LE SAUVETAGE DES ENFANTS BASQUES EN AOÛT 1938.
La guerre civile espagnole, du 17 juillet 1936 au 1er avril 1939, contraint plusieurs centaines de milliers de Républicains et de Basques à l'exil dans le monde entier.
Je vous ai parlé dans un article précédent de la cinquième publication de Pierre Dumas, au
sujet des Basques dans la guerre civile espagnole.
Voici ce que rapporta à ce sujet le quotidien La Petite Gironde, le 31 août 1938 :
"VI Sauver les Enfants !
Lorsque les bombes commencèrent à pleuvoir sur les villes et les villages d'Euskadi, le premier cri du peuple, le premier souci du gouvernement basque fut celui-ci : "Sauver les enfants !"
Dans cette préoccupation dominante se révéla bien la vigueur, la force de la race : se survivre. C'est que l’enfant, pour le Basque, n'est pas seulement ce qu'il est pour les pères et les mères de tous les pays : le sourire du foyer et la parure de la famille... Il est plus que cela, il est l’avenir de la patrie, sa raison d'être, la vie, ce qui, dans le désastre général, doit être sauvé.
Aussi a-t-on été surpris, en France, de voir arriver sans leur mère, des centaines, des milliers de gosses. C'est que, volontairement, les parents, faisant passer le salut de la race avant le leur propre, ont confié leurs enfants à ceux dont ils savaient qu'ils les sauveraient pour qu'ils reviennent un jour repeupler le pays des ancêtres, la terre sacrée.
Ils sont 25 000, les enfants basques de moins de 16 ans évacués d'Espagne. 13 000 sont dans les familles, 2 000 sont dans des refuges en France... Puis, 3 500 en Belgique, 2 000 en Angleterre, 1 375 en Russie, et d'autres en Danemark, en Suisse, en Scandinavie, etc.
Mais ces enfants, où qu'ils soient, demeurent sous l'autorité du gouvernement d'Euskadi exilé. Ils ne sont pas mêlés à des milieux où ils "désapprendraient" la langue, les coutumes, les traditions du pays.
Il m'a été donné de visiter quelques-unes de ces colonies — véritables "morceaux" de la patrie transplantés en exil.
Voici, d'abord, l'œuvre admirable qui vit — par quel miracle ! — aux portes de Bordeaux, à Cadaujac, créée par l'Association catholique d'accueil. Cent enfants, quarante vieillards, quelques ménages valides... au total deux cents bouches à nourrir. Dans un cadre de paix, au bord de la Garonne, ce village basque, concentré dans une grande maison, essaie d'oublier. Oublier ?... Mais comment, dites-moi ? Je croise un industriel, important fabricant de meubles — aujourd'hui sans un sou. Il avait fait partir sa femme, tandis que, retraitant de Bilbao à Santander, il ne l'était embarqué qu'avec les derniers soldats. Il venait donc en France, espérant retrouver son foyer. Or, la fatalité voulut que son épouse, sans nouvelle de son mari, résolût de rentrer, coûte que coûte, dans son pays. Les deux malheureux — sans le savoir — se croisèrent en mer.
Voulez-vous des drames ?
Ils abondent. Deux petites filles, 4 et 7 ans, sont embarquées... elles se perdent. Quelques mois après, on essaie de ressouder la famille. On apprend que la petite fille de Cadaujac a sa soeur en Savoie, sa mère à Bilbao, son père sur un champ de bataille de Barcelone.
Oublier ?... Allons donc. Après un an de séjour en France, quand un avion passe au-dessus de la paisible campagne girondine, les plus petits fuient encore et se cachent... et quand, à Saint-Médard, on fait des essais de poudres, il en est qui tremblent nerveusement... à ne plus s'arrêter.
Pendant ma visite, on hisse le pavois basque. Chaque dimanche, dans ce village bordelais, flotte le drapeau d'Euskadi, rappelant à ceux qui vivent là les temps heureux, les joies, la liberté de leurs villages perdus.
De Cadaujac, oeuvre française d'aide aux Basques, passons maintenant aux Basses-Pyrénées, pour voir l'émouvante charité d’un Basque américain-français qui a recueilli et adopté, dans une propriété de Itxassou, une soixantaine d'enfants.
C'est un modèle... et je voudrais que nos organisations de colonies de vacances viennent voir comment, ici, des Basques ont fait, entre les quatre murs d'une écurie et d'une grange, un charment asile pour exilés. Oh ! l'admirable ingéniosité des femmes d'Euskadi.
Rien n'est négligé, tant pour l'éducation et l'instruction que pour la formation professionnelle. Dans la cave d'une maison voisine, on a installé un rudimentaire atelier d’héliogravure, de photo et d'imprimerie typographique, tandis que les filles apprennent le dessin et la couture.
Ainsi vivent, à Itxassou, quelques douzaines de petits Basques que trois "mères" couvent inlassablement et qu'un père fortuné, M. Manuel Intxausti, nourrit, habille, chérit comme s'ils étaient ses propres enfants. (La générosité de ce peuple n'est pas un vain mot.)
Enfin, nous voici, en plein coeur du Pays Basque français, à Saint-Jean-Pied-de-Port, où le gouvernement d'Euskadi a installé le plus important groupement d'enfants exilés.
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Oh ! si vous passez dans la ville, vous ne vous douterez guère de la présence de 600 mioches turbulents. Mais, sous les chênes ombreux, montez donc à la citadelle.
CITADELLE DE ST JEAN PIED DE PORT - DONIBANE GARAZI 1937COLL TXOMIN HIRIART-URRUTYPAYS BASQUE D'ANTAN
CITADELLE DE ST JEAN PIED DE PORT - DONIBANE GARAZI 1937
COLL TXOMIN HIRIART-URRUTY
PAYS BASQUE D'ANTAN
L'aspect en est délabré, morne, triste... Mais entre les murailles jaunâtres, quelle exubérance, quelle vie ! Des cris, des jeux, des poursuites. La jeunesse déferle dans cette caverne déclassée aux portes de laquelle les nouveaux occupants ont respecté les inscriptions : "Bâtiment A", "Magasin B", etc. Tout le passé est chassé par le turbulent présent. Plus que partout ailleurs, Euskadi vit, pauvrement, mais dignement et intensément. Treize classes sont organisées pour l'instruction, puis des réfectoires, des ateliers, des dortoirs. Partout, sur les tables, dans les angles, des fleurs, des profusions de fleurs des champs. A la tête de chaque lit, revit le poème lamentable de la fuite : petites ou grandes valises, manteaux modernes ou préhistoriques, fourrures ridicules... et puis, piquées au mur blanc, une image pieuse, une photo qui constituent toute la fortune de beaucoup de ces gosses et qui demeureront, pour eux, toute leur vie durant, le seul souvenir d'un père tombé les armes à la main ou fusillé.
CITADELLE DE ST JEAN PIED DE PORT - DONIBANE GARAZI 1937 COLL TXOMIN HIRIART-URRUTY PAYS BASQUE D'ANTAN |
Spontanément, on a organisé pour moi une "représentation". Elle s'est déroulée moitié dan la cour, moitié dans une salle aménagée en théâtre. Près de moi, l'aumônier m'explique le déroulement du spectacle : "Ceci, me dit-il, est le chant de la patrie douloureuse : Vous étiez heureuse, ô ma patrie, quand vous étiez libre. Mais, maintenant, vous n'êtes plus libre et, en exil, je pleure avec vous...
Vous voyez, me dit-on, que notre Euskadi est habituée à l'exil et à l'oppression puisque cette chanson, qu'on dirait écrite d'aujourd'hui, date de plusieurs siècles."
Enfin, après un goûter (sandwiches bourrés d'anchois, de piments et de mayonnaise), on voulut m'amener à la chapelle.
Un escalier trapu, un escalier de caserne, y donne accès. Chapelle ?... si l'on veut ! Mais quelle simplicité grandiose ! Les fenêtres de cette ancienne chambrée s'ouvrent sur les arbres des remparts. Les oiseaux, à pleins gosiers, roulent des trilles sans fin. Dans la pièce, des bancs de bois, un autel de bois, quelques statues.
CHAPELLE CITADELLE DE ST JEAN PIED DE PORT - DONIBANE GARAZI 1937 COLL TXOMIN HIRIART-URRUTY PAYS BASQUE D'ANTAN |
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