LA SALMONICULTURE DANS LES BASSES-PYRÉNÉES EN 1934 (troisième et dernière partie)
LA SALMONICULTURE DANS LES BASSES-PYRÉNÉES EN 1934.
La salmoniculture (l'élevage de la truite notamment) prend son essor à la fin du 19ème siècle grâce à deux pêcheurs, Rémy et Géhin, qui ont mis au point la reproduction artificielle des truites dans les Vosges.
PISCICULTURE UREPEL BASSE-NAVARRE D'ANTAN
Voici ce que rapporta à ce sujet M. Rocq, Président de la Fédération Basco-Béarnaise des Sociétés
de Pêche dans le Bulletin de la Société des Sciences, Lettres & Arts de Bayonne,
en juillet 1934 :
"... Après de nombreuses études, un premier problème vient d'être résolu pour le franchissement des barrages par le saumon : la certitude du maintien et du renforcement des frayères naturelles existantes.
La pisciculture d'Oloron est actuellement au point ; le seul problème en suspens est celui de la capture régulière des deux à trois cents femelles nécessaires chaque année pour produire les millions d'oeufs de saumon destinés au développement des pêcheries locales et au rétablissement des bancs de montées de saumon du bassin de la Garonne.
Cette capture doit s'effectuer régulièrement, malgré les brusques changements des conditions de la rivière, d'une semaine à l'autre, connue d'une saison à l'autre.
C'est bien là un véritable problème national, sans la moindre exagération.
L'estuaire de l'Adour produit dans les bonnes années 180 000 kilos de saumon valant plus de 4 000 000 de francs ; il devrait en produire régulièrement le double d'ici dix ans.
PECHE AU SAUMON PAYS BASQUE D'ANTAN
L'estuaire de la Gironde, en quinze ans, devrait arriver à la production actuelle de l'Adour.
Mais, outre cette pêcherie maritime, il faut tenir compte de la pêche fluviale qui atteint les bonnes années 1 500 saumons pour les Gaves et la Nive, attirant des centaines de pêcheurs dont nombre de touristes fortunés, et cela en dehors de la grande saison des vacances.
Des statistiques recueillies à l'Etranger par les Instituts du Saumon (elles manquent malheureusement encore en France) ont montré que l'on ne peut guère espérer plus de deux saumons de nouvelle montée par chaque reproducteur parvenue sur les frayères. Comme les femelles donnent environ mille oeufs par livre de leur poids, on conçoit l'effroyable destruction qui s'opère dans la nature.
Remarquons tout de suite que de nos premières études pour la Nive, il semble résulter que le rendement de nos rivières en tocans est très notablement supérieur aux moyennes des rivières septentrionales, ce qui est normal vu leur haut pouvoir nutritif. La perte de la ponte au stade alevin de deux mois doit être à peu près la même partout, mais chez nous un même nombre d'alevins de deux mois doit donner plus de tocans de descente (deux ans).
Le rapport entre le nombre des tocans de descente et celui des montées correspondantes d'adultes semble le même (5 %).
Il est indispensable de réglementer l'exploitation du saumon pour que la moitié des saumons de chaque montée soit réservée à leur rôle de reproducteurs.
Il faut aussi accroître le rendement de ces reproducteurs en prélevant sur eux une large quantité.
La pisciculture artificielle, d'après les experts anglais, canadiens et allemands, est de douze à dix-huit fois plus productive que la nature entre la ponte et le stade de l'alevin de trois mois. (Rapport des Pêcheries du Canada). Ce doit être général, car il ne s'agit là que de destructions indépendantes du pouvoir nutritif de la rivière. L'invasion des frayères par le barbeau est une nouvelle cause de destruction.
PÊCHE AU SAUMON CANADA
L'Administration des Eaux et Forêts doit donc être efficacement soutenue par la Fédération Pyrénéenne d'Economie Montagnarde pour la grande oeuvre qu'elle accomplit dans les Basses-Pyrénées. Les Sociétés de pisciculture doivent continuer à en être les auxiliaires dévouées.
Elevage familial.
Il reste enfin un dernier aspect de la pisciculture qui nécessite une mention particulière :
C'est le petit élevage de truite arc-en-ciel dans les fermes, métairies ou propriétés rurales pourvues d'une eau favorable (rivière ou ruisseau).
La grande pisciculture commerciale constitue une vaste industrie agricole exigeant plus que toute autre, capitaux, technicité et conditions locales spéciales. C'est aussi le cas des grandes fermes à poules ou canards.
Par contre, la truite arc-en-ciel doit, dans nos régions, figurer parmi les petits élevages familiaux toujours rémunérateurs.
TRUITE ARC-EN-CIEL
Les Sociétés de pisciculture et l'Administration des Eaux et Forêts fourniraient aux éleveurs de petits alevins de trois mois, de truite arc-en-ciel, gratuitement ou à faible prix (au prix de revient par exemple, soit environ 70 francs le mille).
Dans de petits bassins très simples, établis dans des bouts de prairies, en bordure de ruisseau — bassins affectant la forme de fossés de 8 à 10 m. de long sur 1 m 50 à 2 m. de large et 0 m. 80 à 1 m. de profondeur et bien ombragés — on produirait des truites nourries des débris d'origine animale (débris de fromage, intestins d'animaux, bêtes mortes, déchets de viande fraiche, farine de poisson, vairons, poissons blancs, vers, insectes, etc...).
La production doit, en treize mois d'élevage, tendre à la fourniture de truites de portion d'environ 110 grammes vendues facilement trois francs pièce aux hôtels durant les mois d'Août et Septembre.
Ces petits élevages n'entraînant presque aucune dépense peuvent, d'après le volume d'eau dont on dispose et la situation du terrain (chutes possibles accroissant le rendement), produire de 100 à 200 kilos de truites chaque année, avec deux séries de bassins : un petit pour les jeunes alevins de trois à cinq mois, un ou deux plus grands pour les sujets à vendre dans l'année.
Ils doivent donner pour les petits domaines des revenus annuels de 1 000 à 2 000 francs, plus même dans les cas les plus favorables, tous revenus qui ne sont point négligeables pour l'économie d'un ménage rural trop habitué à vivre de peu.
La production ainsi réalisée est aussi l'un des meilleurs remèdes contre le braconnage, car les hôteliers et restaurateurs préféreront toujours cette livraison assurée à celle souvent problématique de leurs fournisseurs actuels.
Un essai heureux a été réalisé dans les Basses-Pyrénées à Saint-Martin-d'Arrossa : nous croyons que d'autres l'ont été dans la Haute-Garonne, le Tarn et l'Ariège, principalement par des hôtels ; mais ces élevages familiaux de la truite arc-en-ciel doivent être généralisés pour le plus grand bien de l'économie rurale directe et de sa branche indirecte qu'est le tourisme.
Conclusion.
Telles sont les constatations fort encourageantes que dix années, d'étude et de pratique m'ont amené à formuler.
Un résultat indéniable a été obtenu.
La Nive est redevenue aussi riche en truites qu'avant la guerre, malgré l'accroissement inouï du nombre des pêcheurs et de la consommation locale. En Mai 1934, les prises de 4 à 5 kilos de truites sont journées normales de pêche ; la truite devenue très rare à Bidarray de 1923 à 1930, y abonde de nouveau. Enfin, fait plus typique, le poisson blanc a reculé de St-Jean-Pied-de-Port à Ossès, dévoré par la truite. Le repeuplement intensif joint à une surveillance active a restauré une de nos plus précieuses richesses rurales.
BULLETIN DE LA SOCIETE DES PÊCHEURS DE LA NIVE N16 1933
Pour le saumon, les méfaits de l'obstruction du barrage d'Halsou se feront sentir jusqu'en 1936 ; la progression est d'ailleurs forcément plus lente, une truite de 300 grammes ayant trois ans, alors qu'il faut normalement cinq ans à un saumon pour atteindre le poids de 9 à 10 kgs, qui est celui de la majeure partie de nos montées.
SAUMON AU BARRAGE D'HALSOU PAYS BASQUE D'ANTAN
Hélas ! comme toujours en agriculture, les résultats acquis ne se conservent que par un effort tenace, soutenu et onéreux. Que la surveillance se relâche une année et c'est l'anéantissement de dix ans d'efforts.
Espérons que la Société des Pêcheurs de la Nive pourra maintenir son effort de surveillance !
Je terminerai en rappelant toute la nécessité du reboisement. Sans les forêts, les eaux de montagne de bienfaisantes deviennent dévastatrices ; l'élévation de leur température moyenne due au déboisement les rend impropres à la salmoniculture et en fait des véhicules de bactéries dangereuses.
Je ne saurais clore ce rapport sans exprimer hautement ma reconnaissance à M. le Professeur Jammes, directeur de l'Institut de Pisciculture de l'Université de Toulouse, mon premier maître et mon fidèle ami, à son collaborateur, le Docteur Bouisset, à tous les Conservateurs et Inspecteurs des Eaux et Forêts avec lesquels j'ai cordialement collaboré depuis dix ans, à M. Pénic, successeur du regretté M. Séverac, Inspecteur divisionnaire des Services centraux de la Compagnie du Midi, si sympathique agent de liaison de toutes les bonnes volontés, à tous mes collègues dirigeants de nos Sociétés de pisciculture, aux gardes et pisciculteurs qui m'ont permis d'améliorer, de sauvegarder la rivière basque par excellence, la Nive, joyau d'une contrée admirable.
Que le culte de nos rivières pyrénéennes attache davantage nos montagnards à l'une des régions privilégiées de notre patrimoine national, et que l'on puisse joyeusement chanter de "nos pays, la paix et le bonheur !"
Annexe.
Nous signalons ci-dessous les prix qui peuvent servir de base à un programme de repeuplement :
— Une pisciculture, type Nive, moyenne, pour 55 000 oeufs, revient environ à 7 000 francs avec abri, bacs, filtres, canalisations, etc...
— Une station, type station Chambeau, avec bacs pour 400 000 oeufs, filtres, bacs de sous-sol pour reproducteurs, revient à 28 000 francs environ.
Ces prix sont évidemment sujets à des variations dues aux conditions d'établissement de la prise d'eau.
— Un bac, type Mitchell, pour 5 à 6 000 oeufs, coûte 140 francs.
— Un bidon métallique de déversement (forme rectangulaire), type Nive, avec boîte en bois pour la glace, coûte 80 francs."
Merci ami(e) lecteur (lectrice) de m'avoir suivi dans cet article.
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