LE CHÂTEAU D'ELIÇABIA À TROIS-VILLES.
Cela fait plusieurs mois que je vous présente divers châteaux du Pays Basque.
Aujourd'hui, c'est celui de Trois-Villes, en Soule.
Je vous ai déjà présenté les châteaux suivants : Urtubie (Urrugne), Arcangues, Maytie (Mauléon),
Bidache, Haïtze (Ustaritz), Beraün (Saint-Jean-de-Luz), Artigaux (Moncayolle), Lacarre,
Irumberry (Saint-Jean-le-Vieux), Ahetzia (Ordiarp), Ruthie (Aussurucq), Cheraute, Ahaxe,
Charritte et Menditte.
Voici ce que rapporta au sujet du château Eliçabia, à Trois-Villes, J. Nogaret, dans le Bulletin du
Musée Basque N°8 de 1934 :
"... Le pays était dans l'impossibilité de s'acquitter de cette dette et les esprits étaient très surexcités moins contre M. de Trois-villes qu'à l'égard des Etats. Aussi, les habitants étaient prêts à se soulever à la première occasion.
Elle leur fut fournie par un prêtre, Bernard Goyhénéche, curé de Moncayolle, petite localité au Nord de Mauléon et connu sous le surnom de Matalas. Cet homme eut assez d'ascendant sur les populations pour provoquer une véritable insurrection. Au mois de juin 1661, il descendit dans la plaine à la tête de six ou sept cents hommes armés qui se livrèrent aux pires désordres. Ils démolirent une maison à Chéraute parce qu'on y faisait le prêche ; à Montory, ils rasèrent le temple et obligèrent les protestants à aller en procession avec des cierges allumés entendre la messe ; ils contraignirent les officiers de la cour de Licharre à faire cause commune avec eux et enfin se dirigèrent vers Ainharp dont iles incendièrent le prieuré.
A la nouvelle de ces événements, Mgr. de Maytie, évêque d'Oloron, dont le diocèse s'étendait sur la Soule s'empressa d'accourir pour ramener son étrange prêtre à une notion plus exacte de ses devoirs. Il sauva la vie à un pasteur Jacques Bustanoby que les séides de Matalas voulaient précipiter dans le Saison parce qu'il refusait d'abjurer. Le prélat lui donna asile dans son château jusqu'à ce qu'il put s'en aller sans manger.
L'évêque fit tout son possible pour détourner Matalas de ses mauvais desseins contre la ville qu'il voulait incendier. Il obtint un délai de huit jours qu'il mit à profit pour arranger les choses. Matalas consentit à épargner Mauléon, mais, auparavant, l'évêque dût s'engager à faire, à la tête des insurgés, le tour de la ville avec un rameau d'olivier à la main en signe de paix et de triomphe.
Après avoir commis à Mauléon bien des excès, la troupe des émeutiers prit le chemin de Tardets où s'installa Goyhénéche et là, il continua à appliquer les mesures les plus arbitraires. Il leva des impôts, créa des marchés, en supprima d'autres, nomma des juges à lui, forma une garde de cent jeunes gens chargés de veiller sur sa sécurité personnelle, en un mot, se conduisit comme un véritable potentat.
Le Parlement de Bordeaux, informé de ce qui se passait, envoya à Mauléon le conseiller d'Arche avec pleins pouvoirs pour mettre un terme à un état de choses aussi lamentable. Celui-ci s'adjoignit le concours d'un gentilhomme catalan nommé don José de Calvo, chef d'une bande de roturiers comme il y en avait encore à cette époque. A cette nouvelle, Matalas quitta Tardets et se réfugia dans le moulin fortifié d'Undurein que cernèrent les troupes de Calvo. A la nouvelle du danger que courait le curé de Moncayolle, on sonna le tocsin et de tous les côtés on vit accourir des bandes de paysans armés des objets les plus divers ; mais une charge des cavaliers de Calvo blessa ou tua environ cent cinquante personnes et dispersa les autres dans les montagnes.
Désespérant de sa cause, Goyhénéche quittait, pendant la nuit, le moulin et prenait le chemin de l'Espagne. Mais, à Ordiarp, il fut reconnu et ses partisans lui reprochèrent d'abandonner ceux qui l'avaient défendu ; on le cacha dans le château de Genthein. Le lendemain, un gentilhomme du pays et quelques autres Souletins brisèrent la porte du château à coups de hache, se saisirent de Matalas et l'amenèrent à Mauléon où il fut jeté, avec ses complices, dans les basses fosses du château, pieds et poings liés.
Alors commença l'action de la justice. Le conseiller d'Arche instruisit le procès en cour de Licharre et, sur le vu des pièces, le Parlement rendit, le 6 Novembre, un arrêt condamnant Matalas à avoir la tête tranchée, à être roué et ses complices aux galères à perpétuité. Le jugement fut exécuté le 8 Novembre 1661. Après avoir été dégradé par Mgr. de Maytie, dans l'église de Mauléon, Matalas fut conduit en charrette dans un champ de Licharre. Là, sur un échafaud, entouré de toute la cavalerie de Calvo, Matalas expia ses crimes et l'on pouvait voir le lendemain sa tête exposée au-dessus d'une des portes de Mauléon.
Mais les Souletins n'étaient pas encore au bout de leurs peines, Calvo refusa de partir si on ne lui payait pas vingt mille livres pour l'indemniser de la perte de quelques soldats tués au cours de ces échauffourées. Entre temps ses troupes se conduisirent comme en pays conquis, emmenant le bétail, volant et maltraitant les habitants sans distinction de conditions. Après une transaction à dix mille livres, et seulement le 13 Novembre, cette troupe finit par s'éloigner à la grande satisfaction des Souletins.
Si le calme était revenu en Soule, la question du domaine royal n'en était pas moins au même point et la lutte continua, mais plus pacifique, jusqu'à ce que, quelques mois plus tard, le roi fatigué de toutes ces difficultés se décidât à racheter lui-même le domaine royal au comte de Trois-Villes. L'acte fut passé en 1669.
Trois-Villes ne perdit pas à ce changement. Deux ans plus tard, il acheta la baronnie de Tardets, comprenant huit villages, ancien domaine des seigneurs de Luxe et qui appartenait alors aux Montmorency leurs descendants. Cette décision et la promesse du comte de respecter un peu mieux, à l'avenir, les coutumes du pays fit tout rentrer dans l'ordre et mit un terme aux regrettables incidents dont les habitants n'avaient que trop souffert.
L'ancien capitaine des Mousquetaires ne survécut pas longtemps à cet arrangement. Il s'était retiré dans son château construit de 1660 à 1663, sur les plans de Mansard, dans son domaine d'Eliçabia. Il y mourut le 8 Mai 1672 à l'âge de soixante-treize ans et fut inhumé dans la petite église du village ; mais toute trace de sa sépulture a disparu.
De son mariage avec Anne de Guillon étaient nés deux fils.
L'aîné, Arnaud-Jean, entra dans les ordres et fut pourvu de l'abbaye de Montier-en-Ders ; mais il n'y résida pas longtemps et il semble avoir été beaucoup plus préoccupé de ses intérêts temporels que des questions spirituelles. En 1676, en effet, il acheta le gouvernement de la vicomté de la Soule et il se fixa à Mauléon où il possédait la maison d'Arraing acquise de ses anciens propriétaires. Il y mena grand train, dépensa sans compter et arriva ainsi à une situation obérée, ce qui l'obligea à vendre sa charge et ses biens, quelques années avant sa mort survenue en 1700. L'acquéreur fut Armand de Mont-Réal, fils de la nièce du capitaine des Mousquetaires, mariée, en 1653, à Jean-Jacques de Mont-Réal, marquis de Monein, c'est-à-dire son neveu à la mode de Bretagne.
PORTRAIT DE JEAN-ARNAUD DE PEYRER COMTE DE TREVILLE Par Frères Le Nain — Derived from Private collection, Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=58227034 |
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