UNE CORRIDA À SAINT-SÉBASTIEN EN 1930.
Depuis de très nombreuses années, les corridas existent en Guipuscoa.
Voici ce que rapporta à ce sujet le quotidien Comoedia, le 16 septembre 1930 :
"Impressions Franco-Espagnoles.
Une "Corrida" à San Sébastian.
Le trajet n'est pas long. Biarritz est aux portes de son amicale et glorieuse rivale, celle que les Basques ont coutume d'appeler : la belle Easo.
On m'avait dit : "Consacrez à San Sebastian une de vos journées. Vous qui aimez les courses de taureaux vous assisterez là-bas à un spectacle inoubliable. Je sais bien que nous organisons en France des "corridas" fort intéressantes. Mais le Français, même connaisseur, se rend à la course comme à un spectacle. L'Espagnol, lui, est poussé, chaque dimanche, vers les arènes par un accès de foi identique à celui qui, régulièrement, le prosterne au pied de Notre-Dame du Pilar, cette Vierge célèbre que nos voisins vénèrent".
NOTRE-DAME DU PILAR ZARAGOZA |
Je partis donc à la "fiesta", la joie au cœur. Une Voisin superbe, agile et musclée comme une danseuse, dévorait les étapes. Nous longions l'Océan-Roi qui déchiquette à belles dents des kilomètres de côte et qui sculpte dans les flancs de ce sol riche des baies pittoresques et des refuges inattendus. Guéthary, Saint-Jean-de-Luz, Hendaye, Fontarabie, Pasajes, se tenant par la main, menaient la farandole et nous invitaient à leurs côtés en souriant.
Quel regret de ne pouvoir satisfaire aujourd'hui le désir charmant de ces jolies filles, brunes et blondes ! Mais il fallait pousser plus avant et atteindre, dès une heure, le terme de notre randonnée.
"Nous reviendrons vous voir, chères beautés et très, très vite, vous savez. A bientôt. Oui. A bientôt. So long..."
En ce dimanche de fête, San Sébastian nous attendait en grand apparat. Fière de sa beauté rayonnante, cette femme épanouie nous offrait avec élégance la vision de ses charmes innombrables. Les immeubles imposants des quartiers neufs et les longues avenues, peuplées de brasseries follement animées, brillaient et luisaient sous le soleil ardent comme les pierres blanches de Casablanca.
Nous étions indécis. Que faire avant le tardif déjeuner espagnol ? Un agent magnifique, dont la stature et le casque rappelaient la silhouette familière du "bobby" londonien, prit alors en pitié notre attitude, un brin ridicule. S'approchant de notre groupe, il nous conseilla aimablement de nous rendre à la Concha.
POLICIER ESPAGNOL VITORIA-GASTEIZ PAYS BASQUE D'ANTAN |
La Concha incurvée et gonflée de sable brûlant résonnait de mille bruits qui s'épousaient ou se contrariaient. L'Espagnol, qui parle haut et ferme, domine, en se jouant, la plainte invariable de la mer. Automatiquement, en frôlant ces groupes si vivants et étrangement sonores, nos yeux se posaient sur des dizaines et des dizaines de mains à la recherche d'invisibles castagnettes.
Installé confortablement à l'extrémité de la crique, le visage orienté vers la haute mer, trône et s'étend comme un pacha le palais Miramar. C'est là que la Cour d'Espagne réside chaque année pendant les dernières semaines de septembre. Miramar, abrégé de splendeurs et de pompes, théâtre intime de réceptions royales.
PALAIS ROYAL DU MIRAMAR ST-SEBASTIEN GUIPUSCOA PAYS BASQUE D'ANTAN |
Un brouhaha. Des clameurs et des vivats. Quelques réflexions aigres et des rires ironiques. Des landaus, traînés par des chevaux superbes, gravissent lentement, au pas de parade, le raidillon qui conduit aux nouvelles arènes. Les matadors et leurs cuadrillas, capés de soies éclatantes, les occupent tous. C'est le cortège triomphal avant le combat et la victoire. Tout à l'heure, peut-être, ces mêmes vedettes qui s'acheminent paisiblement vers la gloire, regagneront leur hôtel sous la protection de la police ou méditeront, une nuit durant, dans un cachot sur les brusques retours des choses d'ici-bas.
Beaucoup d'ordre à l'entrée. Seuls, les marchands de programmes et de coussins bariolés nous bousculent et s'invectivent en se disputant la clientèle. Quelques gosses morveux et dépenaillés, qui ont l'air de réciter à haute voix un interminable chapelet, mendient des sous.
Cinq heures. Paseo très réussi.
L'alguazil monté a la chance de catcher de sa main nerveuse la clé du toril. On applaudit avec frénésie. La superstition populaire veut voir dans ce geste adroit un heureux présage.
L'ALGUAZIL DEMANDE LA CLE DU TORIL SAINT-SEBASTIEN GUIPIUSCOA PAYS BASQUE D'ANTAN |
Le premier taureau, d'un beau noir lustré, part franchement. Je l'observe avec sympathie. Il n'a cas l'air méchant pour une peseta. Il paraît surtout stupéfait de se trouver brusquement en une telle compagnie bruyante et passionnée. Qui nous dira donc un jour à quoi peuvent bien penser les "toros" andalous ? Grincheux et obstiné comme un monsieur qui vient d'être dérangé par un fâcheux, il s'immobilise soudain au centre de l'arène. Après une entrée fougueuse, le voici qui se donne des allures de contemplatif.
Mais personne, ici, n'est d'humeur à tolérer cette attitude passive. Le public s'énerve et tempête. Le matador, chargé de le travailler et de l'estoquer, s'avance avec flegme et le provoque de sa cape. La bête noble et naïve à souhait, relève aussitôt l'injure. Elle bondit sur l'étoffe qu'elle n'effleurera même pas mais que son adversaire, maître de ses moindres mouvements, déploiera, à plusieurs reprises, comme un éventail mouvant. Véroniques, mariposas, traînées multicolores qui expirent régulièrement sous le mufle impuissant du taureau. L'assistance est conquise. Le jeu si divers et si gai de la cape, qui fit en un mois du pauvre Joselito l'homme le plus populaire et le plus aimé de toutes les Espagnes, porte infailliblement sur tous. Aristocrates et purotins, pouilleux et duchesses saluent d'un seul et même enthousiasme la magie du "toreo". Ces milliers de spectateurs, à l'affût d'une minute de beauté, se trouvent, soudain, unis les uns aux autres par un lien, d'une Qualité rare, que n'entraîneront jamais ni les paniques financières ni les bouleversements sociaux. Et voilà bien le miracle que nous devons à une bête innocente mais non pas inoffensive, à un jeu d'étoffes choisies avec goût et à une poignée d'hommes courageux et élégants.
MATADOR JOSELITO ALVAREZ |
Les six taureaux ont été immolés.
La course fut très bonne, ce qui devient de plus en plus rare. Le prestigieux Lalanda, qui porte un nom presque français, a été reconduit à son hôtel sur les épaules de ses admirateurs.
MATADOR MARCIAL LALANDA AOÛT 1930 |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire