LA CONTREBANDE AU PAYS BASQUE EN 1929.
Je vous ai parlé à plusieurs reprises de douaniers et contrebandiers, des douaniers en 1931, voici aujourd'hui un article sur les contrebandiers en 1929.
CIDRE DE CONTREBANDE ASCAIN - AZKAINE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Paul Ginisty dans Le Journal des débats politiques et littéraires, dans son édition du 30 octobre
1929, en fit un article :
"La contrebande et les contrebandiers.
Quelques histoires.
... Ajoutons aux notes que nous avons données sur la contrebande pyrénéenne quelques histoires typiques.
Nous avons parlé de contrebandiers dangereux qui n'hésitent pas à engager la lutte contre les douaniers. Il en est aussi de belle humeur. Tel était ce Goyetche, de Sare, mort récemment, qui avait pour spécialité de faire passer clandestinement des chevaux de race bastanaise et galicienne. C'était un solide garçon, d'humeur cordiale. Il ne témoignait aux douaniers aucune antipathie ; il était même prêt à leur rendre de menus services, à la condition qu'il ne s'agît point d'indications. Sur ce point-là, il était parfaitement fermé, et il n'y avait pas à espérer de lui délier la langue. Plaisant, d'ailleurs, avec de la vivacité d'esprit, fertile en anecdotes, bon compagnon.
Il trinquait volontiers avec les douaniers qui avaient dû perdre l'illusion de pouvoir, en le grisant, le rendre expansif sur ce qui les intéressait. Goyetche avait la tête solide. Après force libations, il les quittait, sans embarras, en leur disant :
— Au revoir, Messieurs ; à présent, chacun à son ouvrage !
Et souvent, en effet, c'était aussitôt après s'être séparé d'eux qu'il allait "tenter un passage". Il était difficile de démêler toutes ses ruses. Parfois, sur un point de la montagne, on entendait des coups de feu.
— Cette fois, disait-on, les malices de Goyetche ont été déjouées : il a été aperçu et attaqué.
Les douaniers couraient à la rescousse de leurs camarades, qu'ils supposaient aux prises avec les hommes du contrebandier ; mais c'était une feinte. Pendant que les préposés étaient ainsi attirés d'un côté, Goyetche opérait du côté opposé.
Le lendemain, il simulait l'étonnement et demandait à ceux qu'il avait abusés quelle avait donc été la raison de ce tapage, durant la nuit. L'ingénieux Goyetche, hardi, rusé et "bon enfant", était une figure caractéristique du pays basque. Ce qui rend la répression difficile, c'est l'assurance des contrebandiers de trouver presque partout un refuge opportun.
Des douaniers de la capitainerie de Saint-Pée, au cours de leur service de nuit, s'avisèrent d'un passage de chevaux. Ils cherchèrent à suivre leurs conducteurs, mais ils furent distancés. Cependant, certains indices leur firent supposer que ces chevaux avaient été remisés dans l'écurie d'un vieux château, dit "de la Princesse Eugénie". La maison fut gardée à vue jusqu'au matin, où une visite domiciliaire fut décidée ; mais elle ne pouvait avoir lieu qu'en présence du maire de la commune dont dépendait le château. On perdit du temps à l'aller chercher. Il arriva cependant. Dans l'écurie, on ne trouva que deux chevaux. Il n'y aurait guère eu d'intérêt à faire traverser la frontière à ces bêtes hors d'âge. Où étaient passés les autres ? Il y avait de quasi-certitudes qu'ils eussent trouvé un abri au château, et on n'eût pu les faire partir sans éveiller l'attention des agents de garde...
C'eut été, toutefois, un échec si un des douaniers n'avait eu l'idée, qui semblait paradoxale, de visiter la maison : quelle apparence y avait-il, en effet, qu'on eût caché les chevaux dans les pièces d'habitation ?
On monta au premier étage, comme par acquit de conscience. Or, l'inspiration avait été bonne. Dans une chambre on trouva, étroitement tenus en laisse par les hommes qui les avaient amenés, les chevaux, ceux-ci animaux de prix, constituant une importante capture. De la paille avait été répandue sur les marches de l'escalier pour le leur faire gravir, mais cette paille avait été soigneusement enlevée. Les précautions semblaient sûres. Cette fois, pourtant, les douaniers avaient été plus avisés que les fraudeurs, fort décontenancés, mais qui ne purent pas ne pas éprouver quelque estime pour la perspicacité de leurs adversaires.
Pendant le jour, les douaniers effectuent des services de reconnaissance. Où des non-initiés passeraient sans rien remarquer, ils distinguent, à des signes presque imperceptibles, des empreintes qui leur permettent de suivre une piste, de découvrir l'abri où des marchandises ont été déposées. C'est ainsi que deux de ces agents acquirent la conviction que des bidons d'alcool avaient été apportés dans une ferme. Les formalités légales accomplies, on fouilla les granges, les étables, la maison sans résultat.
— Pourtant, disaient les douaniers, de l'alcool est caché ici, c'est certain.
Le fermier les observait narquoisement. Il faisait même mine de les aider dans leurs recherches. Mais sa contenance changea quand les investigateurs s'approchèrent d'un énorme tas de fumier. Il s'appliqua à les en détourner en leur offrant d'explorer une cabane à demi démolie. Les douaniers n'en revinrent pas moins au fumier, et, après l'avoir remué avec une fourche, ils découvrirent dix bidons, dont sept étaient remplis.
Quand l'alcool doit être transporté à un point éloigné, les fraudeurs — mais ceux ci sont d'une autre espèce — se servent de l'auto. Dans un pays de grand tourisme, comme l'est maintenant la côte basque, où les voitures sont nombreuses, il est difficile de discerner celles qui sont suspectes. Ces contrebandiers-là opèrent en grand. Un de leurs artifices est de faire d'abord passer une auto dont le conducteur semble éprouver quelque embarras, traduire quelque hésitation, attirant, par là, l'attention des hommes du poste de douane. Ils visitent minutieusement la voiture où il n'y a rien à trouver, mais cet automobiliste innocent, malgré son air craintif, est le complice d'un autre qui arrive peu après, plein d'assurance celui-ci. Il a tablé sur l'impossibilité d'un examen complet, coup sur coup, de toutes les voitures.
CONTREBANDIERS PAYS BASQUE D'ANTAN |
Quelques particularités, cependant, inspirent des soupçons. Par un jour de pluie battante, les douaniers voient passer une belle auto, paraissant se rendre vers un site renommé, mais que l'averse ne rend guère tentant dans ce moment. Du "point de vue", on ne considérerait que du brouillard. C'est une promenade qui paraît fort inopportune.
On guette la voiture au retour. On somme son conducteur de s'arrêter ; il accélère, au contraire, son allure, mais il va se heurter, plus loin, à un barrage de fortune. Il ralentit, mais c'est pour sauter lestement à terre, geste imité par l'occupant de la voiture, le soi-disant touriste. Les deux hommes sont agiles. On les poursuit : une chasse mouvementée. On finit par les arrêter. La voiture était toute chargée d'alcool.
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