inhabité. Il n'y avait là ni monastère, ni moines, ni Ordre religieux, ni Ordre militaire. C'était la solitude, une étape de prières où l'on ne faisait que passer.
Il ne faut donc pas proclamer la prétendue antériorité et la prééminence supposée d'Ibañeta sur Roncevaux, dont parlent plusieurs documents et presque tous les auteurs, jusqu'à présent.
Le mérite exceptionnel du Guide des Pèlerins consiste à nous avoir fixés, d'une manière très claire et définitive, sur ce point si important qui renouvelle toute l'histoire des origines de ces lieux célèbres.
La chapelle de Saint-Sauveur ou de Charlemagne à Ibañeta est un grand souvenir entouré de beaucoup de légendes..
Origines de cette chapelle.
D'après Huarte. — Cet auteur, du XVIIe siècle, comme d'ailleurs son copiste Sarasa, a composé un véritable roman sur les origines de la chapelle de Charles. Comment a-t-il pu remonter, de bonne foi, aux premières années du christianisme ? rien ne saurait mieux l'expliquer que son amour passionné pour Roncevaux. La tradition — absolument certaine, croit-il, indubitada — du passage de Saint Saturnin, en Navarre, avec son compagnon Saint Honeste, et son disciple Saint Firmin, premier évêque de Pampelune, donnait, aux yeux de Huarte, du poids à cette pieuse légende. Pour attester la foi qu'il avait introduite en Navarre, Saturnin, dit-il, fit élever, au-dessus de Roncevaux, la très ancienne basilique de Saint-Sauveur d'Ibañeta. Vingt-deux ans après l'Ascension de Notre Seigneur ! ! ! L'église de Saint-Sauveur, ajoute-t-il, subsista jusqu'à l'invasion maure qui la détruisit. Charlemagne la releva et c'est depuis lorsqu'elle prit le nom de Chapelle de Charlemagne. Si les Normands ont renversé celle-ci au Xe siècle, ce ne fut pas pour longtemps.
Ainsi, Huarte et Goldaraz mettent à Ibañeta, depuis les plus lointaines origines, des établissements religieux et militaires avec une église et des prêtres. Surviennent les invasions des Maures et des Normands, tout est détruit, mais tout se relève comme par enchantement, non pas à Ibañeta, mais à Roncevaux, où les grands établissements sont descendus, disent-ils.
D'après Sarasa. — Sarasa, qui a emboîté le pas à Huarte, tient à deux choses qui sont pour lui l'histoire vraie des origines : la fondation d'un hôpital et d'un ordre militaire à Ibañeta par Charlemagne ; leur continuation possible ensuite à Roncevaux. Il appelle cela les "traditions de l'Eglise de Roncevaux". Il aurait dû au préalable établir l'existence antique de cette Eglise. Il n'y réussit pas.
D'après Gaston Paris. — Faut-il s'étonner que les maîtres eux-mêmes se trompent parfois dans leurs hypothèses ? Ainsi Gaston Paris accepte la fondation de la Chapelle d'Ibañeta par Charlemagne lui-même, vers 778, et, plus tard, en 1127, la création de l'hôpital de Roncevaux, d'après la fausse charte de fondation.
![]() |
| PHILOLOGUE ET MEDIEVISTE GASTON PARIS |



Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire