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samedi 20 décembre 2025

LA COUVADE AU PAYS BASQUE AVANT 1789

LA COUVADE AU PAYS BASQUE AVANT 1789.


Etienne Anselme Ritou-Deyeralde est un avocat et homme politique, de tendance radical socialiste né à Hasparren, le 9 novembre 1872 et mort le 17 juillet 1923 à Bayonne.

Il est l'auteur, en 1897, d'une thèse de doctorat soutenue à la Faculté de Droit de Paris, intitulée De la condition des personnes chez les Basques français jusqu'en 1789, publiée par l'imprimerie bayonnaise A. Lamaignère.



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LA COUVADE AUTREFOIS


Voici ce que rapporta Etienne Ritou, dans son livre :



"Chapitre premier.

Droit antique.



II. La Couvade.


— En nous parlant des ibères, auxquels il faudrait rattacher les Basques, Strabon nous dit que chez eux "quand la femme est accouchée, le mari la remplace au lit et se fait servir par elle (Strabon, liv. III). Ce fait, diversement interprété par les juristes, n'est pas aussi rare qu'on serait tenté de le croire. L'histoire des peuples nous en fournit de nombreux exemples dans l'antiquité, au moyen âge et même dans les temps modernes.



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STRABON D'AMASEE
GRAVURE DU XVIe SIECLE


En effet, ce que Strabon nous dit des Ibères, Diodore de Sicile nous dit des Corses ; et d'après Apollonius de Rhodes, les Tibareni, peuples établis sur les bords du Pont-Euxin, pratiquaient le même usage. Cet usage a-t-il aussi existé dans le pays basque moderne ? Augustin Chaho l'affirme pour la Biscaye. Eugène Cordier regrette de ne l'avoir pas vu fonctionner de près dans la Basse-Navarre et la Soule où il s'est rendu, mais il penche pour l'affirmative d'après les renseignements qu'il s'est procuré dans ces deux provinces. Le Béarn paraît avoir pratiqué le même usage, et c'est là que nous le trouvons désigné sous le nom expressif de coubade ou couvade qui rappelle que chez certains oiseaux, comme les pigeons, le mâle couve tout aussi bien que la femelle. Le célèbre Marco Polo témoigne de l'existence de cette institution dans le Thibet et de nos jours on en trouverait aussi des exemples, paraît-il, chez certains peuples de l'Amérique du Sud, ou encore chez quelques peuples à l'ouest de l'archipel indien. Pour ce qui est du pays basque moderne, on prétendrait qu'on y trouve encore quelques exemples isolés de couvade. Dans ce cas la grande masse des habitants sont loin de soupçonner l'existence d'une pareille bizarrerie chez eux, et il semblerait assez paradoxal d'admettre que des étrangers, par une faveur spéciale du hasard, aient pu satisfaire leur curiosité mieux que des indigènes.  



Monsieur Bladé, dans ses fréquents voyages au pays basque, a péniblement cherché et sans succès des endroits où l'on pratiquait encore la couvade. Personnellement, nous sommes d'avis qu'un Basque ne peut pas affirmer sans sourire l'existence actuelle de cette institution dans son pays.



Quoi qu'il en soit, la couvade aurait existé chez les Basques contemporains de Strabon, et cette raison nous suffit pour nous intéresser à la discussion que soulève parmi les juristes l'interprétation de cette singulière pratique.



L'Allemand Bachofen y a vu une forme barbare de l'adoption ; d'après lui, le fait par le père de remplacer auprès de l'enfant la mère qui vient d'accoucher équivaudrait de sa part à une affirmation de sa qualité de père, à une reconnaissance de paternité. D'autres ne voient dans la couvade qu'une pratique superstitieuse dénotant un peuple dans l'enfance, et les conséquence ne sont pas les mêmes dans ces deux opinions.



PHILOLOGUE JOHANN JAKOB BACHOFEN



Les partisans de la première se servent de cet usage comme d'un marchepied pour remonter à l'antiquité la plus reculée et nous dire que la promiscuité des sexes fut la forme primitive du mariage dans les origines de l'humanité. Le libre commerce des sexes, disent-ils, n'établissait pour l'enfant de filiation certaine qu'à l'égard de sa mère, et la plus grande incertitude planait sur sa filiation paternelle. Plus tard, quand, sous l'influence de la civilisation, les moeurs de l'humanité commencèrent à s'adoucir, le communisme conjugal tendit à disparaître avec la grossièreté des sociétés primitives ; mais l'union des sexes ne fut pas brusquement soumise à une réglementation régulière, et c'est dans une période transitoire qu'il faudrait placer l'usage que nous désignons ici sous le nom de couvade. Dans cette période, la paternité n'était pas encore bien certaine, et celui qui voulait en revendiquer l'honneur recourait aux actes symboliques de la couvade pour affirmer de la sorte sa qualité de père à l'égard du nouveau-né.



En procédant ensuite par voie d'induction, les partisans de cette théorie, après avoir cru établir la promiscuité primitive des sexes, se fondent sur ce fait pour affirmer la priorité chronologique de l'Etat sur la famille. L'histoire des sociétés primitives aurait donc fait un grand pas si on pouvait de plano admettre la théorie de Bachofen ; mais si les partisans de l'opinion contraire nous prouvent qu'il ne faut chercher l'origine de cette curieuse institution que dans certaines croyances superstitieuses de ceux qui la pratiquent, nous voyons crouler tout l'échafaudage élevé par Bachofen et ses adeptes.



C'est dans la même voie que nous nous engageons de préférence ; la couvade nous paraît être simplement le résultat de superstitions grossières admises par des peuples encore jeunes et portés à interpréter avec moins de raison que d'imagination les phénomènes les plus naturels de l'existence, tels que ceux de la paternité et de la maternité. Il y a des peuples, par exemple, qui sont convaincus de l'existence d'un lien mystérieux entre le père du nouveau-né et ce dernier ; ce sont des croyances de ce genre qui dictent à certains sauvages de l'Amérique du Sud l'observation des usages barbares qu'ils s'imposent à la naissance de leurs enfants et qui doivent influer, d'après eux, sur la vie et la santé du nouveau-né. A cette occasion, les Guaranis s'astreignent à un jeûne de plusieurs jours. Les sauvages de la Guyane française se réfugient dans un hamac au faîte de leur maison, et observent un jeûne des plus rigoureux.



D'autres vont s'enfermer dans un hamac, comme les naturels du Brésil, et s'y font soigner jusqu'à ce que le cordon ombilical de l'enfant soit tombé. Nous lisons dans une Revue d'anthropologie de 1894, que certains peuples à l'Ouest de l'archipel indien se livrent à des pratiques du même genre : "Ceux-ci croient, dit l'auteur de l'article, à une sympathie des plus intimes entre le père et l'enfant, et veulent que le premier; dans tous ses actes, songe constamment au dernier. D'où une foule de prescriptions et de règles à observer par le mari pendant la grossesse de la femme et par la femme elle-même. Toutes les choses défendues sont désignées sous le nom de mamoni. Si le mari ou la femme oublie de les respecter, il peut en résulter de grands malheurs ; par exemple, le placenta peut rester dans l'utérus, l'enfant peut venir au monde mort ou avec des défauts considérables : bec de lièvre, torticolis, pied bot, etc... Ces conséquences peuvent atteindre l'enfant jusqu'à l'âge de quatre ans."



Tous ces exemples démontrent de combien de superstitions est entourée la naissance d'un enfant chez certains peuples sauvages. Pour les uns, la santé du nouveau-né dépend des soins que le père se donne à lui-même ; d'autres s'imaginent, quand ils ont donné la vie à un enfant, que cette vie est par cela même diminuée dans son auteur, et, dans ce cas, la peur de mourir les pousse à se donner les mêmes soins que si leur propre santé était en danger. D'autres fois, le père de l'enfant prend place au lit auprès du nouveau-né ; il le réchauffe par son contact et croit lui transmettre ainsi le courage et la force dont il est lui-même doué.



Quel sens convient-il de donner à l'usage de la couvade chez les anciens Basques ? Augustin Chaho, dans son Voyage en Navarre, l'explique par la légende d'Aïtor. Ce père des Eskualdunak, nous dit la légende, eut un fils durant son exil sur la montagne. Craignant pour la vie de l'enfant, s'il le laissait seul avec sa mère, Aïtor le prit sous sa garde, pendant que la mère allait quérir la nourriture de toute la famille. C'est depuis lors, dit Chaho, et en souvenir de leurs premiers parents, que les Basques auraient conservé l'usage symbolique de la couvade.



LIVRE VOYAGE EN NAVARRE
PAR AUGUSTIN CHAHO



L'explication de Chaho est trop fantaisiste pour nous contenter. Ce n'est pas à dire pourtant qu'il faille voir dans la couvade basque une reconnaissance tacite de paternité. Indépendamment des raisons générales que peuvent alléguer en leur faveur les adversaires de Bachofen, il y en a de très spéciales pour nous donner à croire que les Basques, quand ils pratiquaient la couvade, agissaient sous l'empire de la superstition. Les Basques, s'il faut en croire l'histoire, étaient en effet un peuple profondément superstitieux, et ils le sont encore aujourd'hui. Au commencement du XVIIe siècle, notamment, ils étaient complètement adonnés à la sorcellerie, au point que le Parlement de Bordeaux s'en émut et envoya dans le Labourd les magistrats de l'Ancre et Despagnet, avec mission de punir sévèrement les faits de sorcellerie dont ils pourraient se rendre compte. Les rigueurs dont ils usèrent, leurs hécatombes de sorciers et de magiciens, ne corrigèrent pas complètement les Basques, car il n'est pas rare, même de nos jours, d'entendre parler, au pays basque, des sorciers (sorguinak), de leur sabbat appelé akhelarre, des lieux où se tiennent les séances et des gens qui, de très bonne foi, sont soupçonnés d'y assister. Dans sa simplicité, le Basque croit assez souvent aux revenants ; il professe à l'égard du diable une crainte qui se traduit par ses jurements : Debrien arima (âme du diable) ; Debrien bisaia (figure du diable). Son imagination a enfanté des fantômes redoutables, tels que Bassa-Jauna, le Seigneur sauvage, dont les hurlements, mêlés à ceux de la tempête, ont été entendus le soir par plus d'un paysan attardé dans les bois. C'est avec une entière naïveté que le Basque désignera au visiteur étranger la grotte d'Isturitz, par exemple, comme hantée par des êtres velus, à la façon humaine, sortes d'anthropoïdes qu'ils appellent laminak. Mettez le paysan basque sur le terrain de l'anatomie, questionnez-le sur les phénomènes de la paternité et de la maternité, si fréquents pourtant dans l'existence, et vous serez étonné peut-être des fables dont sa crédulité vous entretiendra, à la condition toutefois de capter au préalable sa confiance, car le Basque ne le prodigue pas toujours.



Après cela, n'est-il pas naturel d'admettre que l'institution de la couvade chez les anciens Basques cachait sous ses apparences grossières un fonds de superstition qu'on s'explique facilement quand on connaît ce peuple. Il n'est donc pas nécessaire, comme le font Bachofen et ses disciples, de rechercher dans les origines du mariage l'interprétation de cette habitude grotesque. S'il s'agissait d'ailleurs de démontrer que les Basques primitifs pratiquaient le libre commerce des sexes antérieurement à toute réglementation du mariage, l'existence du matriarcat, fonctionnant chez eux à l'époque des invasions romaines, serait une preuve plus décisive que toutes les autres. Les partisans de la promiscuité primitive des sexes expliquant en effet le régime matriarcal comme reposant sur l'incertitude de la paternité chez un peuple. Or nous avons vu que le matriarcat basque ne supposait aucun doute sur la filiation paternelle de l'enfant et n'était en réalité que la conséquence logique de l'existence à la fois guerrière et pastorale de ce peuple, à une certaine époque. Par ailleurs, il est un fait qui, sur ce sujet, nous paraît plus persuasif que tous les raisonnements : c'est que les anciens Basques étaient monogames, comme le prouve le silence des historiens latins à cet endroit. Si le contraire eût été vrai, ils n'auraient pas manqué de nous le dire, comme ils le faisaient régulièrement pour tous les peuples qui offraient quelque particularité au point de vue du mariage.



Toutes ces raisons, à notre avis, ne laissent subsister aucun doute sur le sens à donner à l'institution de la couvade. Ce n'était qu'une triviale manifestation des superstitions que professaient les anciens Basques sur les rapports du père avec le nouveau-né. Peut-être ce gens, renommés pour être particulièrement rudes et belliqueux, s'imaginaient-ils, par leur contact avec l'enfant, lui communiquer la force, l'énergie, l'endurance qu'ils ressentaient en eux-mêmes et qui leur étaient si nécessaires alors pour se défendre, eux, petit peuple, contre ces innombrables armées d'étrangers qui venaient à tout instant menacer de détruire leur indépendance.



Sous une telle apparence, l'institution de la couvade n'offre plus autant d'intérêt pour le juriste. C'est pourquoi nous clôturerons ici cette étude pour entreprendre celle du droit coutumier des Basque au moyen âge."



A suivre...



(Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France)


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