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jeudi 6 février 2025

L'ÉNIGME BASQUE EN 1936 PAR FRANÇOIS DUHOURCAU (quatrième partie)

 

L'ÉNIGME BASQUE EN 1936 PAR FRANÇOIS DUHOURCAU.


François Duhourcau, né le 5 février 1883 à Angers (Maine) et mort le 3 mars 1951, à Bayonne (Basses-Pyrénées), est un romancier, essayiste et historien français, lauréat du Grand prix du roman de l'Académie française en 1925.




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FRANCOIS DUHOURCAU



Voici ce que rapporta à ce sujet le quotidien Le Mercure de France, le 1er mai 1936 :



"... Sachant que le Caucase a fourni à l'Europe nombre de plantes, d'arbres, de fruits et de métaux, je demandai à un notoire géographe humain s'il pourrait me fournir la liste de ces arbres, de ces fruits et de ces métaux dont le Caucase passe pour avoir muni l'Europe. J'étais déjà fixé pour la vigne, la châtaigne, la cerise et l'or que le monde caucasien et son prolongement sur la Mer Noire ont historiquement passés à l'Europe.



Et voici ce que M. Raoul Blanchard, géographe de l'Asie occidentale dans la géographie universelle de Vidal de la Blache (1929), m'a donné pour réponse :



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LIVRE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE
DE PAUL VIDAL DE LA BLACHE


Les arbres fruitiers sont partout sur cette côte de la Propontide qui passe pour la partie de la plupart d'entre eux. Le pommier, le poirier, le cerisier, le cognassier, le prunier, l'abricotier, s'ils ne sont pas autochtones, prennent en tout cas dans ces vallées un développement extraordinaire. Le noisetier y forme de vraies forêts ; le châtaignier, l'amandier leur disputent la place, ainsi que le noyer, le grenadier, le mûrier, le figuier qui y voisinent avec l'olivier. Une partie de leurs fruits forme le principal fret des navires se dirigeant sur Constantinople.



A quoi d'autres géographes comme Elisée Reclus, ajoutent la vigne et des hêtraies dont il n'y a les pareilles nulle part au monde. C'est aussi le pays merveilleux de Colchide, le pays de l'or, disaient les Grecs, où Jason et ses Argonautes étaient allés conquérir la fameuse Toison, selon le vieux mythe. M. Raoul Blanchard ajoute : "L'exploration de ces rivages a eu sur l'esprit grec une influence identique à celle que la découverte de l'Amérique a exercée sur l'esprit des modernes."



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TABLEAU PB RUBENS JASON ET LA TOISON D'OR



Muni de cette concordance du linguiste et du géographe, je tentai une dernière expérience, avec curiosité certes, mais sans émotion, assuré par pressentiment et prescience de ce qui devait ou allait arriver.



Je demandai donc à un Basque pur sang, possesseur plénier de sa langue, un vrai Eskualdun de me donner les vocables autochtones — et non ceux qui pourraient provenir d'un emprunt étranger — des plantes, fruits, métaux, etc... que signalait Meillet. Et l'autre concordance se dévoila, telle que je l'attendais.



Le pampre en euskarien se dit aihena, et avant que j'eusse à faire un effort d'adaptation, M. René Lafon, qui s'occupe des similitudes du basque et des langues caucasiques, démontrait en un article de la Revue des Etudes anciennes qu'il fallait voir dans l'aihena basque le vieux radical méditerranéen qui a donné naissance au ouinea latin, la vigne. Il précisait qu'il se retrouvait encore dans le mot géorgien correspondant. Et de même le mot garagar, orge, dans le géorgien gari, froment. Mais, dirais-je à ce savant linguiste, pourquoi aller chercher garagar orge, alors qu'il y a gara, froment, beaucoup plus convaincant encore ? M. René Lafon précisait aussi que le mot guinda, cerise aigre, se retrouvait dans le géorgien garida, nouvelle pousse. Mais il se retrouve mieux encore dans le latin guina, puis guindolum, guigne.



Quant aux vocables désignant la figue en grec et en latin, sykon et ficus. Meillet en cherche en vain la racine ; je lui propose le terme basque qui explique tout : phiku. Ce qui est à répondre précisément à l'hypothèse que forme Michel Bréal dans son Dictionnaire étymologique de la langue latine, quand il dit :

Sykon et ficus viennent probablement tous deux d'un seul et même terme appartenant à une autre famille de langues que le sanskrit.



Meillet d'ailleurs dit la même chose :

Il faut admettre qu'il y a un nom méditerranéen de la figue et que ce nom a passé par des voies diverses et sous des formes diverses à l'arménien, au grec et au latin.



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LINGUISTE ANTOINE MEILLET



Puis, généralement, il écrit :


En entrant dans la région méditerranéenne, les populations de langue indo-européenne y trouvaient des plantes inconnues, et notamment des plantes cultivées, d'usage ou d'ornement, dont ils ont accepté les noms... On peut se demander si l'intermédiaire étrusque est étranger aux emprunts que le latin a faits à des langues méditerranéennes et qui ne sont pas venus par le grec.



Quant au latin désignant le hêtre, en latin fagus (à côté du phégos grec), Askué dans son Dictionnaire de la langue basque se demande, comme pour ficus, si le mot basque phago lui est "antérieur ou postérieur". On peut lui répondre antérieur assurément, puisque les Romains arrivant chez les Basques avec Crassus, lieutenant de César, y trouvèrent des autels dédiés déjà au dieu hêtre, deo fago. Ce phago basque donne la racine des vocables grec et latin du hêtre que le sanskrit ne fournit pas, et pour cause, comme il en est de la vigne et de la figue inconnues des Indo-iraniens et fournies par les Caucasiens avec leurs noms appropriés.



Il arrive pour phago, phiku, etc... ce qu'il arrive pour lar que beaucoup font provenir du fameux lar des Romains. Mais ceux-ci, nous dit Littré, l'avaient pris aux Etrusques dont les chefs se nommaient lars. On le trouve en basque comme en étrusque, ce qui est naturel, avec ce même sens : etche-lar, maison-souche, maison-chef.



Pour la cerise et la châtaigne, la déduction est plus probante encore, puisque chacun sait par l'histoire, et Littré l'enregistre, que ces fruits viennent des colonies grecques de Kerasos (Cérasonte, aujourd'hui Keresoun et de Kastana, dans le Pont, au seuil du Caucase. Meillet s'étonne, semble-t-il, que les Latins, après avoir fait cerasum de Kérasos, lorsque Lucullus, ce gourmand militaire, rapporta la cerise à Rome de sa campagne contre Mithridate dans le Pont et le Caucase, aient fait ceresium, puis ceresea — dont les dialectes romans, en France et en Espagne, ont tiré leurs vocables. Cela n'a rien d'étrange, s'il est probable que les Grecs, arrivant au rivage caucasien de la Mer Noire, ont nommé Kérasos selon le basque gérèzi, cerise, qui devait être le nom indigène du lieu. Les Romains, ibères par le substrat étrusque, comme la France et l'Espagne par l'invasion basque, ont tiré sur le mot euskarien originel qu'ils avaient dans leur instinct linguistique, sinon dans leur mémoire.



De même pour la châtaigne, primitivement "noix de Castana", Meillet semble s'étonner que les Latins, après avoir fait castinea, puis castena, d'où les dialectes romans ont tiré à leur tour leurs vocables. Cela n'a rien d'étrange, s'il est probable que Kastana, du Pont, le mot transmis par les Grecs et les Latins, vient du mot indigène qui serait le basque gaztain, châtaigne.



Meillet déclare encore que le grec wrodon pour la rose, vard en arménien, ne rend pas compte du mot latin rosa avec son s étrangement apparu. peut-on lui offrir le basque arrosa pour l'expliquer ?



Meillet déclare encore qu'asinus, âne, bête méditerranéenne et non indo-iranienne, avec son s étrangement intercalé, demeure inexplicable. Peut-on lui offrir le basque asto pour l'expliquer ?



Meillet oriente vers un parler de l'Italie pré-indo-européenne et, pour tout dire, étruque, afin de rendre raison de ces étrangetés. Cela paraît vraisemblable. Etrusques, c'est-à-dire pères euskariens. Les Latins ont pu se fournir par eux de tous ces noms dont la filiation grecque ne s'impose pas. Et le Grecs, par les Egéens ou directement en Asie-Mineure, les ont prix aux Etrusques, aux Basques, aux Ibères, lors de leur migration par le nord de l'Asie-Mineure et à travers la mer Egée.



Meillet s'étonne de la forme aurum, or,  venant après la forme primitive ausum que l'on dérive généralement du sanskrit ush, qui signifie brûler, briller. Peut-on lui offrir le terme basque urre pour rendre raison de aurum ?



Enfin, on ignore la racine de stannum, l'étain, métal pratique et décisif par sa ductilité, qui à soi seul marque un âge nouveau de la civilisation humaine. Peut-on proposer pour origine le vieux terme basque menasta, métal ?



Je m'arrête à ces quelques rapprochements, désireux de donner seulement un aperçu de ce que les linguistes peuvent trouver en sachant l'euskara ou en le consultant, avec l'idée conductrice que les Basques, descendants des Ibères du Caucase, et venus jusqu'en Italie, Espagne et France, ont apporté avec eux, dans des mots personnels qui les expriment, des connaissances, végétales et minérales entre autres, différentes de celles des Indo-Iraniens. Ce que ceux-ci par le sanskrit ou le zend ne fournissent pas, on a grande chance de le trouver par la langue euskarienne. Cela achèverait de démontrer que l'hypothèse des modernes savants semble vraie, par sa justesse d'analyse et sa fécondité de synthèse, qui voit dans le Caucase l'originelle patrie du peuple ibère dont font partie les Basques et les Etrusques.



A ma connaissance, c'est notre Elisée Reclus qui, dans son volume l'Asie Russe (1881), sixième de la série La Terre et l'Homme, a amorcé tout ce mouvement d'études linguistiques que le russe Marr et les autres basquisants jusqu'à M. René Lafon ont porté à un si haut degré d'épanouissement.



La langue des Géorgiens, écrivait-il, que certains auteurs ont voulu rattacher à la souche indo-européenne et qui d'après d'autres savants appartiendrait au groupe des langues de l'Altaï, paraît, au contraire, devoir être considérée comme occupant une place à part : c'était déjà l'opinion de Klaproth, confirmée depuis lors par Zagarelli, le philologue géorgien qui d'est occupé avec le plus de soin de la grammaire de son idiome. De même que le basque en Europe, le géorgien serait en Asie le reste d'une langue parlée jadis sur une beaucoup plus vaste étendue et n'ayant aucun rapport de parenté avec les dialectes aryens, sémitiques, ouraliens.



M. de Morgan, après sa mission scientifique au Caucase, en 1889, confirmait, dans le sillage de Maspéro, cette vue sur les langues caucasiennes autochtones qui "représentent plutôt, disait-il, un état qu'une forme de langage. Il semble que ce fut le premier moule dans lequel le discours humain se plaça naturellement et spontanément : il est plus simple, plus rude, plus grossier et moins travaillé que les derniers développements du sémitisme et de l'aryanisme".



Les philologues basquisants ont depuis lors approfondi, complété, nuancé, mais surtout vérifié cette hypothèse."


A suivre...





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