L'OEUVRE DE LUIS MICHELENA-ELISSALT.
Koldo Mitxelena Elissalt ou Luis Michelena ou Koldobika Mitxelena, né le 20 août 1915 à Renteria (Gipuzkoa) et mort le 11 octobre 1987 à Saint-Sébastien (Gipuzkoa) est un linguiste, écrivain, professeur de philosophie et académicien Basque espagnol de langue Basque et espagnole.
Voici ce que rapporta Pierre Lafitte, de l'Académie de la langue basque, à son sujet dans le
Bulletin du Musée Basque N° 27 de 1965 :
"Etudes Basques.
L'oeuvre de Luis Michelena-Elissalt.
... Travaux de documentation.
Luis Michelena, en abordant la linguistique, se sentit attiré par l'étude diachronique de la langue basque. Il fallait, pour s'y risquer, pouvoir remonter très haut dans son histoire. La bibliothèque de Julio de Urquijo dont il dispose, lui a permis de lire non seulement l'ensemble de la littérature euskarienne, mais aussi presque tous les ouvrages bascologiques.
Au Séminaire de philologie basque il s'efforce de continuer l'œuvre de recherche et de publication critique des vieux textes commencée par Julio de Urquijo, dans la mesure où on lui en donne les moyens.
De là la parution en 1958 du Dictionarium linguœ cantabricae de Nicolas Landuchio.
Ce travail composé en 1562 est resté manuscrit pendant quatre siècles. En collaboration avec Manuel Agud, Luis Michelena, a édité ce vocabulaire et en a rédigé l'importante introduction (pp. 7-48).
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| LIVRE DICTIONARUM LINGUAE CANTABRICAE DE NICOLAS LANDUCHIO |
Cela commence par la triste histoire du manuscrit méprisé jusque là par la majorité sinon l'unanimité des bascologues, utilisé très partiellement, sans indication de sources, par Larramendi dans le Supplément de son Dictionnaire trilingue.
Suit l'analyse du Vocabulaire espagnol, italien, français et biscayen en 328 folios, préparé par Nicolas Landuchio de la cité de Luce en Toscane. Dans 101 derniers folios se trouve un dictionnaire castillan-basque assez incomplet mais intéressant. L'auteur toscan a dressé lui-même la liste alphabétique des mots espagnols, et trois mains sont intervenues pour écrire en regard les mots basques correspondants. Luis Michelena désigne les traducteurs par les lettres A, B et C. A paraît moins dominer son basque ; B fournit des formes plus orientales et plus pures que A ; C pratique une langue proche de celle de A.
Reste à définir le dialecte de A et C, en le comparant au biscayen de Garibay, des Refranes y Sentencias, de Betolaça, de Micoleta, de Capanaga, et du "Viva Jésus" : vocalisme, consonantisme, déclinaison, formes des indéfinis, formes verbales, tout révèle un parler jusqu'ici inconnu, assez proche mais distinct du biscayen, en tout cas méridional relativement aux dialectes basques parlés ou attestés : le vocabulaire en est urbain, très mêlé de mots romans parfois évocateurs de provincialismes alavais, sans que l'on puisse démontrer apodictiquement qu'il s'agisse de l'antique dialecte de Vitoria, hypothèse cependant vraisemblable.
Luis Michelena a publié en 1964 Textos arcaicos vascos : un corpus portatif de 206 pages en petits caractères, des principaux textes anciens utiles pour les linguistes.
Une première section, intitulée "L'antiquité", présente douze inscriptions latines de l'époque romaine où certains mots paraissent pouvoir relever de l'onomastique indigène.
L'éditeur avait déjà étudié ces monuments soit dans les 46 pages de son travail "De onomastica aquitana", soit dans les dix grandes pages qui ont pour titre : "Los nombres indigenas de la inscripcion hispano-romana de Lerga".
Beaucoup de noms se prêtent à des rapprochements ingénieux avec quelques mots basques ; mais ils soulèvent de nombreux problèmes sans en résoudre un seul, du moins pour l'instant.
La seconde section est consacrée au Moyen-Age. Elle nous offre d'une part une sélection de noms de lieux et de personnes ; d'autre part une collection de gloses, de mots plus ou moins détachés et de courtes phrases. Ces matériaux (42 numéros) s'étagent de l'an 883 à la fin du XVe siècle.
Luis Michelena a réuni ici les citations les plus importantes publiées par Lacarra, Mañaricua, Serrano, Arigita et d'autres chercheurs. On y relève aussi avec intérêt les vocabulaires d'Aimery Picaud ou d'Arnolf von Harff, la "Reja de San Millan", des passages très "couleur locale" du Fuero général de Navarre, etc.
Nous voici sur un terrain solide. Des faits phonétiques anciens se révèlent : par exemple, la présence de l'h dans les dialectes péninsulaires ; quelques formes non encore sonorisées helke qui deviendra elge, Camboa futur Gamboa, zaltu appelé à devenir zaldu ; le maintien provisoire des n intervocaliques qui tomberont plus tard : ex. Acenari futur Aceari ; le passage de l'intervocalique a r déjà accompli ; l'apophonie de e final en composition : ex. essavarri = etxabarri. La dérivation se montre déjà riche, avec des suffixes connus : -eta, -aga, -kin, -gin, -ar, -egi, -tegi, -toi, -dui, -tui, -ondo, -arte, etc. Diverses sortes de mots composés sont en usage : nom + adjectif (Hurivarri) ; déterminant + déterminé (Mendiolha) ; nom propre + nom commun déterminé (Markozubi), etc. L'article -a se découvre à nous avant l'an 1000, le génitif en -ko dès le début du XIe siècle, le possessif en -en au XIIIe. Sans parler de tout un vocabulaire qui dans l'ensemble nous est encore familier.
Cette section, dans les éditions prochaines, pourra être enrichie, car il faut s'attendre à de nouvelles trouvailles : on devra en tout cas y adjoindre les vieilles formes toponymiques datées, recueillies par P. Raymond (1863), les données des textes pyrénéens signalées par A. Luchaire en 1879 et 1881, les listes médiévales inédites d'Eugène Goyheneche ; pour la Navarre, l'apport considérable du R.P. Pio Sagüés (Archivo Ibero-Americano, 1963, dans son article sur les démêlés de Philippe le Bel et Boniface VIII).
La troisième section est encore plus importante. En 122 pages elle nous donne 47 morceaux du XVIe et du XVIIe siècles : chansons historiques, cantiques, poésies, prières, proverbes, devises. Au passage nous avons aimé à saluer le texte basque de Rabelais, la lettre de Bertrand d'Echaux, les billets des frères Seinich relatifs aux secrets de Madame de Chevreuse : c'est en effet à cela que se réduit la part du Pays basque continental dans ce recueil. Luis Michelena a sans doute pensé que les chansons souletines légendaires n'offrent pas un texte assez authentique pour mériter une place à côté des élégies de Milia de Lastur ou de M. Bañez de Artazubiaga ; n'ayant été conservées que par tradition orale et tardivement mises par écrit, elles risquent d'avoir été retouchées au cours des années. Il a du reste écarté aussi pour la même raison des textes péninsulaires admis en 1924 par Carlos de Guerra dans ses Cantares antiguos del Euskera.
Le travail de Luis Michelena est des plus consciencieux. Il cite les sources et variantes des documents, indique les lectures douteuses, les interprétations déjà tentées, les objections qu'elles soulèvent, il propose au besoin une version nouvelle, l'appuie sur des passages analogues, sinon parallèles ; quand la solution lui échappe ou lui paraît peu satisfaisante, il l'avoue tout bonnement.
Mais qu'on ne s'imagine pas qu'il est arrivé à cette maîtrise sans efforts et sans apprentissage. Quelques morceaux avaient fait l'objet de ses recherches approfondies avant qu'il se mît à composer son corpus.
Par exemple, en collaboration avec Maria Milagros Bidegain, il avait publié une édition et un commentaire critiques remarquables des Ecritures d'Andramendi : il s'agit de deux traités apocryphes datés respectivement de 564 et 748 après J. C., que le Dr Cachopin affirmait avoir lus sur des peaux de bêtes et des écorces d'arbre préparées ad hoc. A son avis, ces textes démontraient la fidélité des Biscayens à leur vieille langue qu'ils parlaient à la fin du XVIe siècle exactement comme leurs plus lointains ancêtres.
De même Luis Michelena, en collaboration avec A. Rodriguez Herrero, avait établi le texte relatif à l'incendie de Mondragon, et essayé de l'expliquer vers par vers, en une dizaine de pages.
Je pourrais donner d'autres faits analogues.
Dans Textos arcaicos ces travaux sont résumés, les commentaires réduits au minimum, mais accompagnés d'assez de références précises pour permettre au lecteur de se faire une opinion personnelle ou du moins guider ses recherches.
Au total, nous avons désormais un ouvrage capital qui manquait pour une étude sérieuse du basque ancien : car les éléments en étaient dispersés aux quatre vents et pratiquement introuvables pour le bascologue moyen.
Essais principaux.
Luis Michelena, après avoir rassemblé une documentation considérable et mis au point les règles délicates de leur maniement, a préparé ses grandes synthèses par des études partielles mais déjà importantes.
Nous n'insisterons pas sur des articles de dialectologie, des explications relatives à l'ibère ou à de vieux noms géographiques (Iruñea, Bizkaia), ni même son discours d'entrée à l'Académie consacré aux anciens lexicographes de la langue basque, malgré le grand intérêt qu'ils présentent.
Le premier livre publié par Luis Michelena est intitulé Apellidos vascos. C'est une étude linguistique solide des noms de famille basques : 160 pages in-octavo.
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| LIVRE APELLIDOS VASCOS DE LUIS MICHELENA |
Une introduction de 25 pages fixe les limites et la méthode du travail.
L'auteur se méfie naturellement d'un esprit de système qui ramènerait de force la masse des anthroponymes à une seule source, par exemple les noms de plantes, ou qui verrait un peu partout des éléments prothétiques à négliger ou inversement des aphérèses et des apocopes à imaginer. Il préfère comparer les diverses formes attestées d'un nom, en les datant s'il le peut, et c'est d'après les règles les plus assurées de la phonétique qu'il remonte le plus haut possible, sans prétendre découvrir chaque fois la structure primitive du nom, ni même son sens : comment, par exemple, décider si Bela- dans Belamendi représente bele ou bel(h)ar ? ou si Artegi représente une chênaie (arte-egi) ou une bergerie (ardi-tegi) ? Quant au caractère basque d'un nom de famille, il est déterminé avant tout par sa structure phonétique euskarienne. L'expression latine ripa alta a donné en français Rive-haute, en basque Ripalda (le p intervocalique est resté, le t s'est sonorisé après l'l). Ripalda est aussi basque que Rive-haute est français."



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