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lundi 27 juin 2022

LE PEINTRE IGNACIO ZULOAGA D'EIBAR EN GUIPUSCOA AU PAYS BASQUE EN 1914

LE PEINTRE ZULOAGA EN 1914.




Né à Eibar, en Guipuscoa, en 1870, et mort le 31 octobre 1945, à Madrid, Ignacio Zuloaga fut l'un des plus importants peintres espagnols de la fin du 19ème siècle et du début du 20ème siècle.


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PEINTRE IGNACIO ZULOAGA Y ZABALETA 1925



Voici ce que rapporta à ce sujet le journal La Revue française politique et littéraire, dans son 

édition du 3 mai 1914, sous la plume de Paul Raynal :



"Ignacio Zuloaga.



C’est un vaste et magnifique garçon, plein de force, de santé, de jeunesse durable, d’ardeur qui se maîtrise et se guide, de volonté, d’indépendance, de franchise. Ses yeux déclarent une loyauté parfaite. J’ai serré avec un plaisir vrai son immense main.



Ce grand et célèbre peintre n’a guère plus de quarante ans. C’est l’âge où plus d’un artiste, se retournant vers son passé, réfléchit et doute : "J’ai fait mon meilleur effort. Combien de gens le savent ? La pénombre où je m’obstine est-elle injuste ou méritée ? Ai-je marché sur mon vrai chemin et choisi le travail pour lequel j’étais né ?" Ignacio Zuloaga, lui, est en pleine possession de ses facultés de créateur et de ses dons d’ouvrier. Sa renommée, venue d’une élite, a gagné le public et va chaque jour s’élargissant. C’est un beau privilège que de tenir ainsi dans ses mains, à la fois, le talent et la gloire, alors que, si souvent, celui-là console de n’avoir pas celle-ci encore, ou celle-ci de n’avoir plus celui-là. Que peut en penser ce privilégié ?



— Tenez, me dit Zuloaga, il me semble qu’on parle beaucoup trop des artistes ? A quoi bon tout ce bruit ? Sommes-nous différents des autres hommes ? En quoi notre travail mérite-t-il plus que le leur de retenir l’attention ? Chacun sait ce qu’il sait faire, et tous, pourvu qu’ils fassent de leur mieux, sont dignes d’une égale estime. Ainsi l’homme qui a coupé ce veston que je porte, et l'homme qui a cousu ces souliers, qu’est-ce que je suis de plus qu’eux ? Pourquoi parle-t-on moins d’eux que de moi ? Ils font des vêtements et des chaussures, parce que c’est leur métier, et moi je fais des tableaux, parce que je n’aime et ne sais faire que ça.



Son esthétique, si je ne me trompe, la voici : Ce qui me plaît. Je ne crois pas qu’il y en ait de plus intelligente. Que sont les théories artistiques, sinon un empirisme qui s’est analysé, puis dogmatisé ? Mais quand l’expérience apporte au théoricien des données nouvelles et inattendues, que deviennent les formules ? Seul l’amour nous guide avec sûreté vers l’œuvre que nous devons accomplir ? Elle ne sera pas toujours belle, car, pour être grand, il ne suffit pas d’être sincère. Mais que la puissante main d’un homme s'égale à son cœur passionné, et voici la Beauté. 



Celui que ces pensées habitent peut affronter avec confiance "les difficultés de toute espèce" que Zuloaga me dit qu’il a rencontrées. Il les passera. Ignacio Zuloaga est né à Eibar, petite ville de Guipuzcoa. L’an dernier, comme il venait d’obtenir un de ses grands prix de l’Exposition de Rome, ses compatriotes voulurent le fêter. Une foule populaire, dix mille ouvriers et paysans, vinrent l’acclamer et laissèrent leurs signatures sur un album qu’on lui remit. Il put se dire alors que dans son propre pays il était prophète. Mais...



— Mais c’est dans mon pays que j’ai eu le plus à lutter personnellement, et que mon œuvre a été le plus discuté. Dans ma famille, tous étaient des artistes, armuriers, damasquineurs, ferronniers, céramistes, sculpteurs. Mon arrière-grand-père, armurier de la Cour, a organisé l’Armeria de Madrid, que mon grand-père a dirigée après lui. Mon père a laissé, en ferronnerie et en damasquinure, de belles choses. Il était venu se fixer à Eibar, à la prospérité, à la création presque duquel les miens ont beaucoup contribué. J’y suis né. J’en partis quand je voulus faire de la peinture. Pourquoi de la peinture, lorsque précisément, parmi tous ces artistes qu’étaient les miens, il n’y avait pas de peintre ? Je n’en sais rien. Mon père hésita beaucoup à m’approuver. Il trouvait que la peinture était un art admirable et une carrière dangereuse. Il avait raison... Je partis. J’avais dix-neuf ans. Je n’ai jamais mis les pieds dans aucune école de Beaux-Arts. J’allai voir les musées de Madrid, puis comme tout le monde à Rome. Rome, pour moi, ça n’était pas ça... Et je vins à Paris, où je suis resté. Je fis connaissance de Maurice Denis, Gauguin, Vuillard, Bonnard, Toulouse-Lautrec, Anquetin, Georges Redon, d’autres. C’est à côté d’eux que j’exposai pour la première fois, en 1891, rue Le Peletier, chez un bon amateur d’art qui s'appelait Le Barc de Bouteville. Je signais alors, joignant suivant l’usage espagnol le nom de ma mère à celui de mon père, Zuloaga y Zabaleta. Ma première exposition, c’était un Nain et une série de types et de paysages andalous qui s’appelait l'Espagne blanche. Cela fut remarqué tout de suite. L’Espagne a été beaucoup plus lente que la France, que l’Amérique même, à sympathiser avec moi. C’est que j’y passais pour un révolutionnaire. Il y régnait quand j’ai commencé à peindre, une école aimable et maniérée dont Fortuny était le principal représentant. Il y avait donc contre moi une appréhension. Pourtant je suis Espagnol, pleinement et exclusivement Espagnol, et je le resterai jusqu’à la fin.



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TABLEAU LE NAIN
PAR IGNACIO ZULOAGA



Il semble en effet, dès qu’on regarde une de ses toiles, que l’âpre ciel de la vieille Espagne nous enveloppe. actuellement, à l’exposition de la Société nationale, avenue d’Antin, il y a trois Zuloaga, des Toréadors, le plus expressif Portrait d’un cardinal, assis dans sa pourpre, accompagné d’un petit clerc de seize ans, si sage et si sérieux avec sa soutane noire, et le déjà fameux Portrait de Maurice Barrés, qui, du haut d’une colline, son greco à la main, regarde le paysage grave de Tolède. Ce Barrès, on l’a beaucoup discuté.



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PORTRAIT DE MAURICE BARRES DEVANT TOLEDE
PAR IGNACIO ZULOAGA Y ZABALETA



— On trouve qu’il n’est pas assez ressemblant. Je n’ai qu’une chose à répondre : Je l’ai vu comme ça. Et je l’ai peint de mon mieux, dans ce costume moderne qui est terrible. D’ailleurs Barrès était très occupé et n’a pu me donner qu’une heure et demie de pose, en deux ou trois fois... Je n’ai pas prétendu faire de lui une représentation strictement exacte. Entre le portrait stylisé, qui est de l’art, et ce qu’on appelle le portrait 'parlant', il faut choisir. Que ceux qui veulent des portraits parlants aillent se faire photographier ! Mieux, qu’ils se fassent cinématographier, et qu’ils fassent enregistrer leur voix dans un photographe. Après quoi, on mettra simultanément en mouvement le cinématographe et le photographe, et il n’y aura jamais eu de portrait si parlant.



Des portraits photographiques, voyez-vous, je ne veux pas en faire. On m’en propose souvent, je refuse toujours. D’ailleurs il m’est impossible de travailler sur commande. Quelquefois des marchands viennent, ils me disent : "M. Zuloaga, voulez-vous me faire un tableau long comme ceci, large comme cela, où vous mettrez ceci et ça?" Jamais ! Ils m’offriraient un million par traité que je n’accepterais pas... Quand je peins quelqu’un, c’est parce que j’y ai plaisir. Je viens de terminer, regardez, une Danseuse en costume de torera, cette figure de chanteur montmartrois en scène, costumé à la Bruant, lourdes bottes, cravate rouge, haut chapeau à larges ailes, et cette Mme de Noailles. Je vais me mettre à un Rodin. Fais-je ressemblant ? Comme je vois. Bon ou mauvais ? Comme je peux. Qui en décidera ? Le temps, le temps seul, le temps. Les critiques, dont j’ai d’ailleurs à me louer, écrivent des articles. J’en reçois des centaines, j’en fis un certain nombre. Autant d’avis que de signatures. Chacun voit à sa façon, à travers son tempérament, avec la clarté de ce qu’il a de compétence. Quelquefois, devant telle ou telle appréciation, je me demande : Où diable a-t-il pu aller chercher ça !... Le temps, l’unique juge impartial et sûr, viendra. Attendons. tandis que les critiques écrivent, je peins. Je travaille sans cesse. Il faut marcher, se renouveler. Que penser d’un artiste qui, ayant une fois rencontré le succès, le recherche indéfiniment ensuite par des moyens identiques, et érige en procédé l’heureuse inspiration d’un jour ? Quand on me dit : Venez voir l’exposition de X..., je réponds : Pas la peine, je sais d’avance ce qu’il a fait. Mais si j’apprends que Y... expose, je prends vite mon chapeau et j’y cours... Pour moi, j’ai fait plus de 400 tableaux. Pourquoi ? Je n’en sais rien. Je ne peux pas faire autre chose. Comment ? Je l’ignore. Voici le portrait de Mme de Noailles. Je l’ai représentée à demi allongée sur un divan, parce que souvent, je le sais, elle se tient ainsi quand elle rêve. Mais qui m’a fait choisir le bleu de ce fond, le dur vert du premier plan, la transition de ce châle jaune ? L’idée m’en est venue, et voilà tout... Et je laisse dire. J’ai eu, comme tout le monde, des adversaires. Pas de succès qui ne soulève autour de lui de sourdes hostilités. Je me souviens que je parlais un jour de ces choses avec Barrès. Je lui disais : Contre cela il y a deux grandes forces, l’indifférence et la solitude.


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PORTRAIT DE MME DE NOAILLES
PAR IGNACIO ZULOAGA


J’ai répondu à Zuloaga : 



— Mais l’indifférence, dans ce cas, ce n’est pas un remède, c’est la santé elle-même. Et la solitude, est-ce qu’elle ne serait pas meurtrière pour beaucoup de faibles esprits ? C’est un vin bien fort.



Il a repris : 



— Je l’adore, la solitude. En Espagne, six mois de l’année, dans ma vieille petite église de Ségovie, qui est un bijou...



Nous causions de la sorte, mercredi, dans son atelier de la rue Caulaincourt. Tantôt nous occupions des chaises voisines, près de la grande baie qui domine la campagne parisienne, tantôt nous nous tenions debout devant les nobles merveilles qui font de cette pièce, au sommet d’une banale maison moderne, un lieu digne de vénération. Elle est tapissée de Grecos.



Qui n’a pas été chez Zuloaga ne peut dire qu’il connaît Greco. Qui a vu Zuloaga parler de Greco connaît ce noblе et touchant spectacle d’une belle âme que possèdent toutes les allégresses exaltées de l’admiration et de l’amour.



— Ce qu’on fait soi-même déçoit toujours. On a commencé dans la joie, on achève, on n’est pas satisfait, jamais. La plénitude d’un sentiment, c’est l’admiration qui la donne. Greco, pour moi, c’est un culte, c’est une religion. Je place Goya très haut, voici deux Goyas qui m’appartiennent. Ce sont des chefs-d’œuvre. Mais Greco ! J’en suis hanté. J’ai eu la joie profonde d’accroître un peu sa gloire. J’en possède beaucoup, j’espère en acquérir d’autres. Les voilà. J’habite avec eux... Рат ce mot on comprend que les Grecos de Zuloaga, à force d’être aimés, sont devenus pour lui des sortes de vivants.



— Voyez celui-ci. C’est l'Amour profane. C’est le plus beau Greco. Je l’ai guigné pendant dix ans. Il était dans une collection particulière. Je n’avais pas l’argent qu’il fallait. Enfin, un beau jour, à Cordoue, pendant un voyage que je faisais avec Rodin, j’ai pu l’acheter... Eh bien ! regardez-le. Vous voyez au premier plan une grande forme agenouillée puis de» figures féminines. Qu'est-ce que cela représente ? Qui le sait ! Où cela se passe-t il ? Quel est ce fond ? Sur quoi sont posés les personnages ? Pourquoi ceux du second plan sont-ils si petits, alors que celui du premier plan, s’il se levait, aurait trente mètres ? Tout cela m’est égal. Ce que je sais, c’est que je ne puis pas voir cette toile sans ressentir de l’émotion.



Je regardais Ignacio Zuloaga. Il était pâle. Le magique Greco était devant nous, dans l’autorité sans égale de son rude accent, dans la puissance synthétique de sa complexité, lugubre et doux, tendre et désolé, exalté et oppressé, inspiré et volontaire, confiant et désespéré. Je pensais : "En présence d’un tel maître, comment un peintre peut-il travailler ? Toute vanité vulgaire mise à part, il y a des grandeurs dont il est permis de souffrir, quand on marche dans leur ombre. Un musicien contemple le Parthénon. Il n’y a pas d’arrière-pensée dans son enchantement. Il écoute Beethoven. Involontairement il pense à soi-même et se sent pauvre et petit." Mais ici les yeux de Zuloaga m’ont expliqué son âme. Ce grand peintre regardait le vieux maître, non pas avec le respect d’un rival accablé, mais avec une tendresse filiale. Tout cela, j’allais le lui dire, quand il m’a montré la dédicace que porte son exemplaire du Greco, de Barrès : La biographie de l'aïeul offerte au petit-fils... Tout cela, c’était déjà dit.



Sur la première page d’un autre volume, je lis : Au noble émule des Greco et des Zurbaran, à Zuloaga l'Espagnol, son admirateur Maurice Barrès.



Devant l’armoire aux livres, qu’il avait ouverte, où nous fouillions, il y a l’estrade basse où prennent place les modèles. Assis côte à côte sur gradin, nous causions sans apparat. Zuloaga disait :



— Je partage mon temps entre Paris et l’Espagne. A Paris, je vois peu de monde, mes amis seulement. On vient le samedi après-midi. En Espagne, je ne vois absolument personne. J’ai pour atelier, à Ségovie, une petite église romane, désaffectée, qui est une merveille. J’y travaille dans une solitude complète. Quand il faut que je la quitte, que c’est dur ! Quand j’y vais, je ne prends avec moi qu'une domestique.



Je lui ai demandé, en riant de mon indiscrétion :



— Eh bien, ne me disiez-vous pas tout à l’heure que vous étiez marié avec la sœur de M. Maxime Dethomas, qui est un de nos peintres les plus intelligents, les plus curieux ? Et votre femme !



— Elle va chez les siens, avec nos enfants, et je vais la voir chaque mois. Mais, dans mon église, il me faut être tout seul, à peindre toute la journée.



Ah ! le chercheur d’absolu ! Je ne sais pas si j’avais rencontré encore un artiste qui fût à ce point la proie de son génie et le maître de son âme. Pourquoi cacherais-je ma nette sympathie pour ce beau type d’homme ? Afin qu’on la partage, afin qu’on sente, comme physiquement, la chaleur de sa brûlante sincérité, et que son art est son existence même, je vais redire de Zuloaga un mot charmant qu’il m’a dit sans y penser.



Nous étions sur notre gradin. Je lui ai demandé :



— Le temps est votre seul vrai juge. Mais enfin voici que le grand succès vous est déjà venu. Vous est-il indifférent ?



— Il a esquissé une moue. 



— Non. Ce succès se traduit par des revenus. Ça m'aide à vivre, à acheter des Grecos.



Il a dit de suite et d’un ton strictement uniforme ces deux fragments de phrase, comme s’ils étaient les deux faces d’un pléonasme. De toute évidence, vivre et acheter des Grecos, c’est, pour lui, même chose. Ainsi, un pauvre homme dirait : ça m'aide à vivre, à acheter du pain..."





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