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mercredi 29 juin 2022

LOUIS LÉGASSE DE BASSUSSARRY EN LABOURD AU PAYS BASQUE ET LES PÊCHEURS DE MORUE À SAINT-PIERRE-ET-MIQUELON EN 1904

LOUIS LÉGASSE ET SAINT-PIERRE-ET-MIQUELON EN 1904.


Louis Légasse, né à Bassussarry en 1870 et mort à Paris en mars 1939, est armateur et propriétaire d'une trentaine de morutiers à Saint-Pierre-et-Miquelon, Fécamp et Passages (Guipuscoa), et le fondateur la Compagnie générale de Grande Pêche - La Morue Française.




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SAINT-PIERRE-ET-MIQUELON 1904




Voici ce que rapporta à ce sujet le journal L'Action, le 28 décembre 1904, sous la plume de 

Châteauneuf :



"Les prolétaires de la mer. La faillite d'une colonie.

Les pêcheurs de morue à Saint-Pierre et Miquelon.

Une lettre de M. Légasse à M. Doumergue. — Justes plaintes. - Interview de M Légasse. — La situation sociale des pêcheurs— Les fatalités des deux derniers hivers. - Campagnes de pêche désastreuses. — Le Gouvernement doit intervenir. — Solidarité nécessaire.



Dans le volumineux courrier quotidien qui apporte à l'Action, tous les matins, les revendications du prolétariat, nous avons trouvé, le jour de Noël, la touchante lettre ci-dessous :



Paris, le 23 décembre 1901. Louis Légasse, délégué des Îles Saint-Pierre et Miquelon, au Conseil supérieur des Colonies. 

A Monsieur le ministre des Colonies, Paris. 



Monsieur le Ministre, 



Le courrier de Saint-Pierre et Miquelon, que je viens de recevoir par le paquebot La Lorraine, me confirme les désolantes nouvelles dont j'ai déjà eu l'honneur et le devoir de vous entretenir.


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PAQUEBOT TRANSATLANTIQUE LA LORRAINE 1900



La population de notre colonie de l'Amérique du Nord est plongée dans la plus cruelle détresse, à la suite des années stériles de pêche de 1903-1904.



Ces rudes marins qui gardent la tradition de l'énergie de notre race là-bas, sur une côte inhospitalière, sur ce dernier vestige de notre riche domaine Nord-Américain, sont, déjà depuis quelque temps, dépourvus des choses les plus nécessaires à l'existence, dans un des pays les plus froids du monde : de pain et de charbon.



Or, vous savez, Monsieur le ministre, que la période la plus rude, la plus glaciale est celle de "Janvier à Mars". Les deux derniers hivers, que j'y ai passés (1901-1902 et 1902-1903) ont été particulièrement rigoureux : le thermomètre a accusé, à plusieurs reprises, plus de 30° au-dessous de zéro. L'hiver 1903-1904 est tout aussi rigoureux que les deux précédents.



J'ai l'honneur de faire appel, Monsieur le Ministre, à votre esprit de bienveillante pitié pour que vous demandiez au gouvernement de venir en aide à cette population si digne d’intérêt. Ces marins, ces ouvriers, ces travailleurs de la mer, après avoir lutté avec l'énergie qui leur est coutumière pour subvenir aux besoins immédiats de leur pauvre existence, sont vaincus aujourd'hui et à bout de ressources. La mer, marâtre, moins généreuse que la terre qui récompense ceux qui ont la constance de lui demander le pain quotidien, leur a refusé obstinément, pendant deux années de suite, une parcelle des richesses qu'elle roule dans ses flots et sans laquelle ils ne peuvent vivre. Ce n'est pas leur faute, et ce n'est pas leur faute, non plus, d’avoir lutté courageusement, comme ils savent le faire, qu'ils en sont réduits à la dernière extrémité.



Permettez-moi donc, Monsieur le ministre, de compter sur votre haute et particulière bienveillance pour que, dans un délai aussi rapproché que possible, des secours effectifs soient envoyés à ces braves gens, nombreux, qui défaillent, là-bas, de froid et de faim ; la colonie pauvre elle-même, étant hors d'état de leur venir en aide.



Avec mes plus vifs remerciements, je vous prie d'agréer, Monsieur le Ministre, l'expression de mon respectueux dévouement.

Louis Légasse.




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ARMATEUR LOUIS LEGASSE



Interview de M. Légasse.



Dès le reçu de celte lettre, nous avons tenu à interviewer nous-même le délégué des îles Saint-Pierre-et-Miquelon, M. Légasse, qui est venu spécialement à Paris pour défendre les intérêts de ses élus, et obtenir les réformes nécessaires à l’organisation sérieusement démocratique de la pêche française dans les eaux de l’Amérique du Nord, ainsi qu'à l’administration de cet archipel, laquelle laissait beaucoup à désirer.



M. Légasse est âgé de trente-quatre ans. Nul mieux que lui n’était désigné pour prendre en mains la cause prolétarienne. Il est, en effet, lui-même fils et petit-fils de pêcheurs, arrière-petit-fils de marins, et, par les deuils de toute sa famille aussi bien que par le labeur de toute une vie, il est passionnément attaché à la cause des pêcheurs de Terre-Neuve. Son père, qui commandait la goélette la Jeune-Française, a péri en mer, à la tête de son équipage, sur les bancs de Terre-Neuve. Devenu lui-même armateur, et aimé de tous les matelots et ouvriers de Saint-Pierre-et-Miquelon, M. Louis Légasse vient d'être réélu, pour la troisième fois, délégué au Conseil supérieur des colonies par la population maritime et ouvrière de Terre-Neuve.



Voici ce que nous a déclaré M. Légasse :


Le prolétariat maritime.

"La lettre que je viens décrire à M. Doumergue est motivée amplement par ce fait que, depuis deux ans, les intempéries de l'hiver nord-américain ont dépassé tout ce que les pêcheurs avaient connu depuis de nombreuses années.


Le froid, qui est en moyenne de—10 degrés, est descendu jusqu'à — 35° en 1902 et en 1903. Il ne diminuera certainement pas cette année, si nous en jugeons par le douloureux courrier que je viens de recevoir.


Or, le froid est, pour nos compatriotes de Terre-Neuve, l'ennemi plus redoutable que l’Anglais ! L’hiver commence en octobre, à Saint-Pierre, el ne finit qu’en avril.


Si, du moins, la pêche était bonne, il y aurait du foin et du charbon dans les familles si nombreuses de nos braves pêcheurs, et l'on pourrait "parer au grain".



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PÊCHE A LA MORUE
SAINT-PIERRE-ET-MIQUELON DECEMBRE 1903



Mauvaises pêches.


Hélas ! la pêche est quasi nulle depuis deux années.


A peine si le petit pêcheur-côtier, embarqué sur son wary, a pu arracher à la mer, dans toute sa saison, quelques quintaux de morue (de quinze à vingt en moyenne).


Or, que vaut le quintal ? La morue sèche des "petits pêcheurs" a été vendue en moyenne 28 fr. 50 le quintal de 50 kilos. Cela fait, pour une campagne de pêche : 28 fr. 50 X 20 = 570 fr.


Concevez-vous cela ? Cinq-cent-soixante-dix francs, pour douze mois et pour deux chefs de famille ! Sans compter les frais d'armement du wary, etc., etc.


C’est la misère la plus noire pour le travail le plus ingrat. 



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APRES UNE TEMPÊTE DE NEIGE
SAINT-PIERRE-DE-MIQUELON 1904



La vie des "petits pêcheurs".


En effet, vous, hommes des villes, représentez-vous, dans un pays sombre et sombre et glacé, des  Français comme vous, se levant toutes les nuits à trois heures avant l'aube, gagnant le large parmi les brouillards et la grosse mer, avec un morceau de pain noir et de beurre, un peu de tord-boyau ou de bière dans leur touque de grès pour ... ne rien pêcher jusqu'à deux heures après-midi en risquant continuellement leur vie et leur santé.


Voyez ces hommes, exténués de faim luttant pour leur vie et celle de leurs enfants qui les attendent dans leurs maisons ou cabanes de bois, espérant toujours une "bonne marée », et ne rapportant rien ou presque rien au logis !



Pas de "boëtte" ! 


A quoi donc attribuer l’insuccès des pauvres pêcheurs ?


L'an dernier, déjà, l'Action a signalé la détresse des sardiniers de Douarnenez et de toute la côte bretonne !


La cause est toujours la même, ici et là. C'est l’absence de l'appât qui cause l'absence de la récolte.


La "boëtte" manque. 


Qu’est-ce que la "boëtte ?"


 Vous le savez, la "boëtte" est l'appât dont se servent les pêcheurs pour attirer la morue au bout de leurs hameçons.


Cet appât se compose : 

1° du hareng au printemps (avril-mai) ;

2° Du caplan de mai à juin ;

3° de l'encornet (boëtte préférée par la morue) de juin à novembre.

4° Du bulot ou bigorneau, coquillage pêché sur les lieux mêmes ; 

5° du lançon et de la moule, abondante à Miquelon, mais utilisable seulement par le pêcheur-côtier.


Or, l'absence de la "boëtte" a plusieurs causes très différentes, les unes diplomatiques, les autres climatériques.



Le "bait-bill". 


Le gouvernement anglais de Terre-Neuve, avait fait une loi d’exception contre les pêcheurs français dont il craignait la concurrence. Il empêchait ainsi l'achat du hareng et du caplan nécessaires à la "boëtte".


Le nouveau traité franco-anglais ne nous a pas avantagés à ce point de vue. Au contraire !


Cédant nos droits sur le French Shore, nous n'avons pas su obtenir le retrait du bait-bill.


C'est une faute, et une grosse faute.


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BAIE DU FRENCH-SHORE
TERRE-NEUVE 1907



Le climat.


Restait l'encornet et le bigorneau


Le bigorneau, coquillage connu de tous les amis de nos côtes, a diminué parce qu'on l'exploite sur une trop grande échelle.


Quant à l’encornet, cette espèce de poulpe, préféré par la morue, se plaisait dans les eaux non glacées qui contournaient l'archipel et les bancs terre-neuvas. Depuis deux ans principalement, les hivers excessivement vigoureux semblent avoir congelé le Gulf-Stream lui-même.


Je ne vous en donnerai qu'une preuve, accessible à tous :


L’hiver dernier, notre vapeur postal, le Pro Patria, commandant Lafourcade, spécialement éperonné pour naviguer dans les glaces, y est resté 17 jours au lieu de 60 heures, durée normale des traversées, emprisonné qu’il gisait dans les glaces !


Le résultat, c'est que l'encornet ayant disparu, toute boëtte fait défaut, et. partant, plus de pêche de morue possible.


C’est la ruine des pêcheurs et la faillite de la colonie. 



Le péril de l’armement.


— Mais alors, demandons-nous à M. Légasse, ce ne sont pas seulement nos amis les "petits pêcheurs", ce sont aussi les armateurs qui sont atteints ?


— Certes ! L’armement à la grande pêche traverse une crise épouvantable. Les ruines commerciales s’accumulent. Il est temps d'aviser.



Les frigorifiques.


— Que comptez-vous donc faire ? 


— Puisque l'accord franco-anglais exclut le retrait du bail-bill, il n'y a plus qu'une façon de se procurer la "boëtte".


C'est l'établissement d’appareils frigorifiques conservateurs de la "boëtte", qui peut seule sauver la situation.


En effet, les frigorifiques pourraient conserver le hareng pêché dans la Manche et la mer du Nord, offrir ainsi un débouché aux campagnes fructueuses de la Normandie et du Pas-de-Calais et servir à tous les armements métropolitains de Fécamp, Dieppe, Granville, Saint-Malo, Cancale, Bayonne, etc. 


Les frigorifiques pourraient encore être utilisés à Saint-Pierre-et-Miquelon, où la boëtte, venue du French Shore des îles la Madeleine, et de Sydney (Cap-Breton) ou pêchée par nous-mêmes dans les eaux internationales de la côte Sud. serait conservée dans des appareils spéciaux à la disposition de tous les pêcheurs.



Concours nécessaire de la République


Mais ici, les difficultés financières apparaissent. Le concours du Gouvernement de la République nous devient indispensable, et d'ailleurs il nous est promis. L'armement de la Grande Pêche n'a plus, comme je viens de vous l'expliquer, les ressources suffisantes pour faire face aux dépenses inévitables.



Secours immédiats au prolétariat


Mais tout cela est de l'avenir... Pour le présent, le prolétariat maritime n’a ni pain ni charbon.


Saint-Pierre est couvert de glace. Il faut aviser d'urgence. Le Gouvernement de M. Combes, si dévoué au peuple, ne peut pas refuser d'intervenir... 



homme politique france president conseil ministres
COMBES EMILE
PRESIDENT CONSEIL MINISTRES
DE JUIN 1902 A JANVIER 1905 


Ma lettre, déclare M. Légasse, a précisément pour but d’obtenir l’aide du Gouvernement après un vote du Parlement.


Il y a le précédent des pêcheurs de Douarnenez qui. l'an dernier, ont obtenu les secours nécessaires. 


Au tour de Terre-Neuve, maintenant ! 


Il y a là des pêcheurs bretons, basques, normands, tous fils du prolétariat français, qui attendent de la République Sociale le concours auquel leur labeur acharné et leur dévouement républicain leur donnent droit.


Cinq cent mille francs au moins sont indispensables pour atténuer les effroyables effets d'une fatalité supérieure aux efforts humains.


Ces cinq cent mille francs, qui seront mis à la disposition du gouverneur de Saint-Pierre, seront, par ses soins, équitablement répartis, soit en nature, soit en espèces, entre tous les marins et tous les ouvriers prolétaires de l’archipel, qui m'ont délégué au Conseil supérieur des Colonies.


Je serai là pour m’assurer que l’œuvre aura été menée à bien dans l’intérêt de tous, et j’espère qu’avec le concours de tous les républicains du Parlement et de la Presse, j'obtiendrai pleine et entière satisfaction.



Conclusion.


En nous quittant, M. Louis Légasse nous remet un exemplaire de son ouvrage sur la Situation et l'Avenir économiques des îles Saint-Pierre et Miquelon, où se trouvent développées toutes les réformes que nous venons simplement d’esquisser aujourd'hui.


L'Action, qui s’est déjà, l'an dernier, préoccupée avec succès de la misère des pêcheurs de sardines dans la baie de Douarnenez aura incessamment l'occasion de revenir sur cette dramatique situation de Terre-Neuve, et fera tout pour obtenir les sanctions nécessaires."




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