L'INAUGURATION DU MONUMENT AUX MORTS DE BOUCAU EN LABOURD AU PAYS BASQUE EN MAI 1922
INAUGURATION DU MONUMENT AUX MORTS DE BOUCAU EN 1922.
Dès avril 1919, l'Amicale Boucalaise (Boucau-Stade) demande à la Mairie du Boucau l'autorisation d'organiser des souscriptions, fêtes sportives, concerts etc. dont le produit sera exclusivement destiné à l'élévation d'un Monument aux Morts.
MONUMENT AUX MORTS DE BOUCAU PAYS BASQUE D'ANTAN
En juin 1920, la souscription publique pour l'érection de ce monument s'élève à 23 000 francs (+1
000 francs de la Mairie) et il est décidé que le monument sera érigé sur la place Jean Bourgeois.
Voici ce que rapporta à ce sujet la Gazette de Biarritz, de Bayonne et du Pays Basque, le 8 mai
1922, sous la plume de Georges Blançon :
"Aux Morts pour la Patrie.
La Cérémonie d'Inauguration.
Hier après-midi, a eu lieu, par un temps radieux, devant une foule considérable non seulement de Boucalais, mais encore d'habitants de Bayonne et de communes voisines, l'inauguration du Monument aux Morts de la guerre.
C'est une très belle oeuvre qui fait honneur au sculpteur Julien, enfant du Boucau. Le poilu fièrement campé, adossé à des blés en épis, dans un geste résolu, s'apprête à lancer la grenade sur l'ennemi qui menace le sol de la Patrie et les moissons nouvelles. Ce monument s'élève sur un terrain acquis par le Comité, près de la gare.
A trois heures, les autorités se sont rendues au pied de la statue encore couverte d'un voile, mais qui tomba sur une sonnerie de clairon à laquelle succéda la "Marseillaise", chantée par les garçons de l'école communale. Après eux, les fillettes chantèrent avec un ensemble parfait et un grand sentiment un très bel hymne de Rameau : "Sur les chemins conduisant à la gloire..."
Puis M. Ribes, secrétaire du Comité, fit, d'une voix forte, l'appel de 138 enfants du Boucau morts pour le pays.
Autour du Monument, on remarquait la présence de MM. Fauconnier, sous-préfet ; Henri Dordezon, conseiller général ; Celhay, conseiller d'arrondissement ; Sabatier, procureur de la République ; le capitaine de gendarmerie Tisnès ; Duhourcau, président des Anciens Combattants ; les membres du Comité, etc...
Discours de M. Dordezon.
Après cet appel, que les enfants couronnèrent d'un émouvant "Morts au Champ d'Honneur !", M. Dordezon prit la parole en ces termes :
"Camarades, Mesdames, Messieurs,
Au nom de mes amis du Comité du Monument, je remercie les patriotes qui nous ont permis, grâce à leur générosité, d'honorer dignement les braves dont nous célébrons en ce jour la mémoire glorieuse.
Meri à vous tous qui êtes venu leur apporter votre tribut d'admiration et de reconnaissance.
Ils sont 138 qui payèrent de leur vie la défense de ce deux mots symboliques : "Honneur-Patrie", gravés dans le socle de la statue, mots qui ne peuvent être dissociés.
Aussi, est-ce avec le plus grand respect que je salue les familles de nos chers morts dont ce Monument perpétuera le souvenir. "La guerre défensive que ces Français héroïques ont soutenue, était la guerre de la Liberté contre les Empires militaristes, belliqueux et autoritaires.
La victoire de nos soldats fut la victoire du Droit sur l'Arbitraire, la victoire de la Justice démocratique sur les Dictatures sanglantes, la victoire de l'Avenir radieux et pacifique dont la vision a tant de fois hanté les rêves de ceux qui se sont battus et de ceux qui sont tombés.
C'est ce qu'il ne faut jamais oublier, à travers les trop longues discussions d'une paix trop souvent débattue.
La France ne réclame rien, en vertu de sa victoire, qu'elle ne soit fondée à revendiquer en vertu de son droit.
C'est par le sacrifice de nos morts que se justifient des prétentions qu'une politique de courte vue taxe parfois d'impérialisme.
C'est pour garantir à jamais la paix du monde que nous devons exiger que réparation et justice soient faites aux victimes de l'agression.
Le plus grand scandale de la raison humaine, la plus amère dérision de la morale démocratique, ce serait que dans le Conseil des peuples, ceux qui ont voulu la guerre fussent admis de plein droit et sans conditions, au même traitement que ceux qui l'ont subie.
Honorer nos morts et exalter leur sacrifice, ce n'est pas entretenir dans le monde des germes de haine inexplicables, c'est rester fidèle à la cause même de la Justice et de l'Humanité.
Et vous, chers enfants, rappelez-vous toute votre vie durant, ce que vous devez à ces braves Poilus ; lisez souvent leurs noms jusqu'à les connaître par coeur, car c'est grâce à leur sacrifice que vous pouvez encore vous dire : Français.
D'ailleurs, les maîtres et les maîtresses qui vous dirigent et qui jouissent de la confiance et de la sympathie de la population tout entière savent vous inculquer ces deux beaux principes : "L'Amour de la Patrie et la Reconnaissance à nos grands Morts".
Et puis plus tard, vous rappelant cette strophe de notre chant national : "Nous entrerons dans la carrière quand nos aînés n'y seront plus"... si la Patrie était en danger, vous puiseriez dans l'exemple de vos pères le courage nécessaire pour la défendre, et au besoin, comme eux, vous saurez mourir pour Elle !"
Ce discours fut très vivement applaudi.
MONUMENT AUX MORTS DE BOUCAU PAYS BASQUE D'ANTAN
Discours de M. Duhourcau.
M. Duhourcau prononça alors le beau discours suivant :
C'est avec raison que, dans la plupart des communes, les combattants ont voulu voir figurer dans le monument aux Morts un poilu. Parfois, il est seul, bien campé, et sa mâle attitude, sa robustesse disent ce qu'il a fallu virilité pour gagner la guerre ; parfois, il est gisant et la Patrie ou la Gloire le vient couronner, tandis que pleure autour de lui sa famille ; ainsi est exprimé que nous ne connaissons pas, comme d'autres, la victoire "fraiche et joyeuse" et que dans nos coeurs pleins d'humanité notre orgueil est tout voilé de larmes.
Pour ma part, je préfère le Poilu debout et en action, comme ici. Ainsi est mieux rendu sensible à tous qu'il demeure au milieu de nous toujours vivant, prêt à agir, qu'il est encore là, le vainqueur, et même "un peu là", comme il avait coutume de dire dans sa franche et gouailleuse familiarité. Il est heureux que, de la sorte, dans les villes et villages de France, sur la place publique ou, à défaut, sur le bord de la route, le coeur populaire dresse la figure héroïque et douloureuse du Poilu dont l'énergie sauva la Patrie. Posté, comme ici, à l'entrée de la commune, il semble le veilleur éternel prêt à crier "halte-là" à ceux qui voudraient passer leur chemin en oubliant les Morts de la guerre, ou pis encore en renonçant à leur victoire. Gloire à l'homme sublime qui a sacrifié sa vie pour nous conserver nos belles raisons de vivre. Honneur au représentant du peuple profond des Morts qui nous garde à jamais de l'oubli et des abdications insensées.
Il est beau que le sculpteur Julien, enfant du pays à l'âme brulante, ait appuyé son poilu à des gerbes de blé ; s'il paraît les défendre comme pour nous marquer que nous tenons beaucoup de lui notre pain quotidien, il rappelle aussi que, tel un épi humain, il a levé du sol de France, qu'il est le fils de nos campagnes qui lui transmirent leur grave allégresse et leur force. De cet endroit où vous l'avez placé, Boucalais, il atteste vos maisons, vos vergers, vos champs, vos usines, et sa rivière et ses montagnes qu'il leur fut jusqu'au bout fidèle et sur là-bas sur le front, donner son corps pour consolider le rempart qui arrêta l'envahisseur. C'est bien que son uniforme semble maculé de la boue des tranchées ; ce héros apparaît mieux ainsi ce qu'il fut : un homme façonné dans sa terre par le génie de la race et jeté tel quel à la bataille contre l'ennemi de tout ce que porte — richesses, idées, sentiments — notre généreuse patrie. Il est le citoyen militant, le travailleur conscient de sa dignité et de ses droits qui lutte pour cette vaste, bienfaisante et fraternelle association, voulue par la nature, acceptée de son coeur et de sa raison, la France.
Certains peut-être auraient préféré voir à ce héros une attitude plus sereine qui eût exprimé que ses compagnons et lui reposaient tranquilles en de mystérieux paradis, leur tâche terminée. Hélas ! messieurs, faut-il donc que les événement parlent plus haut encore ?... Ô morts, répondez à ceux qui vous croient satisfaits ! L'heure viendra-t-elle jamais que vos esprits puissent nous abandonner à nous-mêmes ? Soldat jailli du milieu de tous ces noms des victimes pour signifier que tu es leur porte-parole, soldat, n'es-tu pas dressé, grenade en main, pour entrer dans ces conférences honteuses où des alliés qui trahissent la sainte amitié des batailles tentent d'établir pour nous une paix sans victoire, comme si la guerre n'avait pas été bien close par ton triomphe ? Messieurs, ne l'entendez-vous pas qui vous parle au fond de l'âme, ce protestataire douloureux ? Il dit : "Frères, soyez comme moi-même. Veillez, les poings non encore desserrés. Notre victoire n'est pas sûre. Gardez-vous des gens sans âme de la mercante et de la finance internationales qui ne veulent pas tenir compte dans leurs sales calculs de la valeur de notre sang et du prix qui lui est dû. Ils provoquent ainsi la revanche de l'ennemi que nous avions abattu et rouvrent le cycle des combats. Ils font revenir sur vous et sur nos enfants dont nous avons voulu les écarter les malheurs de la détestable guerre. Nous ne le permettrons pas. Nous avons assez souffert, cela suffit ; que nos maux vous soient épargnés ! S'il faut sonner le réveil des âmes pour aider la réaliste et ferme politique d'un chef de gouvernement qui voit le péril, c'est nous, les Morts, qui, dans chaque village du pays, reviendrons rallier et rassurer les vivants. Nous voulons que tous vous puissiez vivre dans la paix que nous croyions vous avoir conquise. A cette heure, il suffit que vous ne vous trahissiez pas vous-mêmes et nous écoutiez, nous, vos exemples et vos souverains conseils. Mais pour que vous nous entendiez et soyez raffermis par nos appels, ne nous oubliez pas un seul jour. Je suis planté ici, homme-drapeau des Morts. Ne passez jamais indifférents devant moi qui ai l'honneur de figurer ceux auxquels les communes de France, unanimes, doivent le plus légitime des cultes.
C'est ce culte à rendre au Poilu par qui, dans toutes les localités, sera resserré le patriotisme, c'est ce culte qui n'aura pas de dissidents que Dordezon a voulu promouvoir, en faisant, à l'antique, graver ces deux mots au-dessus de l'inscription commémorative : Passants, saluez !
Ce salut dû aux 138 enfants du Boucau tombés là-bas pour nous tous, au nom des mutilés et combattants du pays je l'apporte aujourd'hui, de toute mon âme, à ce Poilu qui représente les Morts, à leurs familles qui les ont formés ou dont la pensée soutint leur constance dans la bataille, enfin à leurs camarades survivants qui continuent leur esprit, maintiennent ici leur souvenir et ne souffriront pas que soit annihilée leur victoire avec les promesses de bonheur qu'elle nous apportait."
Des applaudissements répétés saluèrent cette péroraison.
Le discours de M. Fauconnier.
M. Fauconnier, sous-préfet, prit la parole à son tour. Nous ne pouvons que résumer ici en quelques lignes son discours qui ne fut pas moins émouvant que ceux qui l'avaient précédé.
Il a remercié le comité de l'honneur qu'il lui avait fait en l'invitant à cette cérémonie et exprimé sa fierté de saluer ce monument aux morts du Boucau. Il a rappelé le magnifique élan de la nation entière pour la défense du sol sacré.
"A l'exemple de leurs ancêtres de la Révolution, ils ont répondu à l'appel de la Patrie en danger. Nous poursuivrons énergiquement la tâche qu'ils ont entreprise, à la lumière de la grande lueur qui les a éclairés et qui doit nous éclairer à notre tour. Nous ferons en sorte que ne soit pas mutilée la victoire qu'ils nous ont si bien gagnée !"
M. Fauconnier fut, lui aussi, l'objet d'une ovation, après quoi le cortège, drapeaux en tête, alla au cimetière saluer les tombes des héros.
Une contre-manifestation tentée à l'issue de l'inauguration par la municipalité communiste du Boucau, a avorté. Elle n'a pu troubler l'ordre de cette cérémonie profondément émouvante."
(Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France)
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