L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE AU PAYS BASQUE EN 1833.
Après la loi Guizot du 28 juin 1833, une vaste enquête est lancée, dans toute la France, durant l'automne 1833, afin de connaître l'état de l'enseignement primaire.
Voici ce que rapporta à ce sujet M. Hourmat dans le Bulletin du Musée Basque N° 24 en 1964 :
"Etude.
L'Enseignement Primaire dans le Pays Basque d'après l'enquête de 1833.
... Traitement et rétributions n'assuraient en général qu'un revenu fort insuffisant. L'instituteur de village cherchait à l'améliorer par des emplois rémunérés, au premier rang desquels figurait celui de secrétaire de mairie. Dans l'arrondissement de Bayonne, un instituteur sur deux était secrétaire de mairie, et les 3/5 des communes basques avaient pour secrétaire de mairie, le maître d'école ; les revenus qu'il en retirait dépassaient parfois son traitement d'instituteur : à Mouguerre (120 F. pour 100 F.), à Arcangues (200 F., pas de traitement), à Cambo, (250 F. pour 200 F.), Souraïde (120 F., pas de traitement), Ayherre (100 F., pas de traitement), Bidart et Ahetze (200 F., pas de traitement)... Parfois le traitement en était doublé (à Bardos 200 F., Espelette 250 F., Louhossoa 100 F., Sare 300 F., chiffre exceptionnel). Dans les communes de faible population, le secrétariat de mairie restait d'un rapport non négligeable (100 F. à Biriatou, 50 F. à Bonloc).
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ECOLE DES FILLES BIDART PAYS BASQUE D'ANTAN |
Dans l'arrondissement de Mauléon, près de la moitié des maîtres d'école assuraient également le secrétariat de mairie, et près de la moitié des secrétaires de mairie étaient maîtres d'école (20). Quand l'enquête le précise, les sommes allouées sont peu élevées : 50 F. aux Aldudes, 48 F. à Irouléguy, 45 F. à Ainhice-Mongelos, 30 F. à Saint-Just, Roquiague, Bustince-Iriberry, Aincille, Çaro ; 24 F. à Espès, Oyhercq ; 20 F. à Undurein, Aroue, Aïcirits, enfin 6 F. à Alos ! commune de 220 h. Mais bien souvent, la commune versait à l'instituteur une somme "globale" pour ses fonctions de maître d'école, de secrétaire de mairie et de chantre.
Si l'on ne tient pas compte des différences que représentaient les fonctions de "chantre" et de "carrillonneur", les rapports d'inspection établiraient qu'un maître sur cinq remplissait ces fonctions dans l'arrondissement de Bayonne, et qu'un chantre sur quatre était maître d'école. Dans l'arrondissement de Mauléon, ces rapports seraient dans les deux cas de 1 à 4. Les nombreuses occupations qui en ce temps-là étaient celles d'un chantre, pouvaient gêner l'exercice consciencieux du métier d'instituteur ; mais elles lui permettaient d'augmenter ses revenus : de 90 F. à Urcuit, Lahonce, Jatxou, de 80 F. à Hendaye, de 50 F. à Espelette, de 100 F. à Urcuray (Hasparren), Méharin, Isturitz, Urrugne, Saint-Pée.
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ECOLE DE GARCONS URT PAYS BASQUE D'ANTAN |
Les pauvres instituteurs de l'arrondissement de Mauléon ne pouvaient davantage négliger un tel appoint, même dans le cas de paiement en nature : le maître d'école d'Idaux touchait 110 F. en grains comme "chantre et carrillonneur" et 135 F. de traitement d'instituteur ; celui de Licharre recevait "comme carrillonneur, une barrique de vin et 16 mesures de grains, d'une valeur de 70 F.", et celui de Musculdy "70 F. en grains comme carrillonneur et chantre". Plus favorisé, le maître d'école d'Ordiarp percevait "150 F. en grains, comme carrillonneur". Par contre, la pauvre commune de Lichans (230 h.) donnait "huit mesures de froment à l'instituteur pour qu'il sonne les cloches" ; il en était de même à Camou-Sihigue.
Ainsi dans les communes du Pays Basque, en 1833, l'instituteur communal remplissait bien souvent les fonctions de secrétaire de mairie, et moins souvent celles de chantre, carrillonneur. Dans les pauvres communes, ce "cumul" ne suffisait pas encore à lui assurer un revenu convenable. Exerçait-il d'autres métiers ? Rarement et très rarement, nous rapporte l'enquête. Duhart Martin, instituteur à Asme, était aussi "buraliste" et "chargé de délivrer les passavants" et "débitant de tabac", ce qui, pour Montlezun, paraissait être "assez compatible avec l'enseignement" ; à Arnéguy, l'instituteur "se chargeait des commissions au bureau de Douanes" ; il donnait des signatures tous les jours, ce qui l'occupait une demi-heure tous les jours. Salles Jean, instituteur à Garindein, était "arpenteur commis par le Tribunal", il exerçait le samedi "jour de congé ordinaire" ; à Saint-Jean-le-Vieux, Lapitzondo, maître d'école, "s'employait quelquefois à l'arpentage". L'artisanat rural offrait ici fort peu de ressources : l'instituteur de Libarrens, tissait avec ses parents, ainsi que Gelos, maître d'école à Bidarray qui "tissait le lin après l'école". Le seul exemple d'"instituteur homme d'affaires" était celui d'Uhart-Mixe : Elichery exerçait ces fonctions auprès du Baron d'Uhart (il manifesta l'intention de se consacrer uniquement au métier d'instituteur). D'autres occupations furent jugées, par Montlezun, "incompatibles avec les fonctions de l'enseignement" : Brust Pierre, "jouait quelquefois du violon pour faire danser la jeunesse de Saint-Etienne-de-Baïgorry" ; il a dû promettre à l'inspecteur "de renoncer à cet instrument peu moral et peu compatible avec le métier d'instituteur". La fonction de "mande", de "mande commun" n'était pas jugée avec plus de bienveillance par l'inspecteur : elle ne rapportait que 10 F. au maître d'école d'Aïcirits et Montlezun exigea d'Arrospidegaray, instituteur à Ainhice-Mongelos "qu'il la résignât... convenant peu au noble exercice de l'instituteur". Ainsi les exemples d'instituteurs de village exerçant d'autres professions que celles de secrétaire de mairie et de chantre, demeuraient très rares. Y ajouterions-nous ceux des maîtres d'école d'Ordiarp, Barcus, Ainharp, Etcharry, Sibas et Sunhar qui cultivaient "un petit domaine", "un petit bien", et celui de Chéraute (hameau de Gainco-harra), "fermier d'un moulin, qui faisait porter les charges par sa femme et ses enfants", que ces exemples ne concerneraient qu'une très petite minorité du corps des instituteurs primaires.
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PLACE D'AICIRITS PAYS BASQUE D'ANTAN |
La "position de fortune personnelle" n'était guère brillante pour la plupart des maîtres d'école : "nulle", "très modique", "médiocre" lisons-nous dans les rapports d'inspection. Cependant l'arrondissement de Bayonne offrait quelques rares exemples de fortunes "aisées" ou "assez aisées" : celles de l'instituteur d'Arbonne, de Guéthary (l'instituteur Darroqui était le maire de la commune), de Briscous, de Sare. Le maître d'école de Souraïde pouvait compter "sur une petite perspective de légitime" ; mais "les droits légitimaires à venir, du maître d'école d'Urcuit, consistaient en peu de chose". La médiocrité de fortune était encore plus générale parmi les instituteurs de l'arrondissement de Mauléon : la pauvreté y confinait parfois à l'indigence. Chango Irigoin, instituteur à Arhansus, sexagénaire, était "très pauvre" ; à Moncayolle, Oyhenard, âgé de 76 ans, avait reçu à titre de secours, 60 F. et 30 F., de l'Académie, en 1831 et 1832. Ces faibles "secours" ne pouvaient soulager que fort peu la tragique misère de l'instituteur de Chéraute (Ossain Ibar). De jeunes maîtres connaissaient le dénuement le plus complet : celui d'Espès était "indigent" comme l'étaient Durruty à Saint-Michel, Mandagaran à Alciette-Bascassans, Laxague à Ossas, et Mignaqui à Camou-Sihigue. L'enquête de 1833 permet de conclure à la pauvreté du plus grand nombre d'instituteurs de villages et au dramatique dénuement de certains maîtres d'école de Soule et de Basse-Navarre. A 79 ans, Espondabure Pierre, qui enseignait depuis 58 ans, était "le pauvre et triste instituteur de la triste et pauvre commune d'Ahaxe". A Lichans, Laxague, âgé de 68 ans, achevait sa triste carrière dans "une vieillesse infirme". Les parents des écoliers de Saint-Michel demandaient le remplacement du vieil instituteur, indigent et incapable : cet ancien officier de la République avait 67 ans. La plus misérable des vieillesses attendait trop souvent le maître d'école du village.
Cette pauvreté interdisait à l'instituteur d'améliorer son instruction : "il est si pauvre, écrivait Montlezun, de l'instituteur de Chéraute (Ossain Ibar) que je n'ose lui demander de se rendre à Mauléon s'instruire..." C'eût été cependant indispensable !
L'enquête de 1833 précisait la répartition des brevets de capacité de 2e et 3e degré. Dans l'arrondissement de Bayonne, 30 % des maîtres possédaient le brevet de 2e degré : ce pourcentage baissait à 23%, dans l'arrondissement de Mauléon et pour l'ensemble des communes du Pays Basque, à 25 %. Le niveau d'instruction des maîtres d'école était bien faible. Cependant la plupart des brevets du 2e degré appartenaient aux plus jeunes (moins de 30 ans), ce qui autorisait quelque espoir pour l'avenir, ces jeunes représentant à peu près le tiers de l'effectif total. En 1833, l'Ecole Normale de Pau en était à ses débuts : aucun instituteur du Pays Basque n'en était "sorti". Une exception : Larronde Jean, instituteur à Tardets, se disait "ancien élève de l'Ecole Normale de Paris". Mais, certains jeunes maîtres d'école se rendaient à Pau pour se perfectionner ou pour régulariser leur situation. A Juxue, le jeune Etcheberry "exerçait sans titre" ; l'inspecteur l'engagea à partir pour l'Ecole Normale de Pau. Un jeune instituteur a exercé quelque temps à Mendibieu puis il a rejoint l'Ecole de Pau, laissant la commune dépourvue d'école. Celui de Roquiague, bien que titulaire d'un brevet de 2e degré, "désirerait se perfectionner à Pau, s'il obtenait un secours de l'Université". D'autres jeunes instituteurs se rendaient à Bayonne "pour se perfectionner dans la méthode simultanée" : ainsi le jeune Etcheberry, de Saint-Just, "seul capable, dans le canton, de transmettre la bonne méthode à ses confrères". Les instituteurs du canton de Mauléon, écrivait Montlezun, "pouvaient puiser chez M. Landestoy, à Mauléon-Licharre, la méthode simultanée" mais celui-ci était parti se perfectionner à l'Ecole Normale de Pau ou au cours de M. Estrabeau. A Saint-Palais, le Directeur de l'école mutuelle, M. Castet, devait "apprendre à tous les maîtres du canton, à l'exception de deux ou trois, la méthode simultanée" et lui-même venait de rejoindre Bayonne pour se perfectionner à son tour sur cette méthode. Par contre, l'inspecteur avouait être fort embarrassé pour trouver dans le canton de Saint-Jean-Pied-de-Port, un instituteur capable de tenir "une école modèle" ; peut - être, Landerretche, maître de pension à Saint-Jean-Pied-de-Port, ferait-il l'affaire ? Enfin, à Tardets, les instituteurs s'initieraient à la méthode simultanée, chez le maître d'école Duhalde, qui obtenait d'excellents résultats.
ECOLES ET RUE PRINCIPALE BARCUS SOULE D'ANTAN |
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