LA PIÈCE DE THÉÂTRE "CHIQUITO" EN 1909.
Cette pièce de théâtre, en 4 actes, représente une scène de la vie basque.
A partir d'un livret d'Eugène Henri Cain et avec une musique de Jean Nouguès, cette pièce est représentée pour la première fois, à Paris, au Théâtre de l'Opéra-Comique, le 30 octobre 1909.
Voici ce que rapporta à ce sujet le quotidien Comoedia, le 31 octobre 1909, sous la plume d'Henry
Gauthier-Villars :
"Aimer ou haïr Chiquito ce n'est pas glorifier ou dénigrer un ouvrage de Jean Nouguès et Georges Cain, c'est admirer ou insulter une institution d'Etat. En soumettant leur œuvre à la discussion, les deux auteurs ont posé, sans le vouloir, la question préalable. Il ne s'agit pas de se demander si ces scènes de la vie basque contiennent de la psychologie, de la force dramatique et. de la littérature, il n'est pas question d'inventorier le contenu musical de cette partition, il faut simplement savoir si l'Opéra-Comique doit être ouvert ou fermé, si l'utilité d'un théâtre lyrique est démontrée ou si M. Carré doit être placé à la tête du Théâtre-Français après avoir clos pour toujours, les grilles de la Salle Favart.
Chiquito est, en effet, le spectacle musical le plus accompli qu'il soit possible d'imaginer, celui qui renferme toutes les qualités que peut souhaiter un directeur, un chanteur, un décorateur et un public. C'est le rajeunissement, d'après les formules les plus récentes, de l'ancien opéra-comique, c'est la présentation, réalisée avec une étonnante adresse, de tout ce que l'art lyrique offre de séductions aux contribuables de la troisième République.
Quel que soit votre secret instinct littéraire, vous ne sauriez nier la virtuosité et le tour de main de l'ami Georges Cain, champion du libretto. Les lignes inégales des poèmes qu'il présente aux compositeurs résument avec logique et clarté toute la passion, tout le pittoresque, toute la puissance théâtrale que peut fournir une anecdote convenablement choisie et méthodiquement traitée. Son dernier livret ne fait pas exception à la règle.
La jolie Pantchika aime le pelotari Chiquito, mais une mère impitoyable et un frère autoritaire lui ont choisi un époux plus fortuné. Ce frère, le brutal Eshkerra, emporté par la haine, vise à la tempe, au cours d'une partie de pelote, le pauvre soupirant et l'étend, mourant, à ses pieds. Réfugié chez sa mère, lionne toute prête à se jeter sur les ennemis de son "petit", le meurtrier est dénoncé par sa sœur indignée, et promptement écroué. Demeurée seule avec la malédiction maternelle, Pantchika n'a plus le courage de vivre. Elle se jette dans la mer (ou dans la Bidassoa), y contracte une bronchite mortelle, et vient expirer sur un petit lit blanc d'hôpital, chez les Sœurs du Rosaire, dans les bras du malheureux Chiquito qui vient de bénéficier d'une inutile résurrection.
LA MORT DE PANTCHIKA PIECE DE THEÂTRE CHIQUITO, LE JOUEUR DE PELOTE |
Inutile d'ajouter que ce bref fait-divers s'orne de tous les éléments lyriques en usage et de tous les hors-d'œuvre attendus. Il y a un chevrier sympathique, suivi de "vraies" chèvres, qui ouvre et ferme poétiquement les actes par une chanson mélancolique et vaguement prophétique, entendue au loin dans les coulisses pyrénéennes ; les filles du village dansent la aureskù et le fandango et les garçons trépignent l'arin-arin ; l'âme religieuse du pays basque est indiquée, d'une touche légère, par une sortie de messe avec bouffées d'orgue sortant du porche entr'ouvert et contrepointant les discours musicaux des buveurs attablés sur la place ; nous sommes favorisés du brave paysan biarrot, au cœur loyal, bourru bienfaisant, fécond en proverbes et en chansonnettes moralisatrices, prédestinées aux "bis", et les irrésistibles sollicitations lacrymales que constituent un infortuné grand-père paralytique assistant impuissant à l'effondrement de son foyer et la froideur mystique d'une chapelle d'hospice où agonise une amoureuse, n'ont eu garde d'être oubliées par Henri Cain qui, je le répète, sait son métier mieux que personne.
DRAMATURGE ET LIBRETTISTE EUGENE HENRI CAIN |
En vérité, voilà un excellent livret et tant que l'art lyrique n'aura pas été bouleversé de fond en comble par la bombe d'un génial nihiliste musical, il sera vain et illogique de "charrier" cette conception du théâtre qui, indéniablement, s'appuie sur le goût avoué du public et s'autorise de retentissants succès.
La partition échappe, elle aussi, à ces querelles d'école. Elle est ce qu'elle doit être, avec sincérité et franchise. Un confrère du compositeur — confrère peu suspect d'optimisme et de bienveillance native — vient de résumer ainsi son opinion sur Jean Nouguès : "Il connaît admirablement les planches. Sur ce terrain-là, bien que débutant, il est déjà passé maître. Il sait traiter vigoureusement une situation, ramener à propos un motif, déchaîner ou apaiser au bon moment les sonorités instrumentales. etc.". M. Bruneau dit vrai ; Nouguès sait tout cela et bien d'autres choses encore. Sans prendre parti dans l'ardente mêlée où nous voyons actuellement aux prises les musiciens contemporains, sans renier l'atavisme latin que lui impose un acte de naissance signé à Bordeaux, Jean Nouguès n'ignore rien des plus récentes conquêtes sonores. Il en use avec un tact qui lui conciliera la sympathie des "modérés" et avec une circonspection qui froissera les "socialistes unifiés" de l'appoggiature non résolue. Il sait qu'un auditoire parisien peut sans danger, en 1909, entendre certains néologismes, mais ce ne sont pour lui que des néologismes et il n'en abusera pas. Il possède cependant une science assez complète de l'argot moderniste dont on use aujourd'hui couramment dans la classe moyenne des compositeurs. Il attaque, sans préparation, par la neuvième, un ton éloigné, se balance complaisamment dans son prélude, de la tonalité de la bémol à celle de ré majeur, écrit l'accord parfait avec le choc "select" du sixième degré et du cinquième, parfume de violons-sourdine divisés les tendres silences du dialogue et sait ce qu'on peut attendre d'une pédale de cloche, de quelques tierces étouffées, ou d'un trémolo léger aux minutes de mortelle angoisse.
COMPOSITEUR D'OPERAS JEAN NOUGUES ATELIER NADAR VERS 1905 |
Notons également l'apparition d'un nouvel ingrédient lyrique de la plus charmante espèce. Après la mort de Mimi, la mort de Méiisande tend à faire école. Il est avéré qu'une mourante d'opéra-comique doit s'exprimer avec une harmonieuse puérilité, qu'en doit "ouvrir les fenêtres" et évoquer autour de son lit le symbolisme du soleil couchant et qu'on doit — avec violons-sourdine suraigus et larmes de harpes —, lui parler une langue spéciale, semée de "voyez-vous" de "si douçe, si jolie" et de "sois sage". Henri Cain et Nouguès ont attrapé cet effet merveilleusement : l'épisode de la fenêtre et les timides questions de l'oncle Vieuille, qui restera toujours un peu Arkel, réalisent une transposition savoureuse d'un tableau désormais classique.
Blasé, comme tous les post-wagnériens, sur les charmes du leit-motiv individuel et de ses combinaisons possibles, Nouguès adopte un procédé ingénieux et délicat pour donner l'unité nécessaire à son discours symphonique. Choisissant, dans l'inépuisable folk-lore basque, des thèmes populaires. ou simplement des fragments, des inflexions de thèmes populaires, il enveloppe certaines situations du retour intentionnel de ces atmosphères musicales. La chanson mineure du chevrier, mélancoliquement affectée par l'altération de son quatrième degré, prend l'importance d'un thème, grâce à ses rappels opportuns et ses transformations en valeurs diminuées à la "gaïtea" du chanteur. Ce sont des thèmes aussi, des thèmes discrètement conducteurs, les dessins mélodiques accompagnant les promesses nuptiales des deux fiancés, l'évocation des bois d'Olette et la brutalité d'Eshkerra ; ils ont des fonctions expressives nettement précisées dans le drame. Impossible d'éviter plus élégamment une mode surannée devenue trop difficile à porter.
Une orchestration très claire, peut-être un peu trop monochrome — que deviendriez-vous, mon cher Nouguès, si jamais éclatait une grève de harpistes et de violoncellistes? — soutient cette agréable série de paysages.
L'interprétation de Mme Marguerite Carré, Vieuille et Francell ne pouvait être que parfaite. La fraîcheur vocale de la Pantchika d'hier, la jeunesse vaillante de son pelotari et l'autorité bonhomme de l'oncle Etchemendy ont été un régal pour les amateurs de "compositions" nuancées. Silhouettes, psychologie des rôles, souci des détails, tout fut définitif. M. Jennotte dessine vigoureusement un farouche Eshkerra.
SOPRANO MARGUERITE CARRE COMOEDIA ILLUSTRE 20 MARS 1913 |
PHOTO FELIX VIEUILLE 1905 ATELIER NADAR |
PHOTO FERNAND FRANCELL ATELIER NADAR |
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