LES ENFANTS BASQUES À LA PALLICE EN 1937.
Pendant la Guerre civile d'Espagne, des milliers d'enfants ont dû s'exiler et ont été accueillis dans de nombreux pays, dont la France.
Voici ce que rapporta à ce sujet l'hebdomadaire Regards, le 13 mai 1937, sous la plume de René
Méry :
"A La Palisse où 2 000 enfants débarquaient loin du cauchemar.
(par notre envoyé spécial René Méry)
Le tranquille courage des équipages de commerce anglais qui voici environ trois semaines forcèrent le blocus de la flotte insurgée et vinrent apporter des vivres aux non-combattants de Bilbao a enfin donné conscience au monde civilisé de ses devoirs et de ses droits.
Franco peut bien s'insurger, une fois de plus contre l'humaine et commune décision de Londres et de Paris d'arracher des enfants innocents aux horreurs des bombardements et de la famine, trouver des raisons faussement juridiques pour s'opposer à l'intervention des navires de guerre anglais et français chargés d'assurer la sécurité des convois de secours battant pavillon de la Croix-Rouge, la partie est moralement et matériellement perdue pour lui : Bilbao sera ravitaillé et évacué.
ARTICLE DANS REGARDS 13 MAI 1937 AU SECOURS DU PEUPLE BASQUE MEURTRI ! |
La fameuse flotte rebelle a, paraît-il, reçu l'ordre formel de s'opposer au passage des convois de ravitaillement et d'évacuation. Mais d'authentiques bateaux de guerre font bonne garde, et on peut croire que "l'Almirante Cervera", le "Belasco", et les quelques chalutiers armés qui constituent le plus clair de la flotte de Mola, s'en iront rechercher du côté de Santander, partout ailleurs que dans les eaux du Golfe de Biscaye, des exploits plus faciles.
CROISEUR RAPIDE ALMIRANTE CERVERA |
Le paquebot espagnol "Habana", le yacht "Izarra" ont déjà débarqué en France près de 4 000 réfugiés, dont 2 300 enfants isolés. L'élan est donné et rien ne saurait l'arrêter.
J'ai assisté à La Palisse au débarquement des petits réfugiés de Bilbao. Convoyé par les destroyers britanniques "Fortune" et "Royal Oak", le "Habana" naviguant de concert avec le yacht "Izarra" avait quitté jeudi matin à l'aube la baie de Portugalete. Vendredi matin, à 7 heures, il pénétrait en rade de La Palisse.
REGARDS 13 MAI 1937 A BORD DU HABANA |
La visite sanitaire terminée je monte à bord.
Le paquebot, qui peut normalement transporter 1 000 passagers, en transporte cette fois trois fois plus.
Dans les coursives, dans les salons, des dortoirs de fortune ont été aménagés et le sol est jonché de matelas et de couvertures.
Les infirmières basques, en uniforme blanc, procèdent d'abord à l'appel du premier groupe de 500 isolés, qui dans l'après-midi rejoindront dans l'île d'Oléron le centre d'accueil de la "Maison Heureuse de Boyardville".
LA MAISON HEUREUSE 17 BOYARDVILLE ÎLE D'OLERON |
Mon coeur se serre à la vue de ces visages creusés, de ces yeux brillants de fièvre. Mais le moral est bon. Des rires éclatent de toutes ports.
Au hasard, j'interroge un petit garçon de 7 ans à peine :
— Où sont tes parents, muchacho ?
— Restés à Bilbao, mais ils partiront par le prochain bateau.
— Content de venir en France ?
— Mille fois, monsieur, et dans sa joie le muchacho entremêle le rire et les larmes.
Je réussis à joindre le commandant Ricardo Fernandez, chef de bord.
— Parlez-moi du voyage. Commandant.
— "Grâce aux fidèles "chiens de garde" qui nous accompagnaient, voyage à peu près sans histoire. Les navires de guerre basques "Biscaya", "Le Viscar" nous escortèrent d'abord à la limite des eaux territoriales. Ensuite le "Fortune" et le "Royal Oak" nous prirent en charge. Heureusement, du reste.
HMS ROYAL OAK 1937 |
Car, à soixante milles à peine de Bilbao, désagréable surprise, señor, deux croiseurs insurgés, "l'Almirante Cervera" et le "Belasco" apparaissent et coupant notre route foncent à toute vapeur vers le "Habana" et "l'Izarra" avec lequel nous naviguons.
"L'Almirante Cervera" s'approche à moins d'un mille, et nous distinguons déjà sur le pont des équipes qui manœuvrent les canons.
Mais le "Fortune" manœuvre aussi les siens et "l'Almirante Cervera" n'insiste pas. On est prudent ou on ne l'est pas. Et bien vite, il disparaît vers l'Ouest."
HMS FORTUNE |
Je retourne dans les coursives. Les enfants isolés sont au nombre de 1 500, et leur âge varie de 3 à 15 ans. Cinq cents iront à Oléron, cinq cents à Audierne, le reste à Biarritz.
Une petite fille m'attrape timidement par le bras : "J'ai faim!"
L'infirmière du groupe, Carmen Surato, intervient maternellement :
— Patience, petite. Tu vas bientôt manger une bonne soupe, avoir autant de pain que tu voudras..."
Ici, c'est la France, petite !
Dans un couloir des deuxièmes classes, un spectacle émouvant m'arrête. Deux enfants provisoirement oubliés, sanglotent bruyamment de désespoir.
Un garçon de bord passe, se penche vers eux, essaie de les réconforter, les embrasse.
— "Pauvres niños! me dit-il, le frère et la sœur. Mais ceux-là n'ont plus rien. Ni foyer ni parents. Le père a été fusillé par les rebelles, la mère est morte au cours du bombardement de Durango.
A bord, ils sont trois cents orphelins. Les seuls que vous verrez pleurer aujourd'hui. Certains n'ont pas dormi pendant les deux nuits qu'ils passèrent à bord du "Habana". Ils ont réclamé sans cesse leur "mamita"...
Dans le hall de la gare maritime transformé en réfectoire, les cinq cents évacués d'Oléron font honneur au menu.
REGARDS 13 MAI 1937 |
Et blasé cependant sur certains spectacles, je ne peux retenir mon émotion à la vue de ces pauvres gosses affamés qui se jettent littéralement sur leur assiette, se dépêchent vite de manger, réclament une autre portion.
Aux plus petits, on sert du lait. Des semaines qu'ils en avaient été privés !..
L'affreux cauchemar est terminé. Sous le ciel paisible de la France, les innocents de Bilbao oublieront bien vite les jours et les nuits atroces d'une guerre inhumaine, le tintamarre des bombes, le sinistre crépitement des mitrailleuses de Junkers.
JUNKER JU 52 |
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